La réforme des institutions, la révolution républicaine et l'Assemblée constituante.
Les institutions doivent être au service de la société. Toute société doit faire, à des moments cruciaux donnés, des choix courageux, pensés et discutés entre ses membres autour des règles fondamentales qui assurent son équilibre et sa stabilité sur le long terme. Pour asseoir ce corpus, nous devons prendre le temps de nous écouter ; d'écouter nos récits respectifs, y compris les récits de ceux d'entre nous qui sont défavorisés et vulnérables, (femmes, jeunes et minorités). C'est cela qui devrait fonder la réforme des institutions à travers un processus qui permet de repenser l'Etat.
Au Sénégal, le processus de décolonisation de l'Etat n'a pas été mené à bon port pour dire vrai. C'est ainsi que le type de rapports qu'entretenait l'administration coloniale avec les populations connaît encore de fortes survivances, sources de malentendus fréquents entre l'administration post indépendance et les populations. Qu'il s'agisse des recensements généraux de la population et de L'habitat ou des enquêtes sur les ménages ou encore des simples sondages, les réponses sont le plus souvent biaisées ; les informations sont cachées ; on considère que les rapports avec l'administration doivent être des rapports de dissimulation, etc.
C'était cela la conduite à l'époque coloniale. Il en a été de même du rapport au travail. Puisqu'on travaillait pour les dominateurs, tous les moyens pour ne pas travailler étaient bons. Aujourd'hui encore, on parle de commandement territorial pour parler des gouverneurs et préfets. La loyauté vis-à-vis de l'Etat, vis-à-vis du bien public n'est pas ancrée dans la culture. Cette posture des populations est au demeurant largement justifiée par le comportement d'une frange non négligeable de ceux qui, dans l'esprit de ces dernières, incarnent l'Etat. L'arrogance et la suffisance, les décisions non concertées et donc imposées, les voies de fait, etc. Sans compter le népotisme et la corruption...
C'est tout cela qu'il faut changer et il s'agit d'une véritable révolution au sens de la profondeur de ces changements et de leur caractère radial. Rappelons par ailleurs que le Sénégal est un pays situé dans une sous région espace de confrontations violentes entre des intérêts stratégiques divers et antagoniques. Au total, pour garantir la stabilité et la paix nécessaires au succès des programmes de développement, il conviendra de réformer en profondeur notre conception ultra jacobine de l'Etat.
Toutes les crises et réformes institutionnelles de l'ère post coloniale ont tourné autour de la problématique des pouvoirs exorbitants conférés au Président de la République dans un état centralisé à outrance : la crise de 1962-63 (élimination du Président du Conseil de gouvernement détenant à l’époque l’essentiel des pouvoirs d’Etat et concentration entre les seules mains du Président de la République sorti vainqueur du conflit, de tous les pouvoirs) ; instauration de l'article 35 de la constitution de 1963 qui permit d’organiser la dévolution du pouvoir à la personne choisie par le Président de la République ; abrogation de l’art 35 en 1981 et suppression du poste de Premier Ministre ; l'histoire du code consensuel (post 88) et les réformes de la constitution qui s’en sont suivies notamment le retour du septennat du Président de la République ; le débat sur la candidature de Wade en 2011, et les affrontements auxquels il a donné lieu ; le projet de constitution des assises nationales et les réserves ou oppositions de ceux qui n'y ont pas pris part, notamment l'actuel Président de la République ; la fragilisation-banalisation du Président de la deuxième institution du pays par l'instauration d'un mandat renouvelable tous les ans du Président de l’Assemblée nationale ; etc.
Ce survol historique de l'évolution des institutions semble être vérifié par les conclusions de l’étude intitulée «Sénégal, une démocratie ‘ancienne’ en mal de réforme» du Pr de droit constitutionnel Ismaïla Madior Fall**. Il y est indiqué que «la première réforme majeure requise par le système politique et visant la consolidation des institutions semble être la nécessité de rationaliser l’institution présidentielle et d’aménager des contrepoids à celle-ci».
En d’autres termes, «il convient de promouvoir l’indispensable rééquilibrage des institutions par le renforcement du parlement et de la juridiction constitutionnelle». Aujourd’hui, indique l’étude, «la critique la plus partagée du présidentialisme sénégalais est que ce type de régime ne reflète pas la qualité du parcours démocratique du pays».
Il ressort de ce tout ce qui précède que les problèmes à résoudre sont à la fois nombreux et importants. Leurs solutions exigent le consensus le plus large car seul un tel consensus est à même d'assurer aux futures institutions la crédibilité et par voie de conséquence, la stabilité nécessaire au développement du Sénégal. Or un tel consensus large que tous s'engageront à respecter, à défendre et à sauvegarder, se construit et se forge au cœur d'un processus largement inclusif. Voilà ce qui fonde notre proposition de convocation d'une Assemblée constituante largement inclusive d'où seront exprimées toutes les préoccupations de notre peuple multi ethnique, multiconfessionnel et multi confrérique. L'Histoire de l'humanité a montré toute la pertinence de cette approche devenu une nécessité absolue, non reléguable au long terme.
La constituante définira les paradigmes sur lesquels se fondera le futur Etat post colonial : Quel équilibre fonctionnel pour les institutions de l'Etat ? Régime présidentiel ou régime parlementaire ? Ou régime mixte ? Institutions centrales et institutions locales : Place et rôle des collectivités locales dans l'architecture institutionnelle du pays ? Leurs rapports avec le gouvernement central ? Droits des citoyens et pouvoirs locaux ? Prérogatives des exécutifs locaux en matière foncière ?
Il doit être mis fin à la simple duplication du présidentialisme néo colonial dans les collectivités locales où certains maires ou présidents de conseils ruraux accaparent le foncier et en abusent. Le sort des initiatives du pouvoir central (lois et règlements dans le domaine du foncier).
A corréler à la problématique d'une agriculture performante au double sens de la résorption du déficit alimentaire et du renforcement des capacités d'exportation du pays. Quelles sont, dans la constitution, les matières susceptibles de réformes par le biais du parlement et celles qui relèvent du référendum constitutionnel ; La durée des mandats et leur articulation ; La Question casamançaise dans un Etat de type jacobin et dans le cadre d'une administration d'inspiration coloniale doit trouver réponse dans la future constitution.
Mamadou Diop "Decroix"
ancien ministre d'Etat,
Député à l'Assemblée nationale,
Secrétaire Général d'Aj/Pads