Poissons d’avril au goût douteux
Remaniement ministériel aux termes duquel l’ancienne Premier ministre, Aminata Touré, actuelle envoyée spéciale du président de la République, aurait été nommée ministre de l’Intérieur ; Madiambal Diagne ministre de la Communication ; l’Ambassade des Etats-Unis qui offrirait des visas américains à tout Sénégalais sur présentation de sa carte d’identité, Kouthia et Aïssatou Diop Fall qui auraient quitté la chaîne de télévision dakaroise Tfm pour, concernant la seconde, retourner à Walf Tv, Gaston Mbengue qui aurait ficelé le combat de lutte Balla Gaye 2 contre Yékini…
On en a vu de beaux, de succulents, mais aussi certains au goût douteux, hier 1er avril, journée du poisson d’avril, de l’intox, de la fausse nouvelle, du hoax (information circulant sur les réseaux sociaux sans source fiable ni identifiable). Cette franchise dans la diffusion de la fausse nouvelle est une vieille tradition française et la presse sénégalaise l’a adoptée en assaisonnant le poisson selon des talents ‘’gastronomiques’’ aussi divers que le sont le sens de l’humour des uns et des autres. En fait, le poisson d’avril, une fausse information à objectif de plaisanterie, est ce que, dans le jargon des journalistes, on appelle un marronnier, c’est-à-dire un fait d’actualité, pas important dans certains cas, très important dans d’autres, qui revient à intervalle régulier, mais dont les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ne comprendraient pas qu’il ne soit pas traité en tant qu’actualité par la presse.
L’humour n’est pas facile, il ne réussit pas à n’importe qui ; il postule une bonne dose d’intelligence, selon le polémiste français Jean Edern Hallier qui soutient que ‘’l’humour est le tranchant de l’intelligence’’. ‘’Il fait appel à l'intelligence du lecteur, selon Michel Balmont sur son site à dissertations (http://michel.balmont.free.fr/pedago/lumieres/dissert_ironie.html). L'ironie est une arme, en quelque sorte naturelle, de la raison. D'abord parce qu'elle suppose le lecteur suffisamment subtil pour décrypter l'énigme du texte’’.
Dans les journaux et sur réseaux sociaux, sur les radios on en lit et entend de tous les styles, mais la plupart est de ce qu’on pourrait appeler le degré zéro de l’humour ; et moins il fait rire, moins le canular du 1er avril est crédible pour que les destinataires le dévorent à belles dents. Dans la presse écrite de vers la fin des années 90, il y en eu un de fort bien réussi, car ayant faisant état d’une distribution, par un riche arabe, de poulets. L’annonce fit se ruer vers le stade Iba Mar Diop de Dakar (où était supposée se tenir la distribution) des foules d’affamées et aussi d’amateurs de poulets. On entend encore, d’ici, le fou rire et les colères pleines de dépits des individus pris au piège.
Il y a moins de quinze ans, la rédaction de Wal Fadjri prépara un poisson d’avril d’une vraisemblance telle qu’il aurait pu valoir à l’organe de presse un tour à la Dic ! Mais, on renonça au gag de 1er avril. C’était quoi ? Que le khalife général des mourides d’alors, Serigne Saliou Mbacké, avait presque imposé au président Wade, talibé mouride aussi fervent que fébrile, de prendre une seconde épouse et que en colère contre cette épousailles, la fille des Wade, Sindjéli, fit une fugue. Le projet de poisson d’avril fut abandonné… A cause des retombées qu’il aurait pu avoir. Il y a eu un sens des responsabilités dont il faut se féliciter.
Le fait qu’il soit de l’humour, le poisson d’avril ne peut porter sur n’importe quoi, sur n’importe quel sujet. Il est de ces blagues qui peuvent être considéré, par un juriste intransigeant comme de la diffusion de fausse nouvelle. Aussi faut-il se demander si le poisson d’avril peut être une excuse à une vraie diffamation ou diffusion de fausse nouvelle. Serait-il encore excusable un poisson d’avril qui provoque la panique populaire ?
En dehors de la périodicité quotidienne, un journal ne devrait pas pouvoir servir un poisson d’avril. Parce qu’il se passerait un délai anormalement long entre la publication de la blague et son démenti qui doit être presque immédiat. Une radio devrait le faire dans la journée, et un journal quotidien le lendemain de la diffusion du gag. Alors qu’un périodique du genre hebdomadaire, mensuel, trimestriel etc. ne pourrait pas. L’illustration fut donnée par le magazine de la Rts, ‘’TéléMag’’ qui annonça, photo à l’appui, le mariage de Michaël Soumah… Ce fut si vraisemblable ! Mais le public ne fut informé du faux qu’à la parution suivante de ‘’TéléMag’’, le mois suivant ! Le poisson avait perdu de son goût et ses exhalaisons le rendirent infect.
‘’Il y a surtout que la tradition du poisson d’avril s’essouffle, écrivions-nous l’an dernier, en avril 2015. Quand une radio en fait, elle se voit obligée de révéler ce gag dans la journée même ; alors qu’un journal écrit ne le fait que vingt-quatre heures après, c’est-à-dire à son édition du lendemain (si évidemment la parution n’intervient pas un week-end). Les journaux périodiques, les mensuels notamment, en sont, pour ainsi dire, exclus de cette ‘’dégustation’’ du poisson d’avril. Le défunt Télé-Mag, le magazine mensuel des programmes de la Rts (Dieu que ce journal fut de bonne facture et digeste et riche !) l’expérimenta à ses dépens en servant un poisson d’avril qu’il ne put révéler qu’un mois après, au lieu du jour même du 1er avril !
Tout cela pour dire que la préparation du poisson d’avril n’est pas une affaire aussi simple, ni désinvolte ; elle doit l’affaire d’un rédacteur qui a le sens des responsabilités et de l’humour, le vrai, qui ne fasse pas rire jaune. Et c’est comme cela qu’une tradition a de la crédibilité et de la longévité