Retour sur l’histoire d’un événement douloureux
À l’occasion du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais, hier, le président du comité pour la commémoration, Mamadou Diouf, est revenu sur cet événement douloureux.
Retour sur le crime historique qui s’est déroulé à Thiaroye le 1er décembre 1944 dont sont victimes des tirailleurs sénégalais. Ces derniers sont issus du Sénégal, des Comores, du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de la Guinée, de Madagascar, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad, du Togo, de ce qu’on appelait encore, à l’époque, la Côte française des Somalis, le Dahomey, la Haute-Volta, l’Oubangui-Chari ou le Soudan français, selon le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot.
Ainsi, d'après le président du Comité pour la commémoration du 80e anniversaire du massacre, la qualification territoriale ‘’sénégalais’’ gomme la diversité de leur provenance territoriale. Le professeur Mamadou Diouf souligne également qu’ils ont été recrutés, souvent de force, dans les possessions françaises d’Afrique (AOF, AEF et Cameroun et au-delà). Les tirailleurs sénégalais ont participé à la guerre sur tous les fronts, en premier lieu, le front européen. Pourtant, ils ont été victimes de traitements racistes associés au système colonial, selon le Pr. Diouf.
‘’Faits prisonniers à la suite de la débâcle de l’armée française en juin 1940, ils ont séjourné environ une année en Allemagne ; certains ont ensuite été transférés dans les ‘Fronts-Stalags’ (des camps de travail) à l'intérieur de la France occupée. Ils y sont contraints d'effectuer des tâches qui contribuent à l'effort de guerre allemand. À leur libération, certains poursuivent la guerre avec les soldats de la France libre, d’autres sont incorporés dans les unités de travail militaire’’, a indiqué M. Diouf. Puis, dit-il, vient la libération (l’été et l’automne 1944). ‘’Regroupés dans des camps au centre et au sud de la France, après quatre années dans les prisons allemandes, les tirailleurs sénégalais sont rapatriés en Afrique. Ils sont cantonnés à Thiaroye en attendant leur démobilisation et leur retour dans leurs territoires d’origine’’, a poursuivi le président du Comité pour la commémoration du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais.
La revendication des tirailleurs portait sur plusieurs questions, dont les plus significatives sont : les indemnités, les soldes, les primes de démobilisation et autres allocations, mais aussi les conditions du cantonnement à Thiaroye et de retour aux pays d’origine. ‘’La réponse des autorités coloniales ne s’est pas fait attendre. La violence systématique de la gouvernance coloniale reprenait ses droits. Le paradoxe est que la célébration de la 'libération', l’emblème distinctif de la France à la fin de la guerre, signe le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Nul compte n’est tenu de leur contribution à la libération de la France, encore moins des valeurs et engagements citoyens, et démocratiques encouragés par la guerre. En témoignent ‘les mutineries’ et ‘révoltes’ qui ont secoué les troupes coloniales’’ a renseigné Mamadou Diouf.
Pour lui, si les massacres sont récurrents dans l’histoire des empires coloniaux, Thiaroye est pourtant un moment particulier. Il advient dans le contexte de la célébration de l’euphorie de la libération, du triomphe des animateurs de la résistance, ‘’les Compagnons de la Libération’’ sous la conduite du général De Gaulle. ‘’C’est précisément à ce moment de refondation alimentée par 'une certaine idée de la France’ qu’advient la répression sanglante de demandes légitimes d’anciens prisonniers qui avaient subi les horreurs de la captivité, des tortures et privations. Le massacre de Thiaroye anéantissait brutalement les rêves d’émancipation entretenus par la propagande des libérateurs de la France. La fin de la guerre, le retour de l’image prophétique d’une France qui renoue avec son récit et surtout son tournant révolutionnaire, les valeurs républicaines et le respect des droits humains, laissaient les tirailleurs sénégalais et les peuples colonisés sur le bord de la route’’, a poursuivi le Pr. Diouf. Il souligne que dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour dissimuler ‘’le carnage et la tuerie’’. Les qualifications, dit-il, sont de Lamine Guèye. Elles modifient les registres de départ de Morlaix et d’arrivée à Dakar, le nombre de soldats présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs, etc., d'après Mamadou Diouf. Un premier bilan fait état de 35 morts dans une "mutinerie". Le bilan officiel français dénombre 70 tirailleurs sénégalais décédés. Selon lui, les estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400 victimes. ‘’Cette volonté délibérée de dissimulation dénoncée par les historiens se manifeste très tôt’’, a-t-il dit.
BABACAR SY SEYE