Publié le 18 Aug 2021 - 04:58
ABDOULAYE GAYE – GESTIONNAIRE DU PATRIMOINE

‘’Il y avait d’autres possibilités que la démolition…’’

 

Doctorant à l’EHESS de Paris, Abdoulaye Gaye est gestionnaire du patrimoine culturel. Après la destruction du bâtiment principal du marché Sandaga, il se dit peiné et déçu. Avec ‘’EnQuête’’, il énumère les différentes opportunités qu’avaient les autorités à la place d’une démolition. Il scrute également la politique du patrimoine de l’Etat et donne son avis sur la gestion des sites historiques classés.

 

Comment appréciez-vous la démolition du bâtiment abritant le marché Sandaga ?

Je suis peiné, je suis déçu, je suis révolté. Ces trois mots résument mon ressenti. Mais aussi cela ne me surprend guère, très honnêtement. Je vais vous raconter une anecdote : j’ai interpelé une haute autorité tout récemment, sur le fait que l’ancien commissariat de Rufisque soit démoli, alors qu’il était classé sur la liste des sites et monuments historiques. Elle m’a dit que cela est ‘’impossible. La loi est claire, mais souvent c’est l’Etat ou ses démembrements qui le font, malheureusement. Un agent de l’Etat ne peut pas attaquer l’état…’’ En principe cela devrait l’être, si on se fie à la Convention de Venise que le Sénégal a ratifiée.

En effet, la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite charte de Venise (du 25 au 31 mai 1964), est un traité qui fournit un cadre légal international pour la préservation, la restauration des objets et des bâtiments anciens.

Les textes du IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques ont été adoptés par le Conseil international des sites et monuments (Icomos) en 1965. Dans son article premier, il est écrit que ‘’la notion de monument historique comprend la création architecturale isolée aussi bien que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique. Elle s'étend non seulement aux grandes créations, mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis, avec le temps, une signification culturelle’’. Cette charte impose en particulier ‘’que l’on restaure les monuments historiques dans le dernier état connu’’. Ce que le Sénégal devait faire, à mon avis.

Au-delà de ça, l’arrêté 004510 du 29 avril 2011 énumère tous les sites et monuments classés au niveau national. Dans cet arrêté, le bâtiment abritant le marché Sandaga figure par ordre numérique à la 111e place. Donc, on peut dire qu’il n’y avait aucune raison que ce site soit démoli. Au sein même du ministère de la Culture, nous avons un Bureau d’architecture des monuments historiques (BAHM) qui est logé au cabinet. Ce dernier doit jouer un rôle de veille et d’alerte en matière de patrimoine bâti. Nous pouvons aussi citer la Direction du patrimoine culturel qui est l’opérateur stratégique de la politique de sauvegarde, conservation et de valorisation du patrimoine culturel avec un service dédié juste pour les sites et monuments historiques. Ces deux structures doivent être bien outillées afin qu’ils jouent le rôle de police en matière de patrimoine.

Mais la vraie question qu’on doit se poser est la suivante : avons-nous réellement une politique patrimoniale adéquate, avec des textes de loi qui date de 1971 ?

Justement, comment appréciez-vous la politique du patrimoine de l'État ?

L’Etat du Sénégal, par le biais du ministère de la Culture, a mis en place un certain nombre de directions et de services pour véhiculer sa politique culturelle. Notons aussi qu’avec les présidents Senghor et Abdou Diouf, nous avions des conseillers culturels bien informés des activités culturelles. Le président Abdoulaye Wade, quant à lui, s’est beaucoup investi pour la création d’espaces de diffusion culturelle.

Je peux que dire que la politique patrimoniale de l’Etat n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière, dans la mesure où la direction qui est en charge du patrimoine ne dispose pas de beaucoup de moyens pour mener à bien les missions qui lui sont dévolues. Nous avons une politique fragmentée et incohérente. Si on prend l’exemple du musée des Civilisations noires, le musée Boribana, la place du Souvenir africain, le Monument de la Renaissance, la Maison des esclaves, le Mémorial de Gorée ainsi que celui du ‘’Joola’’, ces différentes structures n’ont aucun lien, alors que tous devaient dépendre de la Direction du patrimoine. Qu’en est-il de la collection du domaine privé artistique de l’Etat ? Avons-nous fait l’inventaire des œuvres qui se trouvent dans les représentations diplomatiques ?

Je pense qu’il faut un personnel qualifié. Je dis bien : qualifié et bien formé pour mener à bien ce travail. Les ressources humaines constituent un maillon essentiel de la chaine, si nous voulons développer notre secteur. Et pour cela, la formation des agents est impérative. Il faut une politique de renforcement des capacités, mais aussi et surtout recruter un personnel pour la Direction du patrimoine afin de mieux assumer le rôle de poumon de la culture.

Concernant Sandaga, certains trouvaient le bâtiment vieux et pensent que le démolir était la meilleure des solutions. N'y avait-il pas d'autres options que celle-là ?

Le bâtiment était vieux, vétuste, en ruine et menaçait de tomber certes, mais cela ne justifie pas sa démolition. Des solutions, nous en avions plusieurs : on pouvait réhabiliter. Ce qui consiste à rénover sans pour autant détruire le bâtiment. Il faut tenir compte de l’architecture dans son ensemble. On tient compte de la façade extérieure. Cependant, on peut amener des changements ou modifications sur l’aspect intérieur, en y apportant un confort contemporain. Une autre solution pouvait être la rénovation, encore plus coûteuse.

Elle consiste à tout casser pour reconstruire à l’identique. Il faut noter que cette option est beaucoup plus onéreuse, parce qu’elle demande bien plus de moyens. Il y a aussi la restauration qui consiste en la remise en état du bâti dans son état originel. Elle a pour but de recréer le plus fidèlement possible l’ensemble des caractéristiques d’un bâtiment patrimonial à une époque donnée. Cela dit, des choix, il n’en manquait pas du tout, et là je peux dire qu’ils ont choisi la voie la plus facile : la destruction. Paradoxalement, un atelier s’est tenu les 25 et 26 mai 2021 sur la loi 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le régime des monuments historiques, celui des fouilles et découvertes. Il s’agissait, lors de cet atelier, de revoir les textes et mieux encadrer les professionnels.

Les autorités ont décidé de reconstruire à l’identique…

C’est plus coûteux et le bâtiment perd certaines de ses valeurs.

Ce bâtiment était classé patrimoine historique. Qu'encourt le Sénégal en le détruisant ?

Puisque nous avons ratifié la Convention de Venise, l’Etat du Sénégal avait l’obligation de protéger ce site. Nous pouvons nous attendre à une sanction, si des personnes engagées prennent cela en charge et le dénoncent au niveau des instances internationales.

Mais comme je l’avais dit dans l’une de mes interventions précédentes, il nous faut une politique culturelle cohérente, une lettre de politique sectorielle lisible. Ne nous leurrons pas : il faut redynamiser le secteur du patrimoine culturel. Le patrimoine est le poumon de la culture. Il est transversal et doit jouer un rôle prépondérant à tout point de vue. Le patrimoine est présent dans tous les secteurs de la culture.

Aussi, vu l’article 2 de l’arrêté du ministère de la Culture du 29 avril 2011 concernant la classification des sites et monuments cités plus haut, il est écrit que : toute intervention (restauration, rénovation, destruction) sur un bien inscrit par le présent arrêté sur la liste des sites et monuments historiques est soumise à autorisation préalable du ministère chargé de la Culture.

La gestion des bâtiments et sites classés est-elle bien faite ?

L’arrêté 004510 du 29 avril 2011 fait état des sites et monuments historiques classés sur le plan national. Je trouve que c’est un excellent travail. Maintenant, il faut un suivi permanent et un encadrement avec des textes de lois. Si un bâtiment est classé, même son propriétaire, avant de faire des modifications, doit avoir l’aval ou l’autorisation des services compétents. Je pense aussi qu’il faut une collaboration interdisciplinaire.

Quelle est l'importance pour un pays d'avoir des sites et monuments historiques ?

Avoir le statut de site ou monument historique est déjà une reconnaissance nationale de l’intérêt patrimonial d’un bien. Maintenant, au-delà de cette reconnaissance, il faut que cela s’articule autour du développement économique du terroir en étant lié au tourisme, parce que faisant partie de l’histoire de la ville.

Ils peuvent, en outre, avoir une importance culturelle ou éducative, en plus d’avoir une valeur affective dans certains cas. Certains sites retracent le passage pendant un moment donné de la présence d’une autre culture et ces sites et monuments nous permettent d’étudier alors l’histoire. Si ces sites sont réhabilités et bien entretenus, ils peuvent attirer des touristes et ainsi générer une plus-value.

Cependant, deux sites mériteraient d’être restaurés au plus vite avant qu’ils ne soient trop tard : l’école normale William Ponty, pour être transformée en musée et la Folie du baron Roger à Richard Toll qui pourraient servir de lieux d’hébergement pour les touristes désirant se rendre au fort de Matam ou de l’usine des eaux de Mbakhana, selon le circuit touristique choisi.

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