Les raisons du silence
Alors que le débat sur le troisième mandat bat son plein, le président de la République est de plus en plus invité à édifier l’opinion sur ses intentions. Mais, a-t-il intérêt à le faire ?
Le suspense continue sur la possible troisième candidature du président de la République Macky Sall. Chacun y allant de son commentaire. Hier, lors de l’émission ‘’Grand Jury’’ sur le RFM, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, ex-responsable dans le parti présidentiel, Mary Teuw Niane, a prodigué des conseils à son ex-mentor. Selon lui, le chef de l’État doit libérer les Sénégalais en tranchant définitivement ce débat qui n’a que trop tiré en longueur. Mieux, il a réitéré sa suggestion de mettre en place un gouvernement d’union nationale, dans la foulée de cette déclaration de non-candidature, pour permettre au Sénégal d’aborder la Présidentielle de 2024 sous de meilleurs auspices et de se mettre à l’abri de certains soubresauts qui gangrènent déjà toute la sous-région.
‘’Pour moi, c’est le préalable le plus important. Cela va permettre de rassurer tout le monde, en mettant le Sénégal au-dessus des intérêts partisans. Il faut que le président de la République dise publiquement qu’il n’est pas candidat en 2024. Cela réglerait beaucoup de choses’’, a insisté l’ancien ministre.
Campagne pour la troisième candidature
En attendant, la question du troisième mandat ou de la troisième candidature continue d’être sur toutes les lèvres. Tous les prétextes semblent bons pour la mettre sur la table. Du côté du camp présidentiel, on multiplie les sorties allant dans le sens de valider une possible candidature de l’actuel locataire du palais. Ces derniers jours, pas mal de déclarations ont été notées dans ce sens, signées par des responsables de premier plan du régime.
D’abord, c’était le ministre d’État Mbaye Ndiaye, ensuite le ministre chargé du Plan Sénégal émergent Cheikh Kanté, puis le nouveau ministre Mame Mbaye Niang, sans parler d’Ismaila Madior Fall qui a eu toutes les peines du monde, en tant que constitutionnaliste, à répéter ce qu’il a toujours dit sur la question. Ce qui n’a pas manqué de soulever l’ire de certains Sénégalais.
Chez les opposants au troisième mandat, l’on semble affûter les armes pour mener ce qui est considéré comme l’ultime combat contre Macky Sall.
Ce qui est sûr, c’est que sur cette question, Ousmane Sonko et Cie ne seront pas seuls. Au-delà de l’opposition classique de quelques responsables de BBY soupçonnés d’avoir des ambitions, des voix s’élèvent dans toutes les sphères de la vie publique pour mettre en garde contre toute velléité de passer outre les dispositions constitutionnelles.
Même au niveau du camp présidentiel, des gens qui se présentent comme ‘’parents’’ au président de la République se désolidarisent contre un tel projet funeste. C’est le cas notamment de Baidy Samba Sow, membre influent de l’APR en Côte d’Ivoire. Dans une tribune, il peste : ‘’S’il y a un Sénégalais qui doit œuvrer à ce que Macky Sall continue de présider aux destinées du Sénégal, ça devrait être moi, parce qu’étant mon grand frère – nous sommes issus du même village. Mais en tant qu’intellectuel et homme politique, patriote et panafricaniste, je me dois surtout de me préoccuper des valeurs que nous devrons laisser à la postérité...’’
Une question d’éthique et de morale avant d’être juridique
À en croire le membre de l’Alliance pour la République, il ne faudrait même pas s’attarder sur les concepts juridiques. Lui préfère, à la place, mettre l’accent sur les principes moraux et éthiques qui doivent prévaloir en toutes circonstances. ‘’Quand le président Macky Sall a accédé au pouvoir en 2012, rappelle-t-il, il savait que les mandats étaient limités à deux et il avait très mal pris le forcing de Wade qui avait tenu vaille que vaille à faire un troisième mandat. C’est la raison pour laquelle il a fait un référendum pour verrouiller la Constitution, afin que nul ne puisse faire plus de deux mandats consécutifs. En 2019, à la veille de la Présidentielle marquant son second et dernier mandat, il avait clairement dit aux Sénégalais que c’était son dernier mandat, s’il était élu. Vouloir revenir aujourd’hui se présenter pour la troisième fois, ce serait un reniement sans qualificatif et sans précédent’’.
De l’avis de M. Sow qui souhaite la sortie la plus honorable à son ‘’grand frère’’ de président, tout ceci n’est que l’œuvre des ‘’faucons’’ et autres courtisans tapis dans l’ombre du palais. ‘’À ces faucons qui n’ont d’yeux et d’oreilles que pour les deniers de la République, je lui demande de ne point prêter attention à leur sorcellerie. Si le président commet l’erreur de cette candidature, ce sera la porte ouverte à la violation de ce verrou par n’importe quel pouvoir qui viendra après’’.
Avantages et inconvénients
L’histoire est pourtant assez édifiante, à ce sujet. Abdoulaye Wade, qui avait forcé en 2012, l’a chèrement payé. Isolé sur la scène internationale, il a également subi dans sa chair l’emprisonnement de son fils et la traque de tous ses proches, sans parler du désamour d’une partie de ses militants et sympathisants. Aujourd’hui encore, il n’a pas fini de payer sa témérité.
Comme lui en 2012, Macky Sall risque-t-il le même sort, s’il s’entête à vouloir coute que coute forcer un troisième mandat ? La question mérite d’être posée, d’autant plus que le Président Wade avait fini de se s’éloigner de la France et des Occidentaux, pour se rapprocher des pays des Emirats, de la Turquie, de la Chine, entre autres. Il est clair que les pays éconduits avaient pesé de tout leur poids, pour que Wade ne puisse pas rempiler.
En ce qui concerne l’actuel Président, les relations sont au beau fixe avec la France et l’Occident. Risque-t-il l’isolement sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr, si on se rapporte aux exemples de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Condé a été voué aux gémonies et Ouattara félicité pour avoir tous les deux forcés un troisième mandat. L’un s’était fâché avec la France, l’autre est d’un soutien indéfectible à la cause du pays de Marianne.
Egalement, en ce qui concerne le Président Sall, le troisième mandat continue d’être utilisée comme une arme pour tenir en respect les troupes. De ce fait, l’actuel locataire du palais y trouve un gain politique de refuser de se prononcer sur la question.
Mais, aussi, les futures retombées du gaz et du pétrole sont venues complexifier la donne pour le Chef de l’Etat et les tenants du pouvoir qui voient d’un mauvais œil la perspective de céder le pouvoir au moment où le pays entre dans une ère annoncée de prospérité. Ce qui fait dire à certains observateurs que la seule explication à cet entêtement du troisième mandat, c’est la boulimie du pouvoir et l’obsession pour les découvertes d’hydrocarbures sur le sol sénégalais.
MOR AMAR