Abdoulaye Diallo et ses amis comptent forger une nouvelle humanité, grâce à l’art
Ce n’est certainement pas pour rien que l’île de Ngor est désignée comme havre de culture. Nombreux sont les artistes qui y résident ou y ont leur atelier, dont Abdoulaye Diallo. D’ailleurs, ce dernier participe à sa manière, avec les amis du Penc 1.9, à la 14e édition de la Biennale des arts de Dakar. Le vernissage de son exposition s’est tenu d’ailleurs le weekend dernier.
MAGUETTE NDAO
Les expositions Off sont aussi nombreuses que diverses. Si certains ont décidé de ne faire parler que la peinture en ces temps de Biennale des arts, le Berger de l’île, Abdoulaye Diallo, a décidé, lui, de célébrer différents arts. Ainsi, le weekend dernier, il a organisé le vernissage de son exposition de fort belle manière. Il a allié plusieurs arts et mis à contribution musiciens, stylistes et designers. Un beau cocktail a ainsi été servi aux amoureux des arts. Tout rendre dans la thématique générale de cette 14e édition du Dak’Art.
‘’Ĩ Ndaffa#’’, le thème de la biennale de cette année, qui veut dire «forger» en langue sérère, est perçu ici par le commissaire de cette exposition, le professeur Maguèye Kassé, comme un appel à une réflexion beaucoup plus profonde et beaucoup plus globale.
Néanmoins, il a émis le souhait d’élargir le champ conceptuel de forger. ‘’Parce que quand nous posons la question : quelle humanité pour demain ?, nous répondons : nous voulons forger une nouvelle humanité’’, déclare le Pr. Maguèye Kassé. ‘’L’art transmet des émotions caractéristiques de l’humain. Il fait voyager dans l’espace et le temps. L’art est partage, il est maïeutique. Il éveille les consciences’’, a souligné le Pr. Kassé.
Ainsi, pour une amélioration de la vie sociale dans monde dominé par les hommes, Abdoulaye Diallo, le Berger de l’île, a dédié son exposition à la Femme et à la Fille. Quatre thèmes mettent en valeur son exhibition : ‘’Madame je m’incline, l’écolière, l’épouse et la question de la décision’’.
Selon l’artiste-peintre, ‘’nous vivons de nouveaux temps ; il nous faut de nouveaux champs’’. Ainsi, il suggère de travailler à l’investissement sur la femme et particulièrement sur la mère ; travailler à la quête de l’excellence dans l’éducation et travailler à l’investissement dans le talent. ‘’Que l’objectif soit d’améliorer la santé de la famille, la scolarisation des enfants ou la vie communautaire. C’est en éduquant les mères et en promouvant de manière générale la condition féminine que les sociétés ont plus de chances de voir leurs efforts aboutir. Notre monde trop exclusivement dominé par les hommes, a beaucoup à apprendre et à attendre de celles qui ont en elles la plus belle industrie au monde, la fabrique de l’humain’’, a-t-il plaidé pour la Femme et la Fille.
Par ailleurs, dans un cadre artistique où les vagues dociles de la plage contrastaient avec les mélodies berceuses du jazz, les couleurs et les émotions ont fait voyager dans le temps et l’espace. L’art ayant fait ressusciter l’histoire avec les œuvres des artistes-peintres et photographes qui ont exposé à la Maison du Bonheur. Les jeunes artistes, sous la houlette des responsables de la Maison du Bonheur, ont également exposé leurs œuvres. Des techniques de peinture acrylique et de collage papier sur toile, en passant par l’acrylique sur carton et la photographie sont utilisées par les artistes. La lutte et l’unité du pays ont été au cœur des créations. Dans une salle colorée, riche en créativité, la gaieté cédait parfois place à la mélancolie.
En dehors de l’exposition d’artistes-plasticiens en résidence dans le cadre du ‘’Pinceau de l’intégration’’, des thématiques dans le domaine de l’art, par des défilés avec des artistes comme Oumou Sy et Amanda Fashion, ont été abordées. Un hommage a été rendu aux Lions du football, le tout sous le regard approbateur de l’archevêque de Dakar et de l’imam de l’île.
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DAK’ART-EXPO - ‘’HABITER LE MONDE : ESQUISSER D’UNE RENCONTRE’’
Des Africains ou Afrodescendants explorent l’espace et le temps
Lauréat de la Biennale de Dakar 2O10, le commissaire Moridja Kitenge Banza s’est inspiré du livre de Felwine Sarr pour proposer l’explosion ‘’Habiter le monde : Esquisser d’une rencontre’’ à la MCU de Ouakam. Cinq artistes africains ou afrodescendants ont travaillé autour de ce projet, dans le cadre du Dak’Art 2022.
BABACAR SY SEYE
Dans le cadre de la 14e édition de la Biennale de Dakar, la Maison des cultures urbaines (MCU) de Ouakam abrite l’exposition intitulée ‘’Habiter le monde : Esquisser d’une rencontre’’. Une exposition collective présentée par des Africains et des Afrodescendants. En effet, en référence à l'essai de politique relationnelle de Felwine Sarr, le commissaire Moridja Kitenge Banza, lauréat de la Biennale de Dakar 2010, propose un ‘’essai’’ d’art visuel qui soulève des réflexions sur les enjeux du pouvoir existant dans un territoire.
‘’En vivant à Montréal, moi qui ai grandi au Congo, je me suis rendu compte que le discours issu de l’Afrique ou de la diaspora africaine était totalement différent du discours que j’avais eu, puisque j’ai grandi dans un autre espace’’, a expliqué Moridja Kitenge Banza.
Depuis cette révélation, il n'a qu'une seule obsession : amener des artistes sur le continent africain, pas juste pour une visite touristique, mais à la Biennale de Dakar. L’idée, c’est de permettre à la relève (artistes afrodescendants) de pouvoir confronter les réalités nord-américaines avec celles qui sont complètement africaines, par des œuvres d’art, mais aussi par des discussions. Ainsi, chacun des artistes inclus dans cette exposition présente une œuvre ou une série qui met en avant la singularité de ses expériences personnelles.
Mémoire et nostalgie
Des personnes d’un âge avancé parlent à travers une projection de l’artiste d’origine haïtienne basée à Montréal qui travaille le textile, Michelle Sergile. Venus nombreux, les visiteurs qui se penchent devant l’œuvre ne voient que la bouche de ces personnages racontant une histoire. L’artiste remet en question, en effet, les récits historiques de son pays d’origine, Haïti, juxtaposés aux récits familiaux qui lui ont été transmis par ses parents. À travers une installation intégrant le textile et la vidéo, elle nous aide à comprendre l’importance de l’archive et son influence sur nos façons d’habiter un espace.
‘’Petit oiseau ne va pas dans cette direction ; tu vas te faire tuer, manger’’, retentit une chanson violente. Elle est ainsi chantée sous couvert de l’anonymat, par les parents de l’artiste, pour que tout le monde puisse s’y identifier. Alors que la voix des aïeux est en douceur et que le tissu est très doux, les paroles, quant à elles, sont violentes. ‘’Tous les contes qu’on connaît, comme ‘Petit chaperon rouge’, au final, il y a plusieurs sens, mais ce n’est pas nécessairement quelque chose de doux. Il y a la violence qui est derrière’’, a soutenu Michelle Sergile. Son travail invite à réfléchir sur la perception de la dictature en Haïti. Les gens se battaient finalement pour qui ? La violence était faite par qui ? Est-ce que les femmes ont contribué à la violence durant cette dictature ? Cette réflexion sur la trace est proche de celle de l’artiste Anna Binta Diallo.
De père sénégalais, elle est née au Sénégal, mais vit au Canada, pays de sa mère. Elle participe à son premier Dak’Art. Dans le cadre de cette exposition, elle parle de l’humanité, des différentes cultures, et surtout la relation de l’Homme avec la nature. Elle présente une série d’œuvres présentant différents personnages. Et chaque personnage représente différentes images mises ensemble pour créer une autre image. ‘’L’exposition évoque les différentes périodes de notre histoire humaine pour le futur. Alors, c’est les réflexions entre la dominance de la nature, mais aussi notre dépendance à la nature, entre l’équilibre qu’il faut’’, détaille Anna Binta Diallo qui utilise beaucoup d’images de cartes pour rappeler que le monde est interprété par différentes personnes. Elle développe ainsi les thèmes de la mémoire et de la nostalgie pour créer des œuvres inattendues sur l’identité.
Interrogation sur les figures symboliques de l’Algérie
Dans la même veine, Berirouche Feddal a, lui aussi, exploré les thèmes de la mémoire, à travers sa création picturale. La question des statuts de figures symboliques les monuments coloniaux et leur influence dans l’espace public sur le patriotisme et le nationalisme, ainsi que la question du souvenir sont au cœur de son œuvre. Par exemple, celle-ci met en scène une statue équestre qui se situe en plein milieu d’Alger. Cette figure représente Emir Abdel Kader, un révolutionnaire algérien qui, dans un sens, a lutté contre les Français durant la colonisation.
‘’J’essaie de comprendre cette relation d’espace et du passé avec toute cette structure osmanienne’’, a expliqué Berirouche Feddal. Emir Abdel Kader était-il vraiment un sauveur d’Algérie ? Est-ce qu’il avait vraiment porté justice ? Est-il mort pour son pays ? ‘’La réponse est non pour certains et oui pour d’autres’’, selon le peintre qui s’est aussi intéressé à un autre personnage appartenant à la famille d’Orléans. Cette famille porte un regard sur son deuil.
‘’Quand il est mort en tombant de sa calèche par accident, il a porté un deuil national’’, a souligné Berirouche Feddal. Estimant qu’il y a un catharisme total, l’artiste entend faire évoluer la conversation et faire découvrir certaines vérités. ‘’Je veux que l’Algérie se repositionne sur l’importance qu’on offre à Emir Abdel Kader, parce qu’il y a des femmes qui ont traversé cette guerre-là, des gens soldats qui ont été cachés, une communauté comme la nôtre qui, à travers un génocide de culture, a été bafouée. Je veux savoir, au-delà d’Emir Abdel Kader, ce qui se cache derrière cette indépendance’’, a précisé le peintre.
La reconstruction
À côté du travail de Berriouche Feddal, les visiteurs aperçoivent des briques superposées, des carreaux bien rangés sur le perron. Sur ces carreaux tracés, gravés, hybridés à main levée, on peut voir une carte. On a l’impression de se retrouver sur un site en construction. C’est l’œuvre de Patrick Henry.
En effet, en commémoration aux tremblements de terre qui ont eu lieu en Haïti en 2010 et en 2021, il a travaillé sur un sujet qui est toujours d’actualité. Par l’intermédiaire de son œuvre sculpturale, il suggère une réflexion sur la reconstruction de soi, mais également sur la capacité d’agir par rapport à ce qu’impose la mémoire d’un territoire.
‘’J’ai incrusté des matériaux qu’on retrouvait dans le corps des gens, sous les décombres. Il s’agit de savoir des morceaux de leur quotidien, des morceaux d’acier, des morceaux de métaux, de briques, des morceaux de vêtements, etc. Ce, pour aborder dans ce penchant la mémoire. Vraiment, on garde les traces, les meurtrissures, mais on va aller dans un processus de reconstruction. Qui est aussi le mien, car j’ai immigré au Québec. Donc, je refais ma vie là-bas’’, a dit Patrick Henry.
Enfin, artiste pluridisciplinaire, originaire d’Haïti et basé à Montréal, Lacroix propose une dissection du lien complexe et (parfois) tordu qui existe entre un individu et son environnement, ses habitudes de vie et son identité, au moyen d’une installation et d’une vidéo. ‘’Un pays magique dans ses contrastes, dans sa générosité’’ est l’intitulé de son travail. La vidéo relate une expérience personnelle traduite dans un univers poétique, un individu qui évolue dans un environnement complexe et ouvert.