Pourquoi encore interdire d’enregistrer un procès ?
Y a-t-il encore quelque pertinence à interdire l’enregistrement au moyen d’un magnétophone, d’une caméra ou tout autre appareil électronique un procès judiciaire à un tribunal formel ? Au Sénégal, voilà la question posée, au regard de la forêt de smartphones qui ont filmé les comparutions de l’imam Ndao, accusé de menées terroristes, et de Khalifa Ababacar Sall, Maire de Dakar, prévenu de faux et usage de faux en écritures publiques, détournement de deniers publics et blanchiment d’argent.
Nous – ou alors beaucoup d’entre nous – aurons remarqué la forêt de bras activant des caméras de téléphones portables dans l’enceinte même de la salle d’audience, qui pour filmer, qui pour photographier les prévenus et ce, pour certains, devant les yeux ou au-dessus des épaules et têtes de gendarmes et gardes pénitentiaires. Qui des contrevenants, ces hommes de loi allaient-ils interpeller ou arrêter pour violation d’une interdiction rigoureuse qui n’est pas en vigueur qu’au Sénégal ? Le voudrait-on que la tâche en aurait été très difficile, à moins de vouloir contribuer à engorger des prisons et des violons de gendarmerie et de police qui ont des urgences plus sérieuses et plus pertinentes.
Oui, il faut le rappeler, la loi punit tout enregistrement vidéo ou photographique d’une salle de tribunal. La question a d’ailleurs été en débat, lors du séminaire ‘’Médias et justice’’ organisé les 27, 28 et 29 mai 2016 à Saly-Portudal par le ministère sénégalais de la Justice et auquel nous avons consacré une édition de cette chronique ; laquelle fut une communication faite par votre serviteur à ce panel.
Jusqu’à présent, journalistes, chroniqueurs judiciaires et citoyens ordinaires désireux de mémoriser une séquence ou l’intégralité (pourquoi pas ?) d’un procès s’en tiennent à l’interdit légal sans savoir pourquoi. Et aussi pourquoi le Sénégal, où la loi punit l’enregistrement d’un procès, a contrevenu à sa propre loi en autorisant le procès de l’ancien président de la République du Tchad au motif que la juridiction devant laquelle s’est tenu ce procès est d’une loi internationale au-dessus de celle du Sénégal ! Deux poids, deux mesures donc.
Dans les grandes – et aussi les petites - affaires judiciaires, à défaut de pouvoir prendre des photos d’un tribunal en session, la presse se contente de dessins et croquis de prévenus et accusés, d’avocats et de membres de la cour. ‘’Seuls les dessinateurs judiciaires sont autorisés à "croquer" les prévenus dans le box des accuses, lors des procès d’assises, leurs dessins étant considérés comme une interprétation’’, explique le blog www.apprenti-juriste.over-blog.fr/article-28954319.html.
En France, la ‘’loi n°54-1218 du 6 décembre 1954 venant modifier l'article 39 de la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse en vue d'interdire la photographie, la radiodiffusion et la télévision des débats judiciaires. (…) Pendant le cours des débats et à l'intérieur des salles d'audience des tribunaux administratifs ou judiciaires, l'emploi de tout appareil d'enregistrement sonore, caméra de télévision ou de cinéma est interdit. Sauf autorisation donnée à titre exceptionnel par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, la même interdiction est applicable à l'emploi des appareils photographiques’’.
Et qu’est-ce qui fonde cette disposition ? Selon www.apprenti-juriste.over-blog.fr/article-28954319.html, ‘’il y a de nombreuses raisons qui ont poussé le législateur, très tôt, à faire interdire les caméras dans les salles d’audience et qui tiennent essentiellement à la protection de la défense. D'abord, le législateur a voulu éviter de troubler la tranquillité (toute théorique) des débats. On imagine aisément le bazar que peut être l'installation des chaines de télévision dans une salle d'audience. Et puis, dans des affaires médiatiques, l'avocat risquerait de plaider pour la caméra et non pour le juge.
En plus de ça, il peut être préjudiciable, pour un accuse, que soient filmés des extraits qui seraient médiatisés à l'entière discrétion des journalistes. On imagine aisément un procès d'assises d'un violeur présumé dans lequel le journaliste parvient à saisir un bref instant une mimique qui donne à l'accusé un visage de violeur. La photo fait alors le tour des médias et les jurés qui, pendant la durée du procès, restent en contact avec le monde extérieur, peuvent facilement être influencés. Evidemment, la médiatisation des procès a déjà lieu et cause pas mal de soucis à la présomption d'innocence (…).
En effet, il y a plusieurs manières et styles pour filmer, et certaines peuvent être ou accusatrices ou ‘’innocentantes’’ ou ‘’disculpabilisatrices’’. Tout est question d’angle. Lors de la relation du procès de Habré à Dakar, la télévision nationale du Sénégal s’est permise d’aller au-delà du compte rendu habituel et classique pour insérer des éléments d’archives ‘’enfonçant’’ l’accusé ! Ce fut un grave problème, ce fut une novation au Sénégal.
Néanmoins, dans certains pays, elle n’existe pas, cette interdiction faite par le Code de procédure pénale ‘’de filmer, de prendre des photos ou d’enregistrer pendant un procès’’. En Angleterre, l’introduction de caméras dans les tribunaux est très récente et date de 2014. A en croire le blog www.apprenti-juriste.over-blog.fr/article-28954319.html, la palme de l’étrange revient (…) à l’Afrique du Sud, où une chaîne a été créée spécialement pour diffuser le procès d’Oscar Pistorius, quasi intégralement filmé. Son nom ? "La chaîne du procès d’Oscar"… Qui fait mieux ?