Publié le 8 Sep 2015 - 23:59
CHEIKH BAMBA DIEYE, SECRETAIRE GENERAL DU FSD/BJ

‘’Macky Sall est incapable de nous imposer une rigueur intellectuelle, morale et politique’’

 

S’il y a un leader politique sénégalais qui ne croit plus au leadership de Macky Sall pour sortir le pays de l’ornière, c’est bien Cheikh Bamba Dièye. Le Secrétaire général du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno jubël (Fsd/bj) estime que la direction prise par le président de la République n’est pas la bonne. A l’en croire, la rupture et la gestion sobre et vertueuse chantées dès le début de la deuxième alternance ont été très vite rangées aux oubliettes pour faire la part belle à une gestion partisane, clientéliste et électoraliste du pays avec la transhumance en corollaire. Dans cet entretien avec EnQuête, l’ex-allié de Macky Sall, devenu opposant entre temps, dresse un tableau sombre de la situation actuelle du pays et réitère tout son engagement à mener la lutte politique pour assumer son rôle de veille citoyenne.

 

Depuis votre sortie du gouvernement, vos positions par rapport à l’action gouvernementale deviennent de plus en plus critiques. Qu’est-ce qui peut expliquer ce changement de ton ?

Je considère devoir  assumer un rôle de veille citoyenne. Une mission que le Fsd/bj a toujours exercée tout au long de son histoire politique dans une démarche diachronique visant, telle une sentinelle, à défendre tous nos acquis en termes de démocratie et de défense du droit des Sénégalais au progrès et au mieux être. Notre pays a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’hommes et de femmes qui veillent à ce que le pouvoir ne soit pas livré à lui-même au risque de nous conduire à des dérives préjudiciables à sa sécurité et à son développement. Compte tenu des conditions que vous n’ignorez pas, dans lesquelles nous avons eu, en tout cas la majorité des Sénégalais, à porter le président Macky Sall au pouvoir (les luttes interminables contre Abdoulaye Wade et son appareil politique, les morts, la mobilisation sans précédent de la jeunesse, des hommes et des femmes…), tous les citoyens de ce pays doivent rester en alerte et veiller à ce qu’on n’ait plus à vivre un régime politique qui vouerait aux gémonies nos libertés, notre démocratie et le pays tout entier. Comme le disait Thomas Jefferson : ‘’La vigilance éternelle est le prix de notre liberté.’’

Vous faites partie de ceux qui ont combattu et renversé le régime d’Abdoulaye Wade en 2012. Aujourd’hui vous le rejoignez dans l’opposition. Cela n’est-il pas paradoxal ?

Non, il n’y a aucun paradoxe. Le Fsd/bj se définit par un socle de valeurs et d’ambitions pour le Sénégal. Seul ce socle constitue notre baromètre pour notre positionnement dans l’espace politique sénégalais. L’histoire politique montre à suffisance que jusqu’à ce jour, nous avons la chance d’avoir la clairvoyance de faire partie de ceux qui ont toujours été du côté de la justice, de la liberté, du combat des idées et des valeurs, contre la tentation de certains hommes et femmes politiques d’user et d’abuser du pouvoir que le peuple a mis entre leurs mains par la grâce du Seigneur.

Rappelons que dès 2005, nous avions entamé cette lutte compte tenu des actes posés par le régime d’alors. Seulement, malgré nos efforts pour renverser le régime de Wade, ainsi que notre contribution au sein des gouvernements Macky 1 et 2, nous avons constaté que certaines pratiques contre lesquelles nous avions combattues subsistent et vont à l’encontre de certaines valeurs qui ont contribué à faire élire le président Macky Sall. Il s’agit entre autres de l’absence de la reddition impartiale des comptes, de la politisation à outrance de la société, des conditions de vie déplorables des Sénégalais avec la persistance des problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, de la paupérisation des couches les plus vulnérables de notre société, de l’érection de l’injustice en mode de gouvernement etc.

Lorsque nous avons acquis la certitude que la direction prise n'était pas la bonne, lorsque, avec tous les Sénégalais, nous avons constaté que la rupture, la gestion sobre et vertueuse ont été rangées aux oubliettes pour faire la part belle à une gestion partisane, clientéliste et électoraliste du pays avec la transhumance en corollaire, nous avons rejoint l'opposition. Il ne s’agit nullement pour nous de nous opposer pour nous opposer, il s’agit pour le Fsd/bj d'un souci permanent de cohérence dans nos actions politiques et d’une rigueur que nous nous imposons dans la défense de notre pays et des acquis obtenus de haute lutte. La trajectoire historique et politique de notre parti gouverne nos positions. Nous ne voulons pas que l'esprit de jouissance détruise dans notre pays tout ce que l'esprit de sacrifice a eu tant de mal à construire. Au vu des conditions dans lesquelles il a été porté à la tête de notre pays et des sacrifices consentis, le président Macky Sall n’a pas le droit de dévier d'un iota de la ligne des engagements auxquels il a librement souscrit devant la nation. Le Fsd/bj sera d'ailleurs toujours là pour les lui rappeler. Telles sont les raisons de notre positionnement dans l'opposition.

Outre les raisons que vous venez d’évoquer qui ont expliqué votre sortie du gouvernement, avez-vous un problème personnel avec Macky Sall ?

Il ne faut pas personnaliser les choses. On parle du Sénégal, de son devenir, des hommes et femmes qui habitent ce pays et qui ont droit à un minimum de sécurité, de liberté, et de mieux être. On parle de l’avenir des jeunes et de nos enfants pour qu'il ne soit pas hypothéqué encore une fois parce que nous avons manqué de vision, de courage et de sens de responsabilité à leur égard. Maintenant, s’agissant de mes relations avec le président de la République, j’ai exercé mes fonctions de ministre à ses côtés et aux côtés de tous les membres du gouvernement d’alors, avec des hommes et des femmes du Fsd/bj qui se sont voués à la seule mission de servir avec honneur notre cher pays. Et notre combat n’a jamais été dirigé contre une personne, en l’occurrence Macky Sall, mais pour le Sénégal. Au-delà du reniement et du virage à 180 degrés opérés par le président de la République par rapport à tous ses engagements (rupture, traque des biens mal acquis, transhumance, respect de l'équité dans la gestion du référendum et des élections à venir), nous reprochons à Macky Sall son incapacité à dynamiser un pays qui sombre dans la déprime collective. Nous lui reprochons son incapacité à nous imposer une rigueur intellectuelle, politique et morale pour apporter les points de vigilance nécessaires à notre démocratie et à la gestion de notre pays.

Concrètement, quels sont les dossiers sur lesquels vous n’avez pas pu vous entendre ?

Il s’agit notamment pour le premier point, de la gestion du dossier de l’acte III de la décentralisation,  pilier majeur de sa stratégie de territorialisation des politiques publiques, que nous maîtrisons bien pour avoir dirigé le ministère de la Décentralisation. Il accuse  des retards et des manquements criards dans sa mise en œuvre. Ce qui renforce le risque de faire courir à nos territoires le danger tyrannique de la toute puissance du pouvoir de l’Exécutif. La cohérence territoriale, le pouvoir réel et les moyens financiers pour agir localement de manière efficiente, ne sont pas au rendez-vous. L'Etat est frileux et calculateur au sens électoraliste du terme. Ce qui se matérialise par du saupoudrage, une absence systématique de concertation sur le sujet et un agenda au rythme des intérêts du pouvoir.

Le deuxième point porte sur le Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC). En le confiant au PNUD, donc de l'argent public à un organisme non étatique au mépris des règles de la concurrence qui gouvernent les marchés publics, l'Etat du Sénégal déconstruit et témoigne très peu de respect à l'expertise locale. Le PNUD a un programme déjà établi. Son budget et son personnel ont été constitués pour ce travail. Il a assez à faire et tout le monde sait que le système des Nations unies n'est pas réputé pour payer des experts à ne rien faire. Il est aberrant de disposer de l'ADM (Agence de développement municipal), du PNDL (Programme national pour le développement local), de l’ADL (Agence de développement local) et des experts locaux pour aller s'attacher les services du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) qui va embaucher des experts sénégalais pour un travail qui est largement dans nos capacités.

Le troisième point est relatif à la politisation à outrance du Programme Sénégal émergent (PSE) avec toujours comme toile de fond un calendrier dicté par les échéances électorales. Comme j'aime à le rappeler, un programme de développement est une vision équilibrée à long terme qui corrige les dysfonctionnements en s'attelant à construire patiemment les fondamentaux (réformes institutionnelles, mode de gouvernance, rigueur, travail et méritocratie). À la théorie du développement et de l'émergence, il faudra impérativement ajouter la pratique du bien qui rétablit l'équité territoriale, la justice sociale et le développement pour tous. Cette perspective est loin, très loin de la vision électoraliste politicienne qui a cours aujourd'hui et qui est pompeusement appelée PSE. Le développement économique et social, l’édiction d’une société plurielle, libre et progressiste, sont des sujets d’une extrême importance. Une œuvre nationale qui se réalise sur une génération.  Pour être efficient, le président de la République doit comprendre et accepter sa place de premier maillon de la chaîne de l'émergence. Sa mission est de consolider les fondations d'un projet national non partisan de développement du Sénégal par la rupture, la justice, la transparence et le travail. Sa mission n'est pas d'être le dernier maillon.

En fin, la mise en œuvre, même partielle, des conclusions des assises aurait été un excellent début pour rester conforme à la rupture et à la gouvernance sobre et vertueuse que lui Macky Sall appelait jadis de tous ses vœux. La prise en charge réelle de la Charte de la gouvernance démocratique des Assises  aurait été un acte fondateur. En plus d'être un référentiel et une sécurité pour le Sénégal, la charte jette les bases d'un développement durable.

Comment analysez-vous la situation du pays ?

Même si des efforts ont été faits par l’actuel régime, sur la lutte contre la corruption avec la création de l’OFNAC (Office national de lutte contre la fraude et la corruption), sur l’amélioration des conditions de prise en charge des personnes malades et en souffrance avec la CMU (Couverture maladie universelle), sur la volonté de poursuivre les grands ouvrages entamés par l’ancien président notamment l’aéroport de Diass, il subsiste beaucoup d’insuffisances dans l’action de la majorité présidentielle. Entre autres lacunes qui entravent la bonne marche du Sénégal vers le progrès et le développement, il y a l'incapacité pour le président de la République d'installer la rupture, la demande sociale de plus en plus insatisfaite en matière d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à un emploi décent et à un système éducatif apaisé et porteur d’espoirs pour nos millions de jeunes, la qualité de vie de plus en plus précaire. Mais aussi l’absence d’un pouvoir législatif responsable et jouant pleinement son rôle de garant de la démocratie et de la transparence. La justice qui, malgré quelques efforts notés en manière d’impunité, boîte encore avec les détentions préventives abusives et une certaine partialité notamment dans la traque des biens mal acquis. A cela s’ajoutent des choix économiques incertains, des politiques publiques mal maîtrisées et une remise en cause fréquente des droits et libertés fondamentaux. Voilà en résumé quelques sujets d’inquiétude qui nous font dire que la vigilance des forces vives de la Nation doit demeurer intacte.

Donc tout est négatif, selon vous ?

 Je pense que malgré la situation peu reluisante, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Et nous exhortons vivement le président de la République à se ressaisir pendant qu’il est temps et à se rappeler comment il a été élu et dans quelles conditions. Je l’invite à scruter la trajectoire de ses prédécesseurs pour ne pas tomber dans les pièges du pouvoir. Il n'y a aucun mérite à renouveler et à accentuer toutes les dérives que le peuple sénégalais a si vigoureusement combattues en 2012. Qu’il ne se laisse pas enivrer par les délices du pouvoir, car s'y habituer, c’est perdre le sens de la gravité de la responsabilité qui va avec. C’est aussi forcément le début des légèretés, et bien souvent l’amorce d’une chute inexorable.

Pensez-vous que le Sénégal a aujourd’hui une opposition forte pour contrer le pouvoir ?

Il me semble que les précédents régimes, ceux du Ps et du Pds, avaient beaucoup plus de densité politique et avaient atteint un niveau de popularité beaucoup plus important que la mouvance présidentielle actuelle. Cependant, quand les Sénégalais ont décidé de mettre un terme à leur gestion, ils l’ont fait.

Par ailleurs, sur la question de l’opposition comme système organisé d’appareils politiques ou regroupements de femmes et d’hommes pour défendre le Sénégal, nous sommes convaincus que le Sénégal sous Macky Sall n’est pas celui de Abdoulaye Wade et par conséquent, les schémas d’opposition ne peuvent pas être les mêmes. La force de l'opposition n'est pas seulement la force des partis ou des leaders politiques. L'opposition se nourrit aussi et plus encore du mécontentement national, des ratés du pouvoir, des trahisons et des promesses non tenues. À ce niveau, au vu de la copie médiocre que rend le régime actuel, tout milite en faveur de l'opposition. Nous espérons ne pas avoir à nous battre une fois de trop pour des acquis démocratiques; signes d’une bonne santé d’un pays qui se respecte, tels le calendrier électoral, le fichier électoral, le référendum, l’indépendance du Conseil constitutionnel, de la Commission électorale nationale autonome (Cena), des organes indépendants de contrôle etc. Pour nous, notre choix de nous opposer ne révèle que notre volonté de défendre la Nation. Et pour cela, nous souhaiterions même que le président de la République réussisse dans l’intérêt des Sénégalais. En revanche, nous endossons notre rôle de sentinelle pour dénoncer et critiquer ce qui doit l’être et nous nous armons de propositions et d’expertises pour constituer une alternative crédible.

Au moment où le Pds a du mal à mobiliser dans ses manifestations, Djibo Leyti Kâ a rallié le camp du pouvoir. L’opposition n’est-elle pas en train de s’effriter ?

Vous parlez de l’opposition comme d’un système homogène qui vit en vase clos. Il faut savoir que l’opposition n’est pas une et indivisible. Elle est constituée de parcours différents et souvent complémentaires pour certaines formations politiques, des bilans, des combats, tous aussi riches que variés. L’opposition ne peut être une addition de mécontentements. Il faut un minimum de valeurs en commun pour cheminer ensemble. La transhumance vient des mots latins ‘’trans’’ (de l'autre côté) et ‘’humus’’ (la terre, le pays). Elle est la migration périodique d'une part du bétail (bovidés, cervidés, équidés et ovins) d'une région florale à une autre et ce, en fonction des conditions climatiques et donc de la saison. L’histoire retiendra que les adeptes de ce système n’ont jamais été dans la vraie opposition, celle des idées, des programmes politiques, de la défense des intérêts suprêmes de la Nation. Il est fort regrettable que le chantre de la gestion sobre et vertueuse fasse l'apologie de la transhumance. Je vous rappelle que c’est Macky Sall ‘’himself’’ qui a été le premier homme d’Etat et homme politique à avoir théorisé et légitimé ce phénomène nuisible à la société toute entière.

L’Inspection générale d’Etat  (IGE) a été envoyée dans certaines mairies comme celle de Saint-Louis pour des missions de contrôle que vous avez qualifiées de politique. Ne pensez-vous pas que l’Etat est dans son droit de vérifier la gestion des municipalités ?

Nous nous félicitons que de grandes institutions comme l’IGE (Inspection générale d’Etat), puissent jouer le rôle de contrôle des moyens de l’Etat et des organes déconcentrés et décentralisés. Seulement, l’audit et le contrôle sont des métiers normés et basés sur des principes. Qui parle d’audit, parle d’indépendance de l’organe de contrôle, de permanence et d’universalité. Nous sommes juste un peu sceptiques et curieux de voir que cette mission d’inspection arrive pour contrôler notre gestion de la commune de Saint-Louis quand nous avons commencé à dénoncer les dérives du régime. Lorsque pour des intérêts politiciens et électoralistes le pouvoir a été capable de blanchir des transhumants et voleurs de la République et de protéger des coupables, il faudrait très peu pour qu'il essaie de salir un opposant irréprochable. C'est cela que nous dénonçons parce qu'ils n'ont pas les moyens de contester la qualité de notre travail et notre bilan. Mais vous savez, les Sénégalais ne sont pas dupes, tout ceci n’est que manœuvres politiciennes, et surtout de la distraction pour détourner des véritables problèmes que traverse le pays.

L’élection présidentielle se dessine, même si la date reste encore floue. Comment votre parti prépare-t-il cette échéance ?

Vous savez, la situation du Sénégal est peu reluisante mais pas définitivement perdue. Le Sénégalais est fatigué et désemparé. Au point que toutes mesures sociales à son endroit devront être pérennes, de portée nationale et non partisane. Le président de la République devra renforcer le filet de protection sociale et mieux organiser la politique des bourses familiales pour qu'elles ne soient pas discriminatoires ou utilisées à des fins électoralistes. Notre parti, le Fsd/bj, avec l’ensemble de ses militants et sympathisants de l’intérieur du pays comme de la diaspora, se mobilise et est en ordre de bataille pour constituer une alternative crédible, seul ou avec d’autres citoyens et forces vives de la nation ayant les mêmes valeurs et convictions que nous.

Peut-on s’attendre à vous voir dans une coalition ?

A ce stade, rien n’est exclu mais vous ne  retrouverez jamais le Fsd/bj dans n’importe quelle alliance. Nos valeurs et nos convictions seront comme toujours non négociables.

Comment appréciez-vous le compagnonnage du Ps et de l’Afp avec Macky Sall ?

Chaque parti est libre de ses alliances, de son positionnement et de ses choix stratégiques. Je ne peux me prononcer ni sur les choix de l’Afp ni sur ceux du Ps car il s’agit de partis politiques indépendants, faisant de surcroît partie d’une coalition dont je ne suis pas membre. Les choix du Fsd/bj se feront quant à eux dans le sens du combat et de la défense de nos idées et valeurs. Nous espérons seulement que tout regroupement concourra à donner davantage d’espoirs aux Sénégalais et surtout contribuer à la défense des intérêts des populations.

PAR HABIBATOU TRAORE (STAGIAIRE) & ASSANE MBAYE  

 

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