Publié le 3 Jul 2022 - 20:53
CRISES POLITIQUES RÉPÉTITIVES

Quand les acteurs jouent avec le feu !

 

Après les violences inouïes connues au mois de mars dernier, le Sénégal vient de frôler à nouveau le pire, du fait de la mauvaise foi manifeste des hommes politiques, mais aussi d’une institution judiciaire qui n’a plus la confiance des justiciables, à cause de son déficit d’indépendance statutaire.

 

Une bombe a été désamorcée, mais elles sont encore nombreuses les mines ‘’antisociales’’ qui pourraient à tout moment éclabousser la stabilité tant chantée du Sénégal. Depuis 2012, le pays a connu plusieurs situations de tension, les unes plus inquiétantes que les autres. Le point culminant a été atteint entre mars 2021 et juin 2022. Au moins 17 morts, pour des raisons inimaginables dans un État digne de ce nom. À chaque fois, la justice est désignée d’un doigt accusateur comme étant l’élément déclencheur. À chaque fois, on trouve des arrangements amiables éphémères, au lieu de prendre le mal par la racine.

Comment une accusation de viol d’une citoyenne sénégalaise sur un autre a pu être à l’origine de la plus grave crise que le Sénégal ait connue depuis plusieurs décennies ? Comment une annulation partielle de listes électorales pour des Législatives a pu provoquer trois morts ? Pourquoi les Sénégalais peinent-ils autant à se fier à leur justice pour trancher les litiges comme cela se fait dans toutes les sociétés civilisées ? Ce serait simpliste de n’indexer que la mauvaise foi manifeste des politiciens, prompts à mettre tous leurs péchés sur le dos d’une ‘’justice corrompue’’.

Si les décisions de justice, bonnes ou mauvaises, peinent à emporter l’adhésion d’une partie de l’opinion, c’est surtout parce qu’il n’y a pas mal de dysfonctionnements notés.

Le manque d’indépendance fragilise la justice et met en danger les magistrats

Ancien président de l’Union des magistrats sénégalais, Souleymane Téliko disait, lors de son discours d’adieu : ‘’Le culte de l’objectivité nous oblige à reconnaitre que ce système judiciaire traine des handicaps qui contrastent avec le rôle du magistrat dans un État de droit et la place qu’elle a vocation à occuper au sein des institutions de la République. Qu’on ne s’y trompe pas, la meilleure manière de protéger les magistrats, c’est de travailler à rendre la justice plus indépendante et crédible, car la justice tire son autorité de la confiance qu’elle inspire au citoyen. Ce n’est donc pas la force qui fait la justice, mais la justice qui fait la force.’’

Durant son passage à la tête de l’organisation, plusieurs initiatives ont été menées. Du point de vue de l’indépendance statutaire des magistrats, rien de significatif n’a pu être réalisé. Aujourd’hui comme hier, les goulots qui étranglent la magistrature sénégalaise, la monte contre une bonne partie de l’opinion font florès. Parmi ces goulots, il y a, disait l’ancien président de l’UMS au moment de son départ, ‘’le contrôle quasi total que l’Exécutif exerce sur les magistrats, qui constitue une menace permanente pour l’indépendance de la justice’’.

En outre, il y a ‘’la précarité statutaire du magistrat qui trouve son paroxysme dans les dispositions discriminatoires sur le régime de retraite’’. Enfin, il s’agit de ‘’la subordination excessive du parquet au ministre de la Justice qui contribue à faire peser sur cette entité et, par ricochet, sur la justice toute entière, un soupçon permanent de collusion avec l’Exécutif’’.

Quand les politiciens utilisent le manque d’indépendance pour ne pas assumer leurs turpitudes

Pour soigner ces maux, plusieurs concertations ont été menées. Certaines ont même été initiées par la plus haute autorité de ce pays, confié à l’un des plus brillants juristes que comptent les universités sénégalaises de droit, en l’occurrence le professeur Isaac Yankhoba Ndiaye alias ‘’Jacob’’. Aujourd’hui encore, les conclusions dorment dans les tiroirs du président ou de son ministre de la Justice, malgré les millions dépensés et les énergies mobilisées, sous le prétexte de vouloir réformer la justice.

Au-delà de ses problèmes d’ordre statutaire, l’image de la justice sénégalaise est aussi ternie par le comportement de certains de ses membres et de ses dirigeants. Quand des magistrats sont souvent affectés ou sanctionnés illégalement parce qu’ils ont refusé de se coucher devant des instructions de la tutelle (cas Ngor Diop) ; quand des procureurs se font limoger en plein procès (cas Alioune Ndao avec la Crei), trouver des arguments pour ne pas assumer ses turpitudes devient très facile. Les politiciens en usent et en abusent.

Pour l’opposant politique sénégalais, la justice n’est bonne que quand il gagne. Quand il perd, le juge devient le bouc émissaire parfait. Dans sa dernière sortie, le leader de Yewwi Askan Wi disait ce qui suit : ‘’Ce qui s’est passé hier et avant-hier (avec la libération des militants de la coalition), ce n’est pas normal, mais c’est mieux que ce qu’ils avaient l’habitude de faire. C’est pourquoi il n’y a pas eu beaucoup de bruit… Ils avaient arrêté 127 personnes, ils ont estimé pour les 124 qu’il n’y avait pas matière à poursuivre. On s’est dit que la justice a commencé à se rapprocher du droit chemin. Et quand ce sera le cas, la confiance sera restaurée. Mais on reste vigilant.’’

Quelques jours seulement plus tôt, l’opposant radical était diplomatiquement recadré par ses propres avocats. Et c’est lui-même qui en fait la confidence. Il déclare : ‘’Dans ma dernière sortie, quand j’ai parlé des juges, mes avocats m’ont appelé pour me dire que tel juge on le connait bien et on sait que c’est un homme droit, un homme que le régime ne peut pas influencer et ce que tu as dit de lui ne correspond pas à ce qu’on sait de lui… Je leur ai dit : Aujourd’hui, nous sommes dans un combat. Et notre principal adversaire, ce n’est pas Macky Sall, mais la justice, parce que tous ses forfaits, il les fait passer par la justice. C’est donc cette justice, notre adversaire politique aujourd’hui’’, a lâché Sonko, non sans ajouter que l’histoire lui a donné raison sur bien des points.

L’appel à candidatures et l’ouverture du CSM pour ramener la confiance

Selon lui, ce combat est loin d’être personnel. Il penserait même que la majeure partie des magistrats sont dignes. ‘’Mais quand la justice accepte de jouer ce rôle, elle doit accepter, et c’est valable pour n’importe quel acteur, que ça soit clair. Ici, il y a Macky Sall qui gouverne et d’autres qui s’opposent. Chacun peut choisir son camp ; on n’a pas de problème à ce niveau, mais il faut être prêt à ce qu’on vous associe au combat quand quelqu’un décide de se ranger du côté de Macky Sall’’, menace-t-il sans citer les autres destinataires de ses accusations.

Revenant aux juges, il peste : ‘’Ce que je veux dire aux juges, c’est qu’ils doivent être les garants de la démocratie. Tant qu’ils vont prendre les décisions qui correspondent à la justice, le pays sera apaisé. C’est ça leur rôle. Quand on a tort, qu’ils nous appliquent la loi. On ne bronchera pas.’’

Une chose est sûre : la caporalisation de la justice par le pouvoir ne profite pas qu’au pouvoir. Elle profite aux forts, de manière générale, et devient une véritable menace pour la paix publique et, par ricochet, pour les faibles.

Selon un magistrat, deux réformes s’imposent pour que le citoyen puisse avoir confiance en la justice. D’abord, c’est la désignation des magistrats à certaines stations stratégiques par appel à candidatures. Ensuite, l’ouverture du Conseil supérieur de la magistrature à des personnalités extérieures au corps, pour qu’ils puissent témoigner de la transparence du processus de nomination des magistrats et de leur qualité.

Peut-être qu’en ce moment, la magistrature pourra jouer le rôle qu’Ousmane Sonko et tant d’autres citoyens attendent d’elle.  ‘’Quand la justice s’élève à la hauteur de ses responsabilités, elle peut être l’organe et l’élément stabilisateur d’un pays’’, analyse le maire de Ziguinchor, non sans appeler les juges à ‘’rester dignes, au-dessus de la mêlée, en traitant tout le monde de manière égale, équidistante et juste’’.

MOR AMAR

 

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