‘’Délocaliser le siège de la CADHP de Banjul serait un signal fort’’
La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) déroule sa session du 9 au 23 avril courant à Banjul. Pour les ONG de défense des droits humains, la Gambie sous Jammeh ne mérite pas d’abriter ce mécanisme de protection et de défense des Africains. Dès lors, délocaliser le siège de la CADHP de Banjul serait un signal fort, de l’avis du président de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV).
La 53e session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples se tient présentement en Gambie. Votre organisation fait partie des associations de défense des droits humains qui ont décidé de boycotter la session. Qu’est-ce qui justifie ce choix ?
Tout simplement parce que nous estimons que la Gambie sous Yaya Jammeh n'est pas le bon lieu pour abriter une commission dont la mission est de protéger et défendre les droits humains. Rappelez vous, c'est la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) qui avait adopté déjà en octobre 2009 une résolution fustigeant la détérioration de la situation des droits de l'Homme en Gambie, à cause de l'attitude du Président Jammeh qui, le 21 septembre 2009, dans une déclaration à la télévision nationale, avait menacé de tuer les défenseurs des droits de l'Homme et ceux qui les soutiennent. A travers cette résolution, la CADHP demandait à l'Union africaine d'exercer une pression sur le Président gambien, afin qu'il retire ses menaces et offre des garanties de sécurité aux membres et au personnel de la Commission, ainsi qu'aux défenseurs des droits de l'Homme et à tous ceux qui participent aux activités de la CADHP dont le siège se trouve à Banjul, en Gambie. La CADHP avait été jusqu'à proposer dans sa résolution qu'au cas où la situation des droits humains ne s'améliorerait pas, de changer le siège du secrétariat de la Commission. Tout le monde peut juger si depuis cette résolution de 2009 la situation s'est améliorée ou non. Notre boycott est donc un rappel à la CADHP qu'il est temps de joindre l'acte à la parole, car la situation ne s'est point améliorée. L’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV) et des ONG comme Article 19 et la RADDHO travaillent pour que les citoyens puissent jouir de leurs droits socio-économiques qui comprennent ceux des consommateurs. C’est ça les nouveaux droits qui sont discutés à la CADHP.
Pourtant un acte fort a été posé par les autorités gambiennes, lors de l’ouverture de la session, en venant la présider et en participant aux discussions. Peut-on percevoir cette première comme un impact de votre campagne pour le boycott ?
Le gouvernement gambien participe à toutes les sessions de la CADHP, très souvent par le ministre de la Justice. Mais généralement, c'était pour nous admonester, nous sermonner et nous donner une leçon avec des arguments éculés et ringards dans le genre : ''Vous Ong, vous êtes manipulés ou payés par les pays occidentaux'', ''ces droits dont vous parlez ne font pas partie de votre culture'', ''vous méprisez votre culture.'' Pour cette session, je ne sais pas quelle a été leur attitude et leurs propos cette fois-ci, car je n'y suis pas, mais je voudrais dire que quels que soient leur attitude et propos, Yaya Jammeh est un ’’joueur’’. Il est tout à fait possible qu'il s'adonne à son jeu favori de la décrispation, de la tromperie jusqu’à ce que la pression baisse, pour poser encore des actes beaucoup plus durs de violation des droits de l'Homme. On le sait, l'homme ne réagit en bon gouvernant que sous la pression. Rappelez-vous quand il avait menacé d'exécuter les prisonniers, la CEDEAO avait dépêché un émissaire à Banjul pour l'en dissuader. Il lui a dit que c'était juste pour les apeurer avant de procéder à l'exécution de 9 d'entre eux. 9 pour ce que nous en savons. Dans tous les cas, nous ONG, ne devons pas perdre de vue notre objectif de campagne. C'est de faire de la Gambie un pays qui respecte les droits humains. Délocaliser le siège de la CADHP de Banjul serait un signal fort pour dire que la Gambie - avec son mode de gouvernance actuelle - n'est pas digne d'abriter une Commission dont la mission est de protéger et de défendre les droits humains.
Depuis les récentes exécutions en Gambie, plusieurs défenseurs des droits humais se sont dit choqués et ont de plus en plus peur des dangers qui guettent la paix et la sécurité dans ce pays. Qu’en pensez-vous ?
C'est exactement cela le sens de notre campagne. Les risques pour la paix et la sécurité sont réels ! Ils le sont pour la Gambie dont la majeure partie des enfants valables sont contraints à l’exil ou alors courent des risques pour leur intégrité physique en restant à l’intérieur. Les risques sont aussi réels pour le Sénégal qui servira de premier refuge pour les défenseurs des droits humains, les opposants. Imaginez que ceux-ci s’organisent à partir de notre pays et que Yaya Jammeh décide de prendre des mesures de représailles contre notre pays. Les dangers auxquels vous faites référence vont donc bien au-delà des frontières de la Gambie.
Que dire alors de l’inexistence de radios et de télévisions privées dans ce pays et du blocage interne de sites d’informations basés à l’extérieur par la seule volonté du président Jammeh ?
Ridicule ! Dans quelle époque nous trouvons-nous ? Une autre raison pour nous de renforcer la pression sur Yaya Jammeh.
Pensez-vous vraiment que le boycott des Ong pourrait participer à faire changer les choses en Gambie ?
Je le crois fortement ! C’est le début de la campagne et vous avez vous-même noté que la CADHP a imploré les ONG de ne pas boycotter la session de la CADHP et qu’elle allait remettre la question de la dégradation de la situation des droits humains sur leur agenda pour porter la question à l’attention des Chefs d’État de l’UA. Ensuite, vous avez aussi vu la levée de boucliers des pays comme les États-Unis, l’Union européenne à côté du Sénégal qui ont sommé la Gambie d’arrêter les exécutions de prisonniers. Résultat des courses : Arrêt des exécutions ; Macky Sall invité à la célébration de l’indépendance de la Gambie. Maintenir la pression sans se laisser berner ou distraire par Yaya Jammeh est la seule bonne voie. Nous y participerons avec nos outils et moyens d’ONG : la veille, l’alerte et la dénonciation.
Par Amadou NDIAYE
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