''L’État a laissé faire''
La situation du secteur depuis la réforme de 1998 à nos jours, le Secrétaire général de la CNTS-FC l'analyse dans cet entretien accordé à EnQuête. Selon Cheikh Diop, les difficultés ont une seule origine : ''L’État a laissé faire''.
Comment se porte le secteur des hydrocarbures ?
Le secteur des hydrocarbures est à la croisée des chemins ; des difficultés jamais égalées s’annoncent. Cependant, toutes les solutions qui avaient été préconisées, lors de la libéralisation en 1998 et bien après n’ont jamais été respectées. Nous avons assisté à une succession de vœux pieux sans volonté réelle de les réaliser. Au contraire, tout porte à croire que le secteur des hydrocarbures doit faire les frais des fautes et des errements cumulés des politiques énergétiques des différents régimes qui se sont succédé. Cette situation est d’autant plus troublante que sur le plan institutionnel, l’arrivée de nouveaux acteurs est effective, la libre concurrence garantie. Ce qui n’est pas loin d’être le cas pour les engagements pris vis-à-vis de la SAR (Société africaine de raffinage) pour son bon fonctionnement administratif et financier, de l’avenir du raffinage, de la sécurité de la profession et de l’approvisionnement du pays en produits pétroliers et en électricité. Ce n’est pas le cas non plus dans la gouvernance du secteur, du respect des acquis et de la qualité du dialogue social. Sur le plan de nos acquis syndicaux, dans toutes les sections syndicales (raffinage, distribution, transport, gaz, aviation, maritime, le stockage), c’est une remise en cause ou une tentative de remise en cause que nous vivons.
L’État s’était-il préparé à cette privatisation ?
L’État s’était bien préparé à la réforme dont il est même l’initiateur. Ce sont les projets de textes législatifs et réglementaires proposés par l’État qui ont servi de base de discussion durant tout le processus de consultation et de concertation qui a abouti à la réforme de 1998 qui libéralise les sous-secteurs des hydrocarbures. Donc, l’État était bien préparé à la réforme mais a failli à sa mission d’arbitre et de garant des lois et règlements pour leur application correcte. Si nous nous retrouvons dans toutes ces difficultés dans le secteur de l’énergie, c’est parce que l’État a laissé faire.
Pourquoi ?
Nous nous posons cette question au niveau de la CNTS/FC et au niveau du syndicat du pétrole et du gaz. Nous ne comprenons pas que depuis l’arrivée en 2010 du groupe Bin Laden, rien de ce qui était prévu n’ait été fait jusqu’à présent. Pourtant, les conditions qui ont permis au groupe Bin Laden de contrôler la majorité du capital de la SAR ont été très claires sur la recapitalisation de la raffinerie, sur sa modernisation pour un coût d’investissement de près de 260 milliards. Au total, la SAR serait partie pour faire de notre pays le hup pétrolier de la sous région et le moteur de la politique énergétique nationale. Sur le plan social, les acquis devraient être renforcés, les questions qui agitent le climat social de l’entreprise dont le dossier des assurances aplanies, enfin le personnel devait intégrer le capital de la SAR. Il n’y a que le bonus de transfert qui a été payé au personnel, en ce qui concerne le social. Non seulement les engagements du groupe Bin Laden ne sont pas respectés mais nous assistons ces derniers temps à une remise en cause inacceptables de nos acquis syndicaux sur la promotion interne. À cela, s’ajoutent des signaux forts qui concourent à la fermeture pure et simple de la raffinerie.
Lesquels ?
Le refus du groupe TOTAL de reconduire le contrat d’assistance technique, le recrutement d’autres compétences «exit raffinage», le niveau de la dette SENELEC jamais égalé depuis l’arrivée du nouveau directeur commercial. Il ne s’agit pas pour nous d’opposer la SENELEC à la SAR, mais ce sont la nouvelle direction de la SAR et les autorités qui ont créé les conditions explosives de dresser les travailleurs de deux sociétés essentielles pour l’économie nationale et dont la complémentarité et l’harmonie sont indispensables pour l’atteinte des objectifs de toute politique énergétique au Sénégal. La situation est d’autant plus troublante que ce nouveau directeur commercial de la SAR nous vient de la SENELEC, de la direction des approvisionnements plus précisément. Le lien à retenir, c’est la même personne qui s’occupe de l’approvisionnement de la SENELEC depuis la SAR et qui laisse monter la dette à plus de 50 milliards or la barre des 16 milliards n’a jamais été dépassée par son prédécesseur.
Les associations de consommateurs disent ne pas comprendre que le prix du pétrole et du gaz soit plus cher au Sénégal que dans la sous-région.
Ils n’ont pas tort de le penser si on se réfère au coût élevé de la fiscalité sur les produits pétroliers au Sénégal. Il y a même une double taxation quelque part, c'est-à-dire une redevance qui subit elle-même la TVA. Je veux simplement dire qu’il est bien possible de réviser la fiscalité sur les produits pétroliers pour faire baisser le coût à la consommation. Mais je me garderais de faire des comparaisons, car au Sénégal, aussi bien les autorités que les acteurs sont très regardants sur les normes internationales de sécurité en matière de distribution et de stockage des produits pétroliers. Nous avons un réseau de distribution très performant et sécurisé, ce qui n’est pas le cas dans toute la sous-région. Dans certains pays, on voit des fûts de produits installés dans la rue en attente de clients. Concernant le gaz, il y a des subventions sur les emballages et parfois sur le gaz butane.
On a constaté l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le secteur des hydrocarbures. C’est le cas de la société Pétrole Team dont l’administrateur est Aliou Sall, frère du président de la République. Votre commentaire ?
De nouveaux acteurs qui investissent le secteur, ce n’est pas nouveau. Je veux dire que ce n’est pas lié à l’arrivée des nouvelles autorités. Depuis la libéralisation en 1998, des privés sénégalais et étrangers investissent le secteur. Si l’État joue correctement son rôle de régulateur de la concurrence, de veille et d’arbitre sans complaisance ni parti pris, il n’y aura pas de risque majeur. Il importe surtout d’exiger le respect des normes sociales par tous. C’est un facteur important pour garantir une concurrence loyale et équitable.
On ne vous a pas trop entendu sur la nomination de Baba Dia, patron de ITOC, comme conseiller du président de la République
Notre syndicat, depuis 1998, année de la libéralisation du secteur des hydrocarbures, a adopté une position très claire pour se préparer à l’arrivée de privés nationaux. Cette position est la suivante : Le Syndicat national des travailleurs du pétrole et du gaz du Sénégal est favorable à la promotion de privés nationaux dans le secteur et acceptons de les accompagner, car nous sommes pour l’émergence d’une bourgeoisie nationale patriotique. Aujourd’hui, le langage a évolué et on parle de préférence nationale. Sous ce rapport, nous pensons que M. Abdoulaye Diao, PDG de ITOC a, à maintes reprises, contribué à apporter des solutions aux situations difficiles que le pays a eu à connaître par moments dans son approvisionnement en produits pétroliers à travers la SAR. Je rappelle que M. Diao et son groupe ITOC évoluent dans le secteur depuis très longtemps et bien avant la libéralisation.
M. Diao est un professionnel du pétrole qui n’exerce pas seulement au Sénégal, mais à travers le monde entier. Il a plus d’activités en Suisse qu’au Sénégal par exemple pour ne citer que ce pays. A chaque fois que le pays se retrouve dans une situation de tension au niveau des stocks et fait face à une pénurie de gaz ou de tout autre produit, et que la SAR va devoir importer dans des conditions peu favorables sur le marché international, tous les autres importateurs se débinent ou imposent à la SAR et aux autorités des conditions draconiennes. Il est le seul patriote qui s’est toujours engagé pour sauver la situation. Nous ne le disons pas pour ses beaux yeux mais c’est parce que cette attitude est conforme à notre conviction et rentre dans le cadre des critères qui justifient la préférence nationale.
Mais il y a un fort risque de confit d’intérêts
Certains lui font le reproche d’avoir plus d’employés ailleurs dans le monde qu’au Sénégal. Il investit d’autres créneaux du secteur pour créer des emplois. On parle de conflit d’intérêts depuis qu’il est conseiller spécial de M. le président de la République. S’il y a conflit d’intérêts, il appartient au président de la République d’en tirer les conséquences. À sa place, je n’aurais pas refusé de servir mon pays, si j'avais été appelé pour mon expertise dans un domaine que je maîtrise parfaitement.
Où est-ce que vous en êtes avec le dossier judiciaire qui vous oppose à votre camarade Bakhaw Diongue ?
Le conflit qui nous oppose au camarade Bakhaw suit son cours au niveau des tribunaux. Je signal tout simplement qu’une première manche a été vidée le 4 juin 2012. Il s’agit du dossier qu’elle avait elle-même initié pour prendre possession des locaux et du patrimoine de la CNTS/FC, au lendemain de son fameux congrès extraordinaire, soi-disant qu’elle est le nouveau responsable moral de la centrale. Elle a été déboutée par le tribunal mais il reste le dossier introduit par nos conseils au nom de la CNTS/FC après son 1er congrès ordinaire, pour l’annulation du congrès extraordinaire. La prochaine audience est prévue le 4 décembre 2012.
DAOUDA GBAYA
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