OMG et SAF sensibilisent sur l’avortement clandestin
L'association Sénégal actions féministes (SAF) déroule une campagne de sensibilisation sur les risques liés à l'avortement clandestin, en s'appuyant sur l'art et la créativité pour toucher une audience jeune et diversifiée. Au cœur de cette initiative se trouve une collaboration avec l'artiste sénégalaise engagée OMG qui vient de sortir un single percutant intitulé "Wax ma lii lanela".
Souvent délicat, abordé sous l'angle de la douleur, du tabou ou des conséquences sociales. Pour lever ces derniers, la campagne ‘’Xool Ko Ci sa Boop’’ est initiée par Sénégal actions féministes (SAF). Un opus interprété par OMG et intitulé "Wax ma lii lanela" est réalisé pour dénoncer les dangers associés à cette pratique, mais également pour mettre en lumière les situations incommodes qui poussent les femmes à y recourir.
Selon la présidente de l’association, Wasso Tounkara, ‘’la population sénégalaise doit être sensibilisée sur les risques de l'avortement clandestin, mais également placer le débat dans l'espace public, parce que c'est une réalité dans ce pays. Il y a trop de tabous et beaucoup de stigmatisations, mais aussi de la désinformation’’, indique-t-elle.
C’est dans ce sens que le choix de collaborer avec OMG ne semble pas anodin pour SAF, car on peut trouver en elle une artiste qui s'est forgé une réputation grâce à son engagement constant contre les inégalités et les injustices sociales. L'association reconnaît aussi en elle une voix puissante et influente, particulièrement auprès des jeunes, cible principale de la campagne. "Nous avons approché OMG en raison de son talent indéniable et de son engagement sur les questions sociales. Sa communauté est majoritairement jeune, ce qui correspond parfaitement à notre objectif de sensibilisation", explique Wasso Tounkara. Une alliance entre art et plaidoyer, pourrait-on affirmer.
Par conséquent, le single " Wax ma lii lanela" s'inscrit dans un double EP récemment dévoilé par l'artiste. Bien que faisant partie intégrante de son œuvre musicale, ce morceau porte en lui un message fort et explicite sur les conséquences néfastes de l'avortement clandestin, offrant ainsi une plateforme artistique pour aborder un sujet souvent tabou dans ce pays. Elle affirme : ‘’Cela va donc contribuer à l’accès à l'information au Sénégal. Actions féministes utilise la création artistique pour sensibiliser la population sénégalaise sur les conséquences liées à l'avortement clandestin, que ça soit les conséquences physiques, économiques, psychologiques et même sanitaires de manière générale.’’ Telles sont les motivations pour la sortie de ce clip.
Contextualisation d'une problématique cruciale
Au Sénégal, l'avortement est strictement interdit par l’article 305 du Code pénal, sauf dans les cas où la vie de la mère est en danger. Cette législation restrictive conduit de nombreuses femmes et jeunes filles à recourir à des méthodes clandestines, souvent au péril de leur santé physique et mentale.
D’après Wasso Tounkara, beaucoup d’enquêtes révèlent une réalité alarmante : ‘’Une proportion significative de la population carcérale féminine est incarcérée pour des faits liés à l'infanticide ou à des tentatives d'avortement clandestin’’, dit-elle, en se basant sur des données publiées chaque année par l’Association des juristes sénégalaises.
De plus, insiste-t-elle, ‘’on se rend compte qu'il y a beaucoup de victimes de viol ou d'inceste dans ce pays malheureusement, et ces victimes, par la suite, tombent enceintes du fait de ces viols ou de ces incestes’’. En plus de subir ces actes horribles et de tomber enceintes à cause de ces agressions, ces victimes doivent ensuite les affronter. Ce qui rend la situation complexe.
Par conséquent, cette campagne de SAF vise non seulement à mettre en lumière ces réalités douloureuses, mais aussi à ouvrir le débat public sur la nécessité d'un accès sécurisé et légal à l'information ainsi qu'à des services de santé reproductive de qualité. ‘’Souvent, l'accès à l'information n’est pas facile. Les jeunes qui n’ont pas souvent accès à des services de santé de qualité ne peuvent pas accéder à l’information. Il y a beaucoup de zones au Sénégal où il n'y a que des postes de santé et même à ce niveau, des manquements sont notés. On y trouve, à la limite, qu’un seul gynécologue pour toute une région’’. Elle explique qu’il y a eu beaucoup d'exemples de campagne de demande de mise en disponibilité d'un gynéco. Par exemple, à Kédougou, il y avait deux à trois activistes qui avaient fait la demande pour avoir un gynécologue dans la région. ‘’Dans ces secteurs, s'il y a une jeune victime de viol ou d'inceste ou des femmes enceintes qui doivent respecter le nombre de visites prénatales et n’ont pas accès à l’information, ce serait déplorable. Comment vivent et se sentent ces populations ?’’, s’interroge-t-elle. Cette campagne vise également à souligner les inégalités d'accès aux services de santé de qualité, notamment dans les régions reculées du Sénégal où les infrastructures médicales sont souvent insuffisantes.
Outre la collaboration musicale avec OMG, SAF a déployé une série d'activités artistiques pour amplifier son message.
En effet, le théâtre forum a été utilisé lors d'événements au centre culturel Blaise Senghor et à Keur Massar, offrant un espace interactif pour discuter et réfléchir collectivement sur la problématique de l'avortement clandestin. À cela s’ajoute le graffiti qui a également été mis à contribution, avec des œuvres réalisées à Dakar et à Thiès.
Selon Wasso, ‘’sur chaque mur, un graffiti. C’est pour partager, communiquer avec la population sur les risques liés à l'avortement clandestin, parce que nous sommes conscientes du pouvoir de l'art et de la créativité en termes de communication, de partage d'information et d'influence’’. Ces fresques urbaines, visibles par un large public, servent donc de supports visuels percutants pour sensibiliser et provoquer la réflexion sur les conséquences sanitaires, économiques et psychologiques des avortements non sécurisés. Reconnaissant l'influence des leaders communautaires, Sénégal actions féministes a impliqué des figures clés telles que les "Badjenou Gox’’, les chefs de quartier, les imams et les directeurs d'école dans sa campagne. ‘’Les ‘Badjenou Gox’, en particulier, jouent un rôle crucial en tant que premières informatrices et médiatrices lors de cas de violence sexuelle ou de problèmes familiaux’’, explique-t-elle.
Wasso soutient que leur engagement dans cette campagne permet de créer des relais solides pour l'information et le soutien aux victimes, facilitant ainsi l'accès aux ressources nécessaires et encourageant la dénonciation des abus.
Un appel à la bienveillance et à l'action collective
La campagne, baptisée " Xool Ko Ci sa Boop" (Et si c'était toi) invite la population sénégalaise à faire preuve de compassion, de bienveillance et d'indulgence envers les victimes de violences sexuelles et d'avortements clandestins. Elle encourage chacun à se mettre à la place des personnes affectées, à reconnaître la gravité de la situation et à participer activement à la création d'un environnement plus sûr et plus juste pour ces jeunes femmes.
Ainsi, SAF avec sa campagne "Xool Ko Ci sa Boop“ soutenue par des initiatives artistiques innovantes et une mobilisation communautaire stratégique, représente un effort significatif pour aborder une question de santé publique critique au Sénégal.
En confrontant directement les stigmates et les désinformations entourant l'avortement clandestin, l'association ouvre la voie à un dialogue nécessaire et à une prise de conscience collective, espérant ainsi contribuer à des réformes sociales favorables à la santé et aux droits des femmes.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE