Publié le 22 Aug 2014 - 19:06
ARONA COUMBA NDOFFENE DIOUF, MINISTRE-CONSEILLER

"L’histoire a donné raison à Abdoulaye Wade"

 

Pr, vous avez récemment reçu une distinction à New York. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce prix ?

Ce prix est décerné aux scientifiques qui se sont distingués de par leurs travaux de recherche, leurs publications et l’enseignement dispensé à travers les établissements universitaires des Etats-Unis. Donc, c’est le congrès américain et le sénat qui ont choisi une organisation non profil privé qui se charge, tous les trois ans, de faire la sélection qui peut aller jusqu’à 3 000 candidats à travers les Etats-Unis et qui proposent le nominé.

Quel lien entre vos recherches et le Sénégal ?

C’est la raison pour laquelle en 2011, j’ai décidé de revenir au pays après avoir été contacté par le Président Abdoulaye Wade, lui qui m’a découvert à l’international. Et c’est lui qui a fait que je suis revenu au Sénégal lors d’une rencontre au Japon. Il m’a appelé pour voir ce que je peux faire pour le pays. Mais je n’étais pas vraiment prêt car j’étais au milieu de mes recherches et je savais qu’en revenant au Sénégal, je serais confronté au manque d’équipements dans les laboratoires, par exemple. Toutefois, j’ai eu à proposer aux gouvernants sénégalais beaucoup de solutions sur les problèmes d’eau, de terre, d’irrigation en ma qualité d’expert en valorisation des minerais.

Concrètement ?

J’avais suggéré à Abdoulaye Wade d’arrêter la surexploitation de la nappe aquifère, surtout sur le littoral de Kayar jusqu'à Rao, qui créait souvent une substitution de l’eau potable à celle de la mer. La nappe doit être compensée à ce niveau. Je lui avais aussi dit que du côté du Nord-est et du Nord-ouest jusqu’au centre du Sénégal et un peu vers le Sud jusqu’à la frontière de la Gambie, toutes les nappes sont sursaturées par des métaux lourds, du calcaire, du sulfure, etc.

Ce qui impactait la santé des populations. Pour la solution, j’ai pris l’exemple du fleuve Baltimore, six fois plus petit que le fleuve Sénégal, mais qui alimente une population onze fois plus grande. J’avais proposé de faire de grands tuyaux appelés aquadiques qui pouvaient alimenter et arroser tout le Sénégal, tant pour l’agriculture irriguée que pour l’alimentation en eau. Les Américains gaspillent beaucoup d’eau et consomment beaucoup plus que les Sénégalais. Si donc un fleuve six fois plus petit que le fleuve Sénégal alimente une population plus grande et plus dense, je pense que c’est une aberration de chercher d’autres solutions pour nos problèmes en eau alors que ce fleuve Sénégal déverse des millions et des millions de m3 d’eau fraîche à la mer qu’on perd comme ça.

Qu’est-ce que Wade vous a répondu ?

Le problème des dirigeants sénégalais, c’est que si un expert sénégalais vient à eux avec des idées et des solutions, ils ne voient plus sa rentabilité nationale, ce qu’il peut amener à la nation et aux populations. Ils voient en lui un instrument politique qu’ils peuvent essayer d’utiliser. Ecoutez cette anecdote. Abdoulaye Wade m’a dit un jour : ‘’je suis désolé, professeur, quelles que soient vos ambitions pour le Sénégal dans le domaine de vos recherches, si vous ne faites pas la politique, vous n’aurez pas à servir le pays. Je m’excuse mais c’est comme ça».

Est-ce cela qui explique votre engagement politique ?

Je pensais qu’il n’avait pas raison. Malheureusement (…) Wade avait raison car ça ne devrait pas se passer comme ça. Un Sénégalais qui a de l’expertise et qui peut aider son pays doit pouvoir le faire en toute liberté en s’épanouissant. Aujourd’hui, l’histoire a donné raison à Abdoulaye Wade. Il a fallu que je crée un mouvement, que je descende sur la scène politique, que je m’identifie aux leaders qui ont participé à faire une deuxième alternance, pour que je puisse occuper une position dans le cabinet du président de la République.

Le Président vous écoute-t-il ?

S’il m’écoute ou ne m’écoute pas, c’est son problème. L’essentiel est que je fasse ce que j’ai à faire. En tant que conseiller, il est de mon devoir de lui donner ce que je pense être bénéfique pour la nation, dans le domaine de mes compétences et des prérogatives qui m’ont été assignées par le chef de l’Etat. En tant que ministre conseiller spécial, je suis en charge de l’Agriculture, l’Environnement, l’Energie et les Mines. Et à chaque alerte, j’écris une note au président de la République pour attirer son attention sur « un feu rouge » ici, « un feu rouge » là… Mais il reste beaucoup à faire…

C’est-à-dire ?

Si les ministres qui doivent exécuter le programme du Président ne sont pas compétents à la dimension des ambitions du Président, il y a problème. On est à combien de gouvernements depuis la deuxième l’alternance ? Trois ! Cela veut dire qu’il y a un problème de ressources humaines et un problème de compétences quelque part.

Selon vous, qu’est-ce qui ne marche pas ?

Beaucoup de choses ne marchent pas, mais il y a eu beaucoup d’améliorations dans plusieurs domaines. Dans le contexte de la bonne gouvernance, on a fait des pas de géant. Avec le gouvernement actuel, vous n’avez pas encore entendu des détournements, des abus financiers dans des départements ministériels ou directions. Cela veut dire que, au moins à un certain degré, l’argent public est bien géré maintenant. Vous n’avez plus ces ministres arrogants qui dérangeaient la circulation par des sirènes d’escorte, abusant de leur pouvoir sur des citoyens comme eux…

C’est quoi le blocage alors ?

La lenteur de l’exécution du programme du président de la République. Elle est due à deux choses : la qualité des personnes choisies pour exécuter ce programme et le financement de ces programmes. On travaille sur une ambition qui est au-delà des capacités de mobilisation des fonds prévus pour cela et ça, c’est un problème.

Y a-t-il ingérence de la famille présidentielle dans la gestion du pouvoir ?

Ecoutez, Tous les Présidents qui sont passés au pouvoir ont accordé à leur femme un cabinet de première Dame qui était au palais. Le président Macky Sall a refusé cela à sa femme ! C’était déjà une manière concrète de ne pas laisser sa famille s’immiscer dans les affaires de l’Etat. Quand il a pris le pouvoir, il a dit à Marième Faye : « tu resteras dans la cuisine ». Marième Faye est venue me voir  pour me dire : « mais ton ami-là, qu’est-ce qui se passe dans sa tête. Dis (lui) de me laisser aller travailler. S’il me refuse un cabinet, je peux quand même servir le pays autrement ».

C’est Mbagnick Ndiaye qui a vendu la mèche (il coupe)…

Cela est une autre histoire. Mbagnick Ndiaye a dit ce qu’il pense être, d’une façon qui l’engage. S’il le dit, ce n’est pas bien. S’il s’avère qu’il a des preuves que c’est la première Dame qui l’a nommé, c’est à condamner… C’est aussi renvoyer immédiatement ce ministre du gouvernement parce que l’Etat n’appartient ni à Monsieur Sall, ni à Madame Faye. L’Etat appartient aux Sénégalais.

Comment appréciez-vous le livre du Pr Malick Ndiaye ?

Le Pr Malick Ndiaye est un Sénégalais qui a le droit d’écrire un livre quelle que soit son appartenance. (…) Il a exprimé ce qu’il pense au vu de son expérience dans le cabinet du président de la République et qui observe un système. C’est son droit et je n’ai aucun commentaire là-dessus. Pourtant, dans sa dernière lettre adressée au chef de l’Etat, il encourage le président Macky Sall dans sa politique actuelle. En outre, le Président m’a dit récemment : ‘’je félicite le Pr Malick Ndiaye car il m’a non seulement donné de bons conseils, mais aussi encouragé sur mes perspectives, sur mon programme, la bonne gouvernance, le PSE et la conduite du gouvernement’’…

Où est le problème ?

Ce que je ne comprends pas, c’est que ladite lettre ne date pas de plus deux semaines (NDLR : l’entretien a eu lieu le mardi 12 août 2014), et que le Pr Ndiaye ait pu dans ce laps de temps s’attaquer à la gestion de Macky Sall. Entre ce qu’il écrit en dessous et ce qu’il révèle au-dessus, il y a un grand contraste. Il a l’habitude de faire cela. Cet homme a une personnalité bipolaire, il est capable de changer de personnalité suivant l’environnement et les circonstances. Malick Ndiaye peut s’asseoir avec un leader et adopter complètement l’idéologie de ce leader et épouser le lendemain l’idéologie d’un  autre leader. Il est comme ça…

Le Président Sall a révélé avoir classé sans suite des dossiers dans le cadre de la traque des biens mal acquis.

Qui est le chef suprême de la Constitution, le chef des armées, le Président de tous les Sénégalais ? C’est lui, Macky Sall !

Mais c’est lui qui a initié la traque des biens mal acquis.

C’est lui en même temps le chef des traqueurs. Donc c’est son droit ! Il n’a pas violé notre constitution. On n’a pas encore vu un magistrat qui a dit qu’il a reçu des instructions du président sur son travail. Combien de dossiers Abdou Diouf a-t-il laissés à Abdoulaye Wade ? Combien de dossiers Abdoulaye Wade a-t-il laissés à Macky Sall ? Il y a des dossiers qui ne peuvent pas se traiter sur un ou deux mandats. Le dossier de la Casamance existe depuis Senghor et je suis sûr que le président de la République va le laisser à son successeur. Maintenant de quel dossier parle le président ? Là est la question.

Des dossiers sur la traque des biens mal acquis. On a vu qu’il a classé le dossier du Fesman qui implique Sindiély Wade.

Qui vous a dit que Sindiély Wade n’a pas remboursé ? Elle a remboursé ce dont on l’accusait. Elle a remboursé totalement la somme.

Combien elle a remboursé ?

Je ne sais pas. Mme Wade aussi, quand on l’accusait d’avoir reçu de l’argent d’une ONG, elle a émis un chèque. Peut-être que c’est parce qu’il a refusé de rembourser que Karim Wade est aujourd’hui poursuivi. Ce sont des dossiers sur lesquels on doit faire attention. Le président de la République, c’est l’homme le plus informé. Tout ce qu’il dit l’est par rapport aux informations qu’il détient, sinon il est cuit.

PAR ASSANE MBAYE

 

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