Les bandes armées hantent le sommeil de Dahra Djolof
Attaques de boutiques et d'institutions financières, vols d’ordinateurs et de téléphones portables par des bandes armées, tel est devenu le quotidien des populations de Dahra et environs. EnQuête est allé à la rencontre des victimes qui mettent en avant la lancinante question de l’insécurité.
Le CEM 1 de Dahra a reçu, vers les coups de 3h du matin, dans la nuit du samedi 02 au dimanche 03 novembre 2013, une bande armée composée de cinq éléments encagoulés. ''Ils ont escaladé le mur de clôture, avant que l’un d’eux qui semblait être le chef du gang ne brandisse un pistolet. En tenant en respect le pauvre gardien Baye Mbaye. Vingt minutes ont suffi aux quatre autres malfaiteurs pour faire sauter la porte du secrétariat, avant de défoncer celle du bureau'', raconte le principal d’un air triste et abattu. ''Ils ont brisé tous les tiroirs des bureaux et mis à sac les dossiers à la recherche de somme d’argent, en vain'', se désole-t-il. Il faut noter que le collège est situé à la périphérie de la ville, au nord-ouest, derrière le Centre de santé Élisabeth Diouf, dans une zone presque inhabitée et très sombre, dès la tombée de la nuit.
En cette période d’inscriptions, vraisemblablement ils cherchaient les fonds des inscriptions, en vain. Dans leur retraite, ils ont emporté un caméscope neuf d’une valeur de 200 000 F Cfa, deux téléphones portables appartenant à des élèves et des lots de stylos et crayons. La gendarmerie a mis sous scellé l’arme blanche (un couteau) laissée par les brigands et a ouvert une enquête. Rappelons que l’établissement a été le théâtre d’un attentat toujours inexpliqué durant l’année scolaire 2007-2008, quand une personne avait agressé au couteau le proviseur d’alors.
En plus de l’établissement, ils ont visité d’autres boutiques de la localité. Cet énième attaque a poussé EnQuête à s’intéresser à la situation de la sécurité à Dahra. Beaucoup de Dahrois se plaignent d’avoir été la cible de malfrats. Les visiteurs du soir fouillent les domiciles des particuliers raflant tout ce qui n’est pas à l’abri : ordinateurs, téléphones portables et autres bonbonnes de gaz butane, mettant à profit le sommeil du juste des braves goorgoorlu qui, en cette période de canicule, désertent les chambres pour se mettre au frais dans les cours et autres vérandas.
Boutiques et commerces, cibles des attaques
Les boutiques ne sont pas épargnées. Au courant de cette même semaine, les malfaiteurs ont saccagé plusieurs commerces. Dans ce chaos ambiant, un individu non encore identifié a escroqué plusieurs boutiquiers vendeurs de crédit téléphonique ''seddoo''. Baba Sylla MBATHIE, commerçant victime de cette arnaque, raconte : «Le gars vient pour acheter du ''seddoo''. Lorsque vous lui remettez le téléphone pour qu'il mette son numéro, il transfère, par on ne sait quel tour de passe-passe, tout le crédit vers son numéro''. Il aurait déjà empoché 1 150 000 F de trois boutiquiers sis au marché de Dahra. Sur la route nationale numéro 3, un homme, la quarantaine sonnée, les dents noircies par la cigarette, tient une échoppe quasiment vide. Il raconte sa mésaventure. ''Les voleurs ont soulevé la toiture en zinc et emporté des ordinateurs, des magnétophones et des téléphones portables d’une valeur de 945 000 F.''
À Dahra, les malfrats semblent n'épargner personne. Ce ne pas le président des commerçants du département de Linguère, Mamadou BADIANE, qui dira le contraire. La semaine dernière, des bandits se sont introduits chez lui et ont emporté ses 2 téléphones portables. Le responsable de l’UNACOI / JAPPOO, par ailleurs élu de la Chambre de commerce de Louga, fait partie de ceux qui pointent un doigt accusateur sur la mairie. «Ils (les élus locaux) doivent être les premiers à nous soutenir. Mais, constatez par vous-même, il n’y a aucune lampe dans le marché. L’obscurité fait le lit de l’insécurité, avec le vol répétitif de nos marchandises. Le marché compte 7 gardiens à qui nous payons chaque mois 350 000 F'', tonne-t-il. Sans résultat satisfaisant. De guerre lasse, ils prévoient de ''mettre en place un comité de surveillance composé de quelques jeunes recrutés en appoint aux vigiles''. Face à ce fléau, il est recommandé aux commerçants et aux tenanciers de gargotes de ne plus laisser un centime dans les boutiques.
Dahra, victime de son essor économique
Dans cette partie du Djolof, il est rare de se réveiller un jour, sans entendre un cas de vol. Alpha Sylla, responsable politique du Rewmi, estime pour sa part : ''La ville ne peut pas être gérée seulement par les hommes en bleu. Il nous faut un commissariat de police. Chez moi, au quartier Ndiambor 3 Wagons, récemment, les voleurs ont escaladé le mur et emporté 4 téléphones portables, une bonbonne de gaz et 3000 F. Ils ont fouillé toutes mes poches'', raconte-t-il. Un autre responsable politique, Baba Lissa Ndao de la LD, estime que l’insécurité à Dahra est liée à trois facteurs. ''D’abord, la situation géographique fait de Dahra un carrefour. Le rayonnement économique, au-delà des frontières du pays, à travers le luuma, attire des milliers de personnes venues de toutes les régions et des pays voisins. Ensuite, les investissements en matière d’électrification n’ont pas suivi le développement démographique. Peu de quartiers bénéficient de courant et seule l’artère principale est éclairée. Enfin, la gendarmerie, faute peut-être de moyens ou d’hommes, n’est plus à la hauteur de la tâche. Depuis un semestre, elle semble dépassée par la situation. Il y a plus d’un an, elle avait réussi à museler les voyous. Pour preuve, durant l’opération «Aar gox yi», à la veille de la tabaski, il y a eu des vols de bétail dans les villages environnants.''
L’acte 3 de la décentralisation, la solution ?
Néanmoins, B. L. NDAO pense que l’espoir est permis. «Avec l’application de l’acte 3 de la décentralisation que nous saluons et soutenons de tout cœur, nous espérons un poste de police avec l’érection de la localité en département et une caserne de sapeurs-pompiers. Cela va permettre à la maréchaussée de se concentrer sur la zone rurale et à la police de sécuriser les communes. Le tout accompagné par une équipe municipale qui prend en charge véritablement les préoccupations des citoyens.» Mbaye Diop MBAYE, délégué du quartier Dahra Mbayène-Ndiambor, y va de sa solution. «Les cas de vol, dit-il, défraient la chronique. La mise en place de conseillers de quartier est indispensable. Ces derniers supervisent le quartier et peuvent même créer des comités de surveillance qui seront composés des jeunes qui surveillent volontairement leur quartier. La ville est maintenant un carrefour, il nous faut un poste de police.»
Zoom sur le dispositif sécuritaire 15h 30mn, à la gendarmerie de Dahra. Le major Oumar Cissé, commandant de brigade, vêtu d’un cafetan impeccablement repassé, se montre intéressé par les questions sur la sécurité. ''Vous savez, la sécurité est la raison d’être des brigades territoriales qui en font un sacerdoce. La brigade de Dahra assure par tout temps des missions de sécurité, de sûreté, de tranquillité et de paix publique.'' En effet, des postes avancés ont été créés à 40 km au nord à Yang Yang et 40 km au sud à Darma (ou Déaly). Les deux postes, de par leur emplacement stratégique, réduisent les délais d’intervention et couvrent les arrondissements de Yang Yang pour le premier poste, et ceux de Sagatta Djolof et Darma pour le second. Ils servent également de tampon entre le Djolof et le Walo d’une part, et entre le Djolof et le Baol, de l’autre. Au niveau de Dahra et environs, il est mis en place une patrouille mixte avec comme objectif la surveillance des centres commerciaux et des points d’argent (mutuelles et établissements financiers). Pour la patrouille motorisée, (2 véhicules) sont utilisés, ils tournent autour de la ville et procèdent à des contrôles systématiques des personnes rencontrées, à partir de 01 heure du matin et de tous les véhicules traversant la localité par la route nationale n°3 (Touba-Dahra-Linguère) et la route régionale 32 (Dahra-Louga). ''L’effectif de la brigade... pose problème'' ''L’effectif de la brigade par rapport à l’explosion démographique de Dahra, véritable pôle économique sous-régional, pose problème'', confie le major Oumar Cissé : moins d’une douzaine d’éléments pour une cité de plus de 40 000 âmes. D’autant, la brigade de Dahra couvre une superficie de 800 km2. ''Dès fois, le renfort de l’escadron de surveillance et d’intervention (ESI) installé à Linguère soulage les pandores de Dahra qui travaillent 7 jours sur 7'', tient-il à préciser. Un rythme infernal qui laisse des séquelles sur les corps des troupes. Pourtant, les bandits n’en ont cure! Ils exploitent les failles du dispositif pour passer entre les mailles du vaste filet et commettre leurs crimes et larcins. Les hommes en bleu arrivent très souvent à mettre la peur dans le camp des malfaiteurs. Mais malgré leurs efforts notoires, les voleurs continuent de hanter le sommeil des populations. En effet, dans la nuit du vendredi au samedi, les malfrats ont dérobé 15 téléphones et des ordinateurs portables, dans les quartiers Angle Ndiakhay, Médina Ndiaye, Angle Islam et Ngeuneunène. |
Le Maire : ''Il nous faut un poste de police'' «Ces vols s’expliquent par le fait que Dahra est devenu une très grande ville. Elle est même le poumon économique du département. Depuis l’achèvement de la route Linguère-Matam, l’économie tourne. Dahra est devenu le point de convergence de milliers d’opérateurs économiques de la sous-région ouest-africaine qui viennent au luuma pour s’approvisionner en bétail. C'est une ville habitée par des nantis qui investissent dans le commerce'', déclare le Maire Papa Alioune SARR, pour expliquer l'insécurité qui règne dans sa circonscription. Basé à Dakar, il avoue avoir «lu tous ces cas de vol à travers la presse». Donc, selon l’édile de Dahra, ce renouveau économique attire le milieu interlope. ''La gendarmerie à elle seule peine à assurer la sécurité. Il nous faut un poste de police, pour renforcer le dispositif de sécurité. On a même prévu d’en parler lors de notre prochain conseil municipal. Nous allons prendre des mesures idoines pour chasser tous ces malfaiteurs», s’engage-t-il. À Dahra, il n'y a que le Préfet Guedj Diouf qui ne vit pas dans l'insécurité. Joint par EnQuête, il a balayé d’un revers de la main la question. Pour lui, «ce ne sont que de petits larcins commis par quelques bambins. Il n’y a pas d’insécurité, mais juste des cas de vol» a-t-il tenté de relativiser. Revenant sur l'attaque du CEM 1, le Préfet a martelé qu'il ne s'agit là que ''de la pure simulation». |