Publié le 28 Dec 2019 - 15:34
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Appel à témoins sensationnalistes

 

Si vous avez été témoin d’un événement sensationnel et que vous l’avez filmé et/ou enregistré, envoyez une copie à la chaîne de télévision SenTv. Nous citons, en substance, un message diffusé en boucle à l’écran de cette chaîne. Et que gagneraient, dans l’opération, les témoins recherchés avec insistance ? De l’argent ? De la reconnaissance ? Si les individus visés par cet appel le font pour de l’argent, ils risquent bien de succomber au goût de la chasse aux primes, parce qu’y ayant été incités par le biais d’une opération qu’en journalisme on appelle du crowdsourcing, un anglicisme qui définit une mise à contribution - par le journaliste ou un organe de presse - du public dans une collecte de l’information.

Le versant financier du crowdsourcing est le crowdfunding – financement citoyen d’un travail d’investigation journalistique. L’un comme l’autre postulent une honnêteté, une équité, une très grande rigueur dans le traitement d’informations reçues en masse et dont certaines pourraient avoir des objectifs de manipulation, de désinformation. Certaines images devraient être passées au vérificateur d’authenticité que de plus en plus de médias créent pour se prémunir de la manipulation et de la désinformation.

C’est à ces risques que nous font penser les appels à témoins d’une chaîne de télévision ; appels à lui livrer des productions audiovisuelles sur des faits vécus. Le risque de dérapage est très grand, surtout au fil de l’expérience. En effet, selon le sujet et les faits, le témoignage sonore ou vidéo pourrait dériver vers le règlement de comptes, la délation et le voyeurisme. Surtout que par ces temps qui courent – et l’accident au bilan macabre survenu le 26 décembre 2019 au niveau de l’échangeur de l’Emergence a prouvé combien des témoins d’un événement ont le goût du sensationnalisme et des scènes morbides. Plutôt que de secourir les accidentés de la circulation qui auraient, peut-être, pu être sauvés, ces témoins cyniques ont préféré filmer sur leur smartphone les faits macabres dont le bilan sera de 3 morts.

A quoi destinaient-ils les éléments recueillis ? Les plus cupides peuvent avoir pensé à les monnayer ; les plus sensationnalistes peuvent les avoir postés sur les réseaux sociaux que des spécialistes des médias accusent d’avoir ‘’socialisé le voyeurisme et démocratisé l'exhibitionnisme’’. Plus les rendez-vous seront ‘’intéressants’’ - d’un point de vue voyeuriste – plus la chaîne qui pratique le crowdsourcing sensationnaliste voudra en offrir à un public ‘’exposé’’ - au sens communicationnel du terme.

C’est à se demander si le cynisme du pont de l’Emergence n’est pas un inédit au Sénégal ; inédit en ce sens que les chasseurs d’images occasionnels n’ont pas eu un réflexe de solidarité à l’égard des accidentés dont trois ont péri. Il est vrai qu’il s’est produit sur les routes sénégalaises beaucoup d’accidents routiers dont les scènes ont été montrées à l’opinion, mais le comportement des témoins de l’accident du pont de l’Emergence a été d’un cynisme effarant. Le public ne demande certainement pas un droit à être informé de la sorte, c’est-à-dire par l’exhibitionnisme et l’indécence. Il ne faut cependant pas qu’on le prenne à l’usure, c’est-à-dire lui servir l’horreur à doses homéopathiques, au point que l’habitude tue en lui la répulsion de l’horreur et la capacité de discernement de l’inconvenance.

L’autorité de régulation de l’audiovisuel devrait suivre de près les résultats de ces appels à témoins pour voir quel usage en a fait un média relevant du champ de compétences du ‘’gendarme de l’audiovisuel’’.

Les paparazzis qui pourchassèrent Lady Diana et son amant ont été accusés d’avoir tué la princesse de Galles ; à tout le moins, ils auraient pu et dû la secourir plutôt que de continuer à vouloir immortaliser des postures les plus originales de la princesse blessée à mort dans un amas de ferraille de voiture. Les chasseurs d’images du pont de l’autoroute de Dakar ont été dans la même posture. Mais il est certain que qui s’aventurera à publier son film sera poursuivi en justice et sanctionné, d’autant plus que la loi prévoit des sanctions contre des agissements de ce type.

 

 

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