‘’Deyda était très déterminé, la presse africaine lui doit beaucoup’’
Pendant de longues années, les deux hommes ont cheminé ensemble. Dayda Hydara était le trésorier de l’Union des journalistes de l’Afrique de l’Ouest alors qu'Abdoulaye Ndiaga Sylla en était le président.
Il y a 9 ans, jour pour jour, était assassiné le doyen de la presse gambienne Deyda Hydara. Que retenez-vous de cette page sombre de l’histoire de la presse ?
Ce que je retiens, c’est que la liberté de presse n’est jamais acquise. C’est un combat perpétuel. Y compris même dans les démocraties dites consolidées. Ceux qui gèrent le pouvoir n’acceptent pas, même s’ils le disent comme ça, même s’ils adhérent à ces principes, que la presse fourre son nez un peu partout.
Maintenant, ce qui se passe en Afrique est assez singulier. C’est bien que la démocratie se soit installée formellement, mais sur certains aspects, ce n’est pas encore effectif. Et les journalistes paient le plus lourd tribut, dans la défense de la démocratie et des libertés. Cela peut être de manière violente, comme c’est le cas avec les assassinats, mais parfois également de manière insidieuse. C’est-à-dire, on s’organise à tuer l’entreprise de presse, en se gardant de lui aménager un régime particulier.
Ce n’est pas parce que les journalistes doivent bénéficier d’un traitement singulier, mais c’est juste qu’ils participent à la liberté de presse mais aussi à l’information du public, ce qui est une tâche dévolue à l’État. Malheureusement dans nos pays, l’État ne peut pas satisfaire les besoins. Même s’il faut reconnaître que les régimes sont différents.
Vous avez connu l’homme pour avoir cheminé avec lui pendant un temps. Que retenez-vous de lui ?
Il était quelqu’un de très calme, de naturel. Il s’emportait difficilement. C’était un homme de mesure et très rationnel dans son fonctionnement. Il réfléchissait beaucoup aux actions qu’il devait entreprendre ou aux actions dans lesquelles il voulait apporter sa contribution. Mais le trait dominant de son caractère, c’est qu’une fois qu’il s’engageait, il allait jusqu’au bout. C’était quelqu’un qui ne s’arrêtait pas à mi-chemin.
Il mûrissait son engagement. Il réfléchissait beaucoup avant d’adhérer à une position. Une fois la décision prise, personne ne pouvait plus l’arrêter. Deyda était très déterminé, la presse africaine lui doit beaucoup. Il était parfaitement bilingue (Français-Anglais) et animait une chronique hebdomadaire qui s’intitulait : ‘’Bonjour Monsieur le Président’’ dans laquelle il critiquait ouvertement les dérives du président Jammeh.
Les racines du mal demeurent toujours en Gambie. Les intimidations se poursuivent. Plusieurs journalistes ont quitté. En tant que professionnel de l’information et de la communication, que faut-il faire en pareil cas ?
La situation a évolué mais en pire. La situation actuelle de la presse en Gambie est inqualifiable. Nous avons tout dans ce pays, sauf une démocratie. Ce qu’il faut faire à mon avis, c’est de toujours manifester. Mais cela ne suffit pas. À chaque fois qu’il y a une violation, les gens descendent dans la rue, avec des proclamations et ça s’arrête là. La presse mène son combat, mais une seule force ne suffit pas.
Il faudrait l’implication de tous les acteurs de la démocratie qui doivent savoir que sans la liberté de presse, il n'y aura pas de démocratie possible. Malheureusement, le combat des journalistes n’est pas accompagné, ça reste entre eux. Si les partis politiques s’en mêlent, c’est souvent pour des intérêts particuliers. La culture démocratique n’est pas ancrée dans la classe politique. Il faudrait aussi une forte pression de l’opinion publique. Malheureusement, on ne le sent pas en Afrique.
Amadou NDIAYE