Publié le 21 Nov 2013 - 15:50
CIGARETTE ÉLECTRONIQUE

«Vapoter» fait tendance à Dakar et Saly

 

Désireux d'arrêter le tabac, de plus en plus de Dakarois ont recours à l'e-cigarette ou cigarette électronique, en toute discrétion. En attendant que les autorités prennent position sur la nature de ce produit, et que les mouvements anti-tabac montent au créneau, EnQuête présente à ses lecteurs cette nouvelle façon de fumer et d'arrêter de fumer qui prend de l'ampleur entre Dakar et la station balnéaire de Saly.

 

Dakar est à l'heure de l'e-cigarette, cette trouvaille pour aider à arrêter de fumer. Et la vente de l'accessoire marche bien. ''Je suis au Sénégal depuis des années. Je vends des cigarettes électroniques. Mais pas à n’importe qui. Il faut d’abord que la personne intéressée m’appelle pour prendre un rendez-vous. De mon côté je prends tout mon temps pour lui expliquer le produit'', a confié une vendeuse d'origine européenne, qui a  requis l’anonymat. Selon elle, ''le produit est très abordable, il ne coûte que 75 000 FCfa l’unité. Il peut faire un mois avec le fumeur car, il est rechargeable. Mais il y a plusieurs types de cigarettes électroniques et les prix varient''. 

La cigarette électronique ou e-cigarette est un dispositif électromécanique ou électronique destiné à simuler le geste de fumer du tabac. Elle produit une vapeur ou ''fumée artificielle'' ressemblant visuellement à la fumée produite par la combustion du tabac. Cette vapeur peut être aromatisée (arôme de tabac blond, brun, de fruits, etc.) et contenir ou non de la nicotine. À la différence de la fumée produite par la combustion du tabac, cette vapeur n’a pas l’odeur du tabac et semble (selon les premières études scientifiques) contenir beaucoup moins de particules et substances toxiques. En tout cas, la plupart des vendeurs font savoir à la jeunesse qu’il n'y a pas de danger à utiliser cette cigarette.

Afrivap, une première au Sénégal

Boutique Africavap, sur la VDN, non loin du cimetière catholique Saint-Lazare. L'échoppe est spécialisée dans la vente de l'e-cigarette. C'est la première au Sénégal, à en croire L.G., la gérante, qui informe qu'elle n'est ouverte que depuis trois semaines (c'était à notre passage il y a plus d'un mois), tandis qu'une autre a été implantée depuis plus de trois mois dans la station balnéaire de Saly-Portudal. Selon L.G., les cigarettes proposées «ne contiennent aucun résidu de goudron et sont vendues avec garantie.» Les marques commercialisées sont appelées «Ego» dont les modèles varient de 29 000 à 69 000 francs en termes de coûts, selon qu'ils soient jetables ou rechargeables. Le produit n'étant pas encore bien connu du public, la gérante de la Boutique Afrivap soutient que les intéressés «viennent pour les renseignements, des personnes qui connaissent plus ou moins le produit ou en ont entendu parlé...»

En attendant un débat public éventuel sur cette nouvelle façon de «fumer» et d'«enfumer» (les autres), les médecins pneumologues et autres militants locaux anti-tabac ont de la matière sur un front qui peut être considéré comme nouveau. Même si pour certains, on peut déjà deviner la sentence : «une cigarette, électronique ou traditionnelle, reste une cigarette. Elle est néfaste pour la santé. C’est un danger». Une opinion confortée par une récente étude menée par le magazine français «60 millions de consommateurs» qui ne devrait pas réjouir les fabricants de cigarettes électroniques.

«Jetables et chargeables»

En effet, «vapoter» (ndrl : terme utilisé pour désigner l'action de consommer une e-cigarette) n'est pas sans risques, prévient le magazine, qui relève dans son numéro de septembre la présence de composés ''potentiellement cancérigènes'', de produits ''toxiques'' ou ''potentiellement toxiques». En gros, l'e-cigarette n'est pas un ''produit banal'' et sa commercialisation n'est ''pas suffisamment encadrée''. C'est pourquoi certains pays, notamment la France, entendent ouvrir des enquêtes approfondies sur ses effets. Au Sénégal, notamment à Dakar, rien n’est encore dit mais rien ne justifierait que l’État ne se penche pas sur cette nouvelle façon de fumer.

Pour sa part, Thomas Laurenceau, le rédacteur en chef du magazine de l'Institut national de la consommation, est catégorique : ''60 millions de consommateurs (le titre de la revue) a mené des analyses sur une dizaine de produits, cigarettes jetables ou rechargeables. Et les résultats révèlent plusieurs points, ce qui a permis d'alerter la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, France). Ainsi, d'après notre confrère, non seulement l'étiquetage n'est pas toujours conforme, mais ''le taux de nicotine affiché est parfois bien loin de celui réellement mesuré''. Le propylène glycol, associé au glycérol, peut servir de liquide de remplissage aux e-cigarettes. Or, si certaines sont annoncées ''sans'', elles en contiennent. Des fabricants ''oublient'' également de mentionner sa présence.

La revue a noté l'absence de bouchon de sécurité sur certaines recharges. Ingérées, les doses élevées de certains produits de l'étude peuvent tuer un enfant, insiste Thomas Laurenceau. C'est grâce à une méthode ''inédite'' que le magazine affirme avoir décelé des ''molécules cancérigènes en quantité significatives''. Dans trois cas sur dix, pour des produits avec ou sans nicotine, les teneurs de formaldéhyde (couramment dénommé formol) relevées flirtent avec celles observées dans certaines cigarettes conventionnelles, affirme 60 millions de consommateurs.

Soupçons toxiques et cancérigène

Ont été décelées : l'acroléine, une molécule très toxique que l'on retrouve en quantité significative dans le modèle E-Roll ; de l'acétaldéhyde, classé cancérigène possible ; du nickel, du chrome, de l'antimoine. Pour le modèle Cigaretex, nickel et chrome ont été décelés en même quantité que pour une cigarette classique. La Cigway, elle, libérerait plus d'antimoine qu'une cigarette de tabac.

Interpellée sur ces éléments d'enquête, L.G., de la Boutique Afrivap à Dakar, les balaie d'un revers de la main. ''Il faut qu'on comprenne que ces cigarettes comportent de la nicotine comme elles peuvent ne pas en comporter. Mais on a plus de produits sans nicotine que des produits avec nicotine», explique-t-elle avec le souci de bien convaincre. «Et elles aident effectivement à arrêter de fumer. Ça dépend du consommateur qui veut arrêter de fumer par exemple, il peut faire un sevrage. Il peut même arrêter en un mois. À Saly plusieurs personnes ont pu arrêter», ajoute L.G. «Il s'agit de produits rechargeables et les consommateurs ont peut être besoin de garder le geste sans pour autant fumer. La cigarette électronique peut servir à cela également, et les clients peuvent petit à petit diminuer leurs doses de nicotine au fil du temps.''

L’article de «60 millions de consommateurs» a également provoqué l’ire de certains professeurs de santé publique, d’après le quotidien économique «Les Échos». Selon Antoine Flahaut, en s’en prenant à la e-cigarette plutôt qu’à la cigarette traditionnelle, le magazine s’est complètement trompé de cible, point de vue partagé par de nombreux médecins, à l’instar du Dr Dominique Dupagne qui a posté sur son forum médical Atoute.org le mot ci-après : ‘’C’est un peu comme si l’Institut national de la consommation (INC) tirait à boulets rouges sur la bière sans alcool en expliquant que le sucre peut être potentiellement mauvais pour les futurs diabétiques’’.

«Moins nocive que la cigarette classique»

Pour ‘’Les Echos’’, ces défenseurs de la cigarette électronique postulent que celle-ci reste infiniment moins nocive pour la santé que les cigarettes traditionnelles. ‘’De tous les composés dangereux présents dans la fumée de ces dernières (plus de 90), les deux principaux tueurs sont le goudron (qui se dépose dans les voies respiratoire) et le monoxyde de carbone (qui se diffuse dans le sang). Tous deux (sont) absents des vapeurs d’e-cigarette. La nicotine, quant à elle, n’est en soi pas plus dangereuse que la caféine’’, lit-on dans l'édition du mercredi 9 octobre.

Dans cette même rubrique, le débat sur le-cigarette a déjà atteint une autre proportion sous d’autres cieux. Il y a dix mois, la Commission européenne avait présenté sa nouvelle directive de lutte contre le tabac qui veut caractériser la cigarette électronique comme un produit pharmaceutique, à la manière des ‘’Patchs’’ pour arrêter de fumer, toujours d’après ‘’Les Echos’’. Toutefois, lors d’un vote en assemblée plénière à Strasbourg, le Parlement européen avait soutenu qu’il n’était pas question d’obliger les vapoteurs à aller en pharmacie pour se procurer le produit. 

Historique

L'e-cigarette, venue de Chine

Le concept d’une cigarette électronique est élaboré par Herbert A. Gilbert en 1963, avec un brevet déposé en 1965 présentant le schéma d’une cigarette électronique « remplaçant le tabac et le papier par de l’air chauffé et aromatisé». Les cigarettes électroniques sont fabriquées en Chine, dans diverses usines des villes de Shenzhen et Hong-Kong. Le premier dispositif rendu public, destiné à simuler l’utilisation d’une cigarette a été réalisé en 2003 par Hon Lik, un pharmacien chinois qui a déposé en 2005 un brevet pour une «cigarette sans fumée à pulvérisation électronique». Toutefois, ce premier dispositif exploite alors la technologie dite «ultra-sonique». Hon Lik s’est ensuite associé à la société Golden Dragon Holdings pour commercialiser sa cigarette électronique en Chine à partir de 2004.

PAR ANTOINE DE PADOU

 

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