Une ville dans une ville
Ouaga 2000 est la nouvelle cité de l’élite burkinabée. Toujours en construction, elle fait débat, alors qu'elle existe depuis la fin des années 1990. ENQUÊTE y a fait un tour.
Situé au sud-est du centre-ville de la capitale ouagalaise, Ouaga 2000 est le nouveau quartier des nantis. On peut l'assimiler aux Almadies du Sénégal. La zone est habitée par des ministres, de hauts fonctionnaires de l’État, ainsi que de grands commerçants et autres chefs d'entreprises. Les footballeurs y résident également. La maison de l'international Burkinabé Jonathan Pitroipa trône royalement au milieu des villas cossues. En somme, c'est le fief de l'élite burkinabée. Le quartier a été créé par le Président du Faso, Blaise Compaoré.
''Si un pauvre dort à Ouaga 2000, c'est parce qu'il est gardien'', déclare Ibrahima Ibouldo. Il n'est pas le seul à penser ainsi. Dans la capitale, les taxis ''niafu niafu'' ( ndlr : les taxis bons prix) peints en vert, différents des ''taxis propres'' (ndlr : les taxis aux allures de voitures personnelles et non peints en vert) n'acceptent d'aller à Ouaga 2000 que si le client paie le ticket aller-retour. ''À Ouaga 2000, même les chiens ont des 4*4'', prétextent ces chauffeurs de taxi. Pourtant, ce luxe dont parlent les Ouagalais laisse à désirer.
En effet, on sent un net changement, dès qu'on entre dans le quartier. Les bâtisses sont mieux faites qu'ailleurs. Les jardins sont bien entretenus et les bougainvilliers émerveillent. En plus, les gens pensent à construire en hauteur, contrairement à l'architecture générale qui campe le décor de la plupart des quartiers de la capitale. Les Ouagalais ne pas construisent en hauteur. Ils se contentent de deux à trois étages tout au plus. Mais à Ouaga 2000, les immeubles poussent peu à peu. Le bâtiment le plus imposant est sans nul doute l'hôtel Libyan arab african investment company (Laaico), rebaptisé ''l'hôtel Gbagbo''. Pour la petite histoire, l'ancien Président Ivoirien, dont le jugement est en cours actuellement à la Cpi, avait l'habitude de descendre dans ce palace qui est une propriété du défunt Khadafi. Avec ses 5 étoiles, il reste le plus prestigieux hôtel de la ville, avec Palace qui se trouve à quelques encablures. C'est dire que presque tout ce que Ouagadougou compte de beau est concentré à Ouaga 2000.
''On a tué ici un taximan..., il s'est trop approché du Palais''
Créée à la fin des années 90, la cité est encore en construction. Les herbes sèches ont envahi certaines rues. De nombreuses maisons sortent de terre ça et là. Il n'est pas rare de trouver des terrains vagues. En plus, toutes les routes ne sont pas encore bitumées. Seules les grandes artères sont bien faites, notamment la grande avenue Ousmane Sembène. Elle s'étend à perte de vue et mène à la frontière ghanéenne. Il y a également l'avenue qui mène à Kosyam, le nouveau Palais présidentiel. Isolé, le palais se trouve seule dans une ''forêt''. Il est entouré de part et d'autre d'arbres. Nulle bâtisse à moins de 250 mètres. Il fait face à une grande avenue sur laquelle se trouve à droite le siège du Cilss et à gauche un nouveau bâtiment administratif en construction.
Les Ouagalais ont peur de circuler aux abords du Palais. Le taxi pris par le reporter d'EnQuête a refusé d'aller jusque devant la maison de Blaise Compaoré. Il s'est garé à 500 mètres. ''Madame, je ne peux pas aller jusque là-bas. On a tué ici un taximan, il n'y a pas longtemps. Il s'est trop approché du Palais'', dit le conducteur. Pour prendre des photos de Kosyam, il a fallu l'accord du garde en faction trouvé au poste de police de la Présidence. ''Vous pouvez prendre des photos, mais il faut aller là-bas''. Il nous indique un point situé à près de 100 mètres de la porte principale. Aucune chance d'avoir une vision nette de la grande bâtisse où loge le président du Faso. Celle-ci étant nichée à près de 800 mètres du portail.
Le coin des sénégalais
Il faut dire que Ouaga 2000 est le quartier où l'on trouve le plus de Sénégalais. Nos compatriotes, vivant à Faso étant pour la majorité des fonctionnaires ou travailleurs dans des entreprises privées, y baignent dans de bonnes conditions. Il faut dire que les nouveaux bâtiments pilulent à Ouaga 2000, à l'instar de Kosyam. ''Tous les ministères et agences de l’État vont être implantés dans ce quartier'', renseigne un collègue journaliste burkinabé. Un immeuble de 5 étages est en construction près de l'hôtel Laaico. C'est le nouveau bâtiment de la direction des Douanes. Les ouvriers sont encore à pied d’œuvre. Réticents au début, ils ont fini par se livrer. ''Il ne reste plus que le pavage à faire'', révèle Bernard.
Un peu plus loin un grand terrain nu est clôturé. On peut lire Bnb (Bibliothèque nationale du Burkina) sur une pancarte accrochée aux barrières en fer. L'Institut national de la statistique et de la démographie est aussi dans le coin, tout comme le siège de l'une des plus grandes télés, Bf1, ainsi que le centre aéré de la Bceao. Les ambassades ont aussi élu domicile dans le prestigieux quartier. Celle des Usa reste la plus imposante, avec ces murs peints en orange et le drapeau américain flottant au milieu d'un jardin bien entretenu. A cela s'ajoute le stade Omnisports à l'architecture moderne, avec son toit en forme de dôme et très joli au dehors. Il est excentré et assez isolé. Comme Wade avec son monument de la Renaissance, Blaise Compaoré a aussi son monument. Il est dédié aux martyrs. Il est grand et imposant. Toujours calme, on n'y voit pas âmes qui vivent.
''On ne peut pas manger Ouaga 2000''
En 1996, le Burkina Faso devait abriter le sommet France-Afrique. Pour bien accueillir les participants à cette rencontre, Blaise Compaoré érigea ce quartier. Au début, il n'y avait qu'une salle de conférence et des lieux d'hébergement de haute facture. Lesquels se fondent aujourd'hui dans le décor. Un terrain nu à Ouaga 2000 coûte très cher. Toutefois, la réalité est un peu différente à la cité Azimo, nichée à l'entrée de Ouaga 2000. Ici, presque toutes les maisons sont construites suivant la même architecture et toutes les voiries sont en latérite. Tout est ''marron''. C'est dans ce coin qu'on trouve des ''maquis'', ces bars prisés des burkinabés. Dans la partie Est, ce sont les grands restaurants, les salons de fitness et les centres commerciaux.
Ce luxe insolent contraste avec la pauvreté des Burkinabés. ''Je n'ai jamais mis les pieds à Ouaga 2000'', affirme Bandé, serveur dans un restaurant. ''C'est loin, je n'ai rien à y faire'', dit-il. D'autres trouvent que Ouaga 2000 n'a pas sa raison d'être. ''Blaise a construit ce quartier, mais n'a rien fait pour les Burkinabés. On ne peut pas manger Ouaga 2000. Les priorités sont ailleurs'', a-t-il dit.
BIGUÉ BOB
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