La niche d'argent oubliée du «gros informel»
La formalisation des activités informelles dans le commerce transfrontalier est une nécessité pour les Etats ouest-africains confrontés à la contrebande qui provoque des évasions fiscales, a révélé hier le professeur Ahmadou Aly Mbaye, Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG), qui présentait un ouvrage à cet effet, avec la collaboration de la Banque mondiale.
L'enquête menée entre Dakar, Cotonou et Ouagadougou auprès de 300 entreprises a permis au professeur d'économie Ahmadou Aly Mbaye d'affirmer qu'il relève d'une «très grosse erreur» de sous-estimer le commerce transfrontalier en Afrique de l'Ouest. Dans cet espace du continent africain où la porosité des frontières frise très souvent l'irrationnel, les marchandises circulent de manière intensive entre territoires de pays différents, empruntant cependant des circuits bien particuliers et insaisissables, ceux de la contrebande, organisée ou pas. Ces propos ont été révélés hier, lors de la présentation de l'ouvrage intitulé : «Les entreprises informelles de l'Afrique de l'ouest francophone : taille, productivité et institutions», au siège de la Banque mondiale à Dakar.
Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l'Université Cheikh Anta Diop, le Pr. Ahmadou Aly Mbaye a battu en brèche une idée reçue relative aux échanges commerciaux entre pays ouest-africains, réputés «faibles». Ce qui est faux, selon lui. En réalité, c'est que «le commerce frontalier passe par la contrebande» et, de ce fait, les volumes qu'il génère «ne sont pas pris en compte ni dans les statistiques officielles des Etats, ni par les organisations indépendantes s'occupant du commerce».
Dans l'ouvrage précité dont il est l'auteur principal, et avec la collaboration de Nancy Benjamin de la Banque mondiale, le Pr. Mbaye fait ressortir six critères essentiels pour différencier le «formel» et «l'informel». Ce sont : «La taille (de l'entreprise), l'enregistrement de l'activité, la sincérité des comptes, la fixité du lieu d'exercice, l'accès au crédit et le statut fiscal.» En insistant sur la définition de l'informel, l'économiste a avancé que l'État accorde très peu d'attention au secteur informel malgré le poids économique considérable qu'il représente. Il a aussi mis en évidence ce qu'il appelle le «gros informel» en citant les commerces qui réalisent de gros chiffres d'affaires mais préfèrent ne pas se déclarer et rester dans l'informel afin d'éviter les impôts. L'écart de productivité plus faible par rapport au gros informel a été également relevé par le Pr. Mbaye qui a souligné les implications importantes sur le bien-être social et le commerce transfrontalier.
«L'informel, c'est 50% du Pib du Sénégal, 70% pour le Bénin»
L’échec des gouvernements dans le contrôle de ce secteur et l’importance des réseaux sociaux sont également abordés dans l'ouvrage. Ainsi, il a indiqué que l'informel regroupe tout le secteur primaire, l'artisanat, le transport, la restauration, la duplication musicale... «Ces entreprises informelles contribuent, pour le cas du Sénégal, à hauteur de 50% dans le Pib, ce qui est énorme», a-t-il mentionné. Un chiffre encore plus élevé avec un pays comme le Bénin où il est de 70%. «Il faut donc croire que la plus grosse part de l'activité productive dans notre pays provient de l'informel», a-t-il lâché comme pour résumer beaucoup d'éléments.
Au rayon des suggestions, le Pr. Aly Mbaye a jugé nécessaire que les pouvoirs publics mènent une politique de régulation en fonction du segment de l'informel qu'on veut maîtriser. «Pour les petites activités informelles, dit-il, il n'y a pas grand-chose à faire. Là où l'État a vraiment besoin de mettre en branle l'arsenal répressif dissuasif, c'est dans le secteur du gros informel. Car ce sont des acteurs qui ont la possibilité d'évoluer dans le formel, mais qui se réfugient dans l'informel pour pouvoir échapper au cadre réglementaire», a tranché le Doyen de la Faseg.
ANTOINE DE PADOU
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