Publié le 22 Nov 2015 - 00:54
AVIS D’INEXPERT

Après le compte-rendu, l’enquête

 

Tout ministre de l’Environnement qu’il fut, tout défenseur de la forêt qu’il soit et reste, Aly Haïdar ne dit pas que la vérité incontestable dans ce qu’il déclare et relevant de son domaine, plus précisément là où nous voulons en venir : la défense de la forêt mise en péril dans la région de Sédhiou par de teigneux braconniers sylvestres. En effet, Haïdar a eu à déclarer dans un communiqué envoyé à la presse sénégalaise que ces déforesteurs ont coupé vingt mille troncs d’arbres, des propos qui en ont ému plus d’un. Les journalistes en sont restés là. Sans plus ; sans se poser des questions sur la vraisemblance de l’affirmation d’un Haïdar tellement expert dans son domaine que la presse n’a pas jugé utile de mettre en doute ses propos.

Et pourtant, après en avoir fait compte-rendu, un genre rédactionnel dont on dit qu’il constitue plus de 80 pour cent de la production des journalistes, il y a de ces informations, déclarations qui méritent qu’on revienne là-dessus ; les pèse et les soupèse. Et c’est ce travail qu’a fait la toute nouvelle agence de fact checking, Africa Check, lancée il y a quelques jours à Johannesburg, en Afrique du Sud, et dont la rédaction francophone se trouve à Dakar et est pilotée par Assane Diagne, ancien rédacteur en chef de l’Agence de presse sénégalaise (Aps). Africa Check a interrogé des experts et des exploitants forestiers pour savoir si Haïdar dit vrai au travers d’une interprétation des chiffres qu’a avancés ce dernier. Et les explications données par les uns et les autres en font arriver à la conclusion que le ‘’Cousteau sénégalais’’ a exagéré, et très largement d’ailleurs. Selon, l’inspecteur régional adjoint des Eaux et Forêts de Sédhiou, le commandant Seydi Aboubacar Bèye, ‘’techniquement, ce (les affirmations de Haïdar, Ndlr) n’est pas possible et c’est super exagéré’’.

 Et ce n’est pas le seul exploit de la si jeune agence : au Sénégal, on boit 24 millions de litres de vin par an, ont déclaré des ‘’spécialistes’’ dans le cadre du lancement d’insolites activités viticoles au Sénégal, dans la périphérie du village de Nguékokh ! Africa Fact Check a repris cette information, demandé à des experts, pour arriver à la conclusion que cette affirmation, autant que les 20 mille troncs d’arbres de Haïdar, est exagérée. ’Ni le Wine Institute de Californie, ni l’Oms, ni la Douane sénégalaise, encore moins l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) ne confirment ce chiffre de 24 millions de bouteilles de vin  bues par an au Sénégal. Toutes ces organisations avancent des chiffres inférieurs ne faisant même pas la moitié de ce niveau de consommation annoncé. La meilleure estimation jusqu’ici disponible est plus proche des 7 millions, soit moins du tiers du chiffre avancé’’, tempère Africa Check.

Certainement que cette nouvelle agence de presse spécialisée dans l’investigation pourra nous en dire un bout sur la ‘’faisabilité’’ de l’autosuffisance en riz au Sénégal en 2017.

Les auteurs de déclaration à l’emporte-pièce, les démagogues de tous bords sont attendus de pied ferme par cette nouvelle forme de journalisme (d’investigation celui-là)  qui va au-delà de l’actualité et qui ne fait aucune concession à l’émotion… Ils n’ont qu’à bien se tenir ; et faire attention à ce qu’ils disent ; à se rappeler qu’il y a désormais des journalistes tout-ouïe qui vont enquêter sur les ‘’ça ne va pas’’ dont le professeur de journalisme au Cesti, Mohamed Diop, disait qu’ils étaient prétexte à enquête. Oui, il y a un gros et retentissant ‘’ça ne va pas’’ quand des œnologues (spécialistes du vin) estiment (est-ce une estimation, d’ailleurs ?) à 24 millions de bouteilles par an la consommation sénégalaise de vin ! Alors, nous serions de grands soiffards !

Ce format de journalisme instauré au Sénégal, mais aussi en Afrique, de manière plus élargie, nous (journalistes)  instruit, remet en cause nos certitudes et routines professionnelles, en ce qu’il affûte en nous le réflexe de nous poser les bonnes questions sur toute information ; quel est son enjeu, sa véracité ; son intérêt… Derrière l’information donnée dans un compte-rendu routinier peut se cacher un aspect original, encore plus intéressant, plus spectaculaire. Le journaliste doit savoir poser (dans la phase de collecte de l’information) de bonnes questions et s’en poser de tout aussi bonnes (avant d’aller à la recherche de l’information et de traiter cette dernière) pour obtenir de bonnes réponses. Tout est dans la pugnacité et la sagacité avec laquelle on conçoit les questions et avec lesquelles on les pose à des interlocuteurs bien choisis (là aussi, c’est important, à savoir bien choisir ses sources). On n’obtient pas une information qui bat en brèche la déclaration de Haïdar en allant questionner un sociologue (une espèce d’interlocuteur que nombre de journalistes sénégalais croient qu’il a réponse à tout)  et c’est sans doute pour les railler que les parodistes de la Rfm (Dialgaty Xibaar) ont créé le truculent personnage ‘’Dakarologue en sénégalologie’’.

Jean Meïssa DIOP

Post-scriptum : Lu sur la page Facebook du Pr Chérif Salif Sy, économiste, ancien proche collaborateur du président Abdoulaye Wade : « Obtenir le soutien des médias ou de la communauté internationale est une des stratégies payantes mise en place par les mouvements non-violents ; il ne faut peut-être pas la considérer comme une « condition nécessaire pour la victoire » dans un pays X, mais plutôt comme « un moyen stratégique d’orienter l’engagement de ces acteurs » par des mouvements non violents. »

 

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