Le Gouvernement change de ton
Pour le premier Conseil des ministres de l'année, le Gouvernement a misé sur une nouvelle forme qui a été diversement appréciée par les professionnels des médias. Plus que le format, c'est la prestation du porte-parole du Gouvernement qui a été décriée.
Plus que le contenu, c'est la forme qui a suscité le plus de réactions et de commentaires. Pour une des rares fois de l'histoire du Conseil des ministres, pour ne pas dire la première fois, les journalistes de la RTS ont été mis à l'écart de la lecture du compte rendu de ce rendez-vous solennel du gouvernement. Le ministre porte-parole du Gouvernement, Moustapha Njeck Sarré, a tout de même tenu à justifier le nouveau format. Il déclare : “Dans un souci de modernisation et d'accessibilité de l'information gouvernementale, nous inaugurons une nouvelle approche plus interactive et simplifiée, pour vous informer des décisions prises en Conseil des ministres.”
Cette innovation, selon le ministre porte-parole du Gouvernement, a pour but de mieux informer des décisions et orientations, et engager chaque citoyen autour des orientations gouvernementales.
Hier, les confrères habitués au communiqué du gouvernement ont dû déchanter (le communiqué a finalement été partagé vers minuit). Il fallait se contenter de la lecture faite par le porte-parole, avec un gestuel très approximatif. Et il risque d'en être ainsi presque chaque semaine.
D'après M. Sarré, lui et les autres ministres pour les questions relevant de leur département vont se succéder au pupitre, pour rendre compte des grandes décisions du gouvernement.
Journaliste au quotidien ‘’L'AS’’, Seydina Bilal Diallo a un point de vue mitigé par rapport à ce nouveau format. Tout en encourageant la volonté d'innovation et d'être en contact avec le citoyen, il déclare : “Je pense que les lectures effectuées par les journalistes de la télévision publique, la RTS, passent mieux. Le ministre porte-parole dit mal le texte et sa diction n’est pas des meilleures. Ce format peut passer, mais à condition que le texte soit très bien lu. Ce qui n'a pas été le cas, à mon avis.”
L'autre problème majeur dans ce nouveau format, il y a une impression que le gouvernement veut forcer aux professionnels de l'information un certain nombre de mesures, alors qu'eux ont plus besoin du communiqué brut pour le traiter à leur guise. “Nous préférons toujours avoir le texte brut pour l’exploiter de la manière la plus exhaustive possible. Mais avec le nouveau format, on a l’impression que le gouvernement nous force les mesures phares qu’il veut faire passer comme information et nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre”, a-t-il commenté.
Si le nouveau format pose problème, c'est aussi en raison de son caractère un peu théâtral, folklorique. Avec une grande mise en scène qui altère l'information, selon les puristes adeptes de la sobriété et de la simplicité. Journaliste expérimenté, habitué à la lecture du communiqué à la télévision nationale, Amadou Barro Ba préfère largement la lecture par les professionnels de la télévision nationale. “La lecture du communiqué est un rendez-vous très important de l'information gouvernementale. Je pense qu'il faut un professionnel pour lire le communiqué. Jusque-là, nos confrères de la RTS le faisaient très bien. Beaucoup mieux, en tout cas, que ce qui a été fait (hier) et qui parait plus à une mise en scène. C'était un plaisir d'écouter Arame Touré, par exemple, lire le communiqué du Conseil. C'est bien d'innover, mais à condition d'être en mesure de faire une lecture correcte”, a-t-il analysé.
De l'avis du journaliste, la mesure n'était pas correcte avec la lecture du porte-parole. “C'est quand même la communication gouvernementale, de l'institution. Elle se doit d'être mesurée et très sobre. On aime bien l'innovation, mais là ce n'est pas dans le bon sens”, indique le journaliste.
En Côte d'Ivoire, argue-t-il, on assiste à ce type de lecture, mais juste pour les mesures phares.
AVIS D'EXPERT AVEC DR MOUSSA DIOP “La volonté d'innover est réelle, mais il faut éviter la folklorisation” Au-delà des journalistes, ‘’EnQuête’’ a contacté le spécialiste en sciences de l'information et de la communication, Dr Moussa Diop, pour avoir son point de vue. Lui aussi trouve bien la volonté affichée d'être plus innovant. “Ils sont dans une logique de rénovation, de rajeunissement, d'apporter de nouveaux codes. Cela pourrait être intéressant comme forme. Mais il faut surtout éviter que la communication gouvernementale soit folklorisée. Ce n'est pas du ‘taf yeungueul’. Il y a des formes instituées pour préserver la solennité de ce moment et l'intégrité de l'information”, analyse le spécialiste. Parlant toujours de la forme, Dr Diop relève que cette approche peut permettre de rendre plus attractif le message, de renouveler le lien avec les populations et de cibler un public plus jeune. Mais au-delà du piège de la folklorisation, il y a une autre lecture à faire. La première institution de la République, à savoir le président de la République, est reléguée au second plan. “Dans cette tentative, le président, qui normalement est la première personnalité de l'État, parait quelconque. Son corps ne semble pas assez prééminent, pas assez mis en valeur. C'est peut-être un choix, une option qui consiste à mettre en avant la fraternité, la complicité”, poursuit l'enseignant-chercheur. Le plus important, selon le spécialiste, c'est de mettre en place une stratégie de communication claire à même de toucher les cibles et de clarifier l'action gouvernementale. RÉDUCTION DES PRIX L'État a mis 140 milliards et non 53 milliards F CFA En ce qui concerne le contenu, il a surtout été question de généralité, d'un retour sur l'Agenda Sénégal 2050 et sa déclinaison quinquennale. Le porte-parole a rappelé quelques priorités nationales comme la santé, l'équité et l'amélioration de la qualité de vie des Sénégalais, le développement des pôles territoires... Mais pour l'essentiel, c'est des déclarations très vagues, beaucoup de répétitions des mesures qui ont déjà été annoncées par le passé. Les unes attribuées au président de la République, les autres au Premier ministre. Quelques annonces importantes ont toutefois retenu l'attention. D'abord, il y a la volonté de “pacification et de stabilisation du climat social”. Dans ce cadre, un nouveau pacte social sera conclu avec les centrales syndicales et les organisations d'employeurs avant le 1er mai. Au plan économique, le gouvernement a informé “qu'une importance capitale est accordée à la finalisation du projet de loi sur la souveraineté économique, destinée à protéger les secteurs stratégiques tels que le pétrole et le gaz, et à renforcer les entreprises nationales”. Revenant sur les mesures phares pour une diminution du cout de la vie, le ministre Sarré a informé que “le gouvernement a déjà consenti un effort budgétaire de 140 milliards F CFA pour atténuer les pressions conjoncturelles sur les prix et sera intransigeant sur le respect des prix antérieurs”. Relativement à l'intervention du PM, le communiqué du Conseil des ministres informe qu'il a surtout accentué son propos sur les projets et programmes gouvernementaux. “Soucieux d'une exécution efficace des politiques publiques, le Premier ministre a annoncé la mise en place d'un dispositif renforcé pour le pilotage, le suivi et l'évaluation des programmes et projets découlant des 26 objectifs stratégiques et des réformes du plan quinquennal 2025-2029”, a annoncé le porte-parole du Gouvernement. Ousmane Sonko, selon le communiqué, a insisté sur “la rationalisation, la priorisation et l'efficience dans l'utilisation des ressources publiques”. Sur cette dernière question qui représente un enjeu majeur pour le gouvernement, “le Premier ministre a décidé que toutes les dépenses d'investissements seront validées à son niveau”, rapporte le porte-parole, qui annonce “qu'un tableau prévisionnel des opérations financières de l'État sera soumis par quinzaine”. |
Par Mor Amar