Les miettes des présidents de jury
A moins qu’une autre formule soit trouvée, l’Etat du Sénégal pourrait se retrouver un jour, à Dakar, avec un déficit de présidents de jury pour le BFEM. Ceux-ci se sont vu accorder 7 000 F CFA pour toute la session passée. D’aucuns menacent de ne plus accepter cette fonction. Surtout qu’ils peuvent gagner plus, en étant de simples correcteurs.
Au mois de juillet dernier, lors de l’examen au BFEM, les présidents de jury de la région de Dakar étaient loin de se douter de l’enveloppe qui leur était réservée. Depuis quelques jours, ces derniers ruminent leur frustration, après être passés à la caisse. En tout et pour tout, ils n’ont perçu que 7 000 F CFA comme rémunération. Leur surprise a été grande et la déception immense. Beaucoup d’entre eux n’arrivent pas encore à s’expliquer comment l’Etat a pu leur accorder ‘’cette modique somme’’ pour un travail de 10 jours. L’un d’entre eux, informé par ses collègues, a d’ailleurs décidé de ne pas aller chercher son argent.
Dans les années passées, les sommes étaient beaucoup plus intéressantes. Quelle est alors la raison de cette chute brusque ? Il faut trouver les explications dans la nouvelle politique du gouvernement qui essaie de limiter les déplacements des enseignants. Ce qui fait que les correcteurs d’une même région sont ventilés dans les différentes Inspections de l’éducation et de la formation de la localité. Pour le cas de la région de Dakar, elle a été divisée en trois académies : Dakar, Pikine-Guédiawaye et Rufisque. Celle de Pikine-Guédiawaye recouvre les deux départements cités. Par contre, celles de Dakar et Rufisque correspondent chacune au département du même nom. Dans ces deux derniers cas, l’IA correspondant à une circonscription administrative, le ministère de l’Education nationale considère qu’il n’y a pas de déplacement à faire de la part des enseignants, explique l’inspecteur académique Ngary Faye. Par conséquent, les 7 000, ‘’c’est un appui, mais pas une rémunération’’.
Seulement, les présidents de jury n’arrivent toujours pas à comprendre ce qui est arrivé. Que l’Etat puisse leur donner 7 000 F, pendant 10 jours, au moment où les écoles privés courent derrière eux pour leur proposer entre 35 000 et 10 000 F l’heure. Ils ne peuvent pas non plus concevoir que même des gens qui sont sous leur tutelle soient mieux rémunérés qu’eux. Un président de Jury souligne par exemple que les secrétaires qui étaient sous son autorité ont empoché 10 000 F. Donc, plus que leur patron. Quant à leurs collègues enseignants, ils sont loin devant eux. Un correcteur a droit à un forfait de correction de 200 F la copie.
En raison de 150 copies, il peut facilement gagner 30 000 F. Ce n’est donc pas juste que celui qui est désigné pour être son patron soit moins payé. ‘’Le président de jury doit être à son IA d’origine, 48 heures avant l’examen. Il doit être à l’IA où il va présider 24 heures avant l’examen. Il doit numéroter tous les bancs, avant l’arrivée des candidats, faire l’état des notes, les listes d’admis, faire les PV et aller à l’IA pour les déposer’’, souligne Saer Guèye, professeur d’anglais. Son collègue renchérit : ‘’Il appelle les enseignants pour qu’ils viennent corriger. Il les appelle pour les conseils. Tout cela c’est du crédit. Les gens te disent : président, il faut acheter du repas, il faut du thé, etc. ce sont des charges très lourdes. Comment peuvent-ils nous donner 7 000 F ?’’ s’interroge Mamadou Elimane Faye, professeur de SVT.
‘’Nous allons sensibiliser le ministre’’
Outre le côté financier, il y a les risques. Un président de jury raconte que, lors de la délibération, la dame qui proclamait les résultats a sauté le nom d’une fille. Il s’en est rendu compte et a appelé la maman de la candidate pour le lui signifier. ‘’Quand elle est venue, elle m’a dit : il ne pouvait pas en être autrement car le voyant que j’ai consulté m’a dit que vous finiriez tôt ou tard par m’appeler, parce que ma fille est admise. Je lui ai dit : donc vous maraboutez les gens pour la réussite de vos enfants ?’’ raconte-t-il.
A côté du mystique, il y a les pressions et tentatives de corruption venant de toutes parts. Saer Guèye affirme avoir subi les avances de tierces personnes. L’Etat lui-même envoie des renseignements généraux pour tester la morale des présidents de jury. ‘’Les parents sont prêts à tout. Et la moindre faute est sanctionnée. On peut même aller en prison’’, relève-t-on. De ce fait, des interlocuteurs comme Saer Guèye affirment que l’année prochaine, il ne faut pas compter sur eux pour avoir des présidents de jury, si le statu quo demeure. Ils préfèrent être de simples correcteurs (la correction est interdite aux présidents de jury), et ainsi gagner plus d’argent avec moins de responsabilités. Ce qui veut dire qu’il y a un risque qu’il n’y ait pas assez de présidents de jury à Dakar.
Cependant, on pourrait ne pas en arriver là. L’inspecteur Ngary Faye se dit lui-même sensible à la question. Il se dit conscient du fait que même pour aller à son centre, il faut prendre un taxi. Et cela induit des charges. ‘’Nous allons sensibiliser le ministre. J’espère que l’année prochaine, nous allons trouver une meilleure solution’’, croit-il savoir. Reste à espérer que les protagonistes vont trouver le juste milieu pour l’équilibre du système éducatif.
BABACAR WILLANE