Mi-figue, mi-raisin !
En sus de l’absence d’offre politique concrète, la plupart des listes n’ont pas d’agenda, n’ont pas de budget de campagne et semblent peiner à mobiliser les électeurs autour de la campagne. Leur début de campagne est surtout marqué par des visites auprès des dignitaires religieux.
Ça ne s’emballe toujours pas. Lancée le 9 juillet dernier, la campagne électorale pour les élections législatives de 2022 bat encore de l’aile. Au-delà de la Tabaski qui a un peu plombé le démarrage, le constat est aussi que les têtes de gondole de certaines grandes coalitions se font encore désirer. Ce responsable à Pastef confie sur un ton narquois : ‘’C’est parce que ‘borom thiow li’ (celui qui fait bouger les choses) n’est pas encore descendu dans l’arène. Il était à Ziguinchor et il vient d’arriver sur Dakar. Il ne faut pas se presser ; les choses vont bientôt être secouées.’’
Selon le jeune responsable, il faudrait bien que même les journalistes et autres professionnels des médias remercient son président Ousmane Sonko. Il peste : ‘’Même la presse lui doit des hommages… Si c’est mou en ce moment, c’est parce qu’il est dans son coin.’’
Apparemment, même les autres supposés grands leaders de la coalition semblent tétanisés par l’absence du président du Pastef/Les patriotes. Khalifa Ababacar Sall, Déthié Fall et tous les autres sont presque introuvables, depuis le début de la campagne. Résultat : depuis le lancement de la compétition, les déclarations semblent avoir pris le dessus sur les activités de campagne. Pendant que les têtes de gondole continuent de se faire désirer, Barthélemy Dias, lui, a déjà lancé la conquête de Dakar. Mais, pour le moment, c’est plus une déclaration qu’autre chose. Dans une déclaration de plus de 10 minutes publiées sur sa page Facebook, il a, en effet, exposé pourquoi les Sénégalais devront choisir l’intercoalition Yewwi-Wallu. ‘’C’est pour barrer définitivement la route à une troisième candidature et éviter au Sénégal de renouer avec les violences’’, a-t-il notamment laissé entendre.
En ce qui concerne la coalition AAR Sénégal, le Coordonnateur des cadres de la république des valeurs reconnaît que c’est timide, pour l’instant, mais, il s’en explique : ‘’C’est normal pour une campagne qui coïncide avec la fête de tabaski. C’est parce que les gens ont la tête ailleurs. Il y a aussi la cherté de la vie. Les gens préfèrent s’occuper des intérêts primaires de leurs familles, d’abord, avant de s’occuper de questions électorales. Aussi, il ne faut pas oublier qu’il y a six mois, on a tenu des élections locales. Cela avait mobilisé beaucoup de temps, de moyens et d’engagements’’. A cela s’ajoute, à son avis, ‘’les tensions qui ont précédé ces élections et qui ont peut-être un peu démobilisé certains’’.
Toutefois, il pense que ‘’ce sera juste la première semaine’’ ; que ‘’les deux prochaines vont être beaucoup plus animées’’.
Visites de proximité et ziars
Outre les déclarations de salon très peu captivantes, les candidats, profitant du contexte de la Tabaski, se signalent également à travers des visites de proximité, particulièrement des ziars aux chefs religieux et autres dignitaires dans les différentes localités. Comme s’ils s’étaient passé le mot depuis le début de la campagne, les candidats se bousculent dans les foyers religieux. Sur ce registre, c’est la tête de liste de la majorité présidentielle qui a donné le ton avec une visite au khalife général des mourides, à grand renfort de communication médiatique.
Il résulte, en effet, de leur programme de campagne, qui a eu le mérite d’être rendu public très tôt, que la première journée coïncidant avec la fête était consacrée à des ziars dans Dakar, Pikine et Guédiawaye. Pour la deuxième journée, l’évènement phare a été, à n’en pas douter, la visite de la tête de liste et sa délégation au khalife général des mourides.
Mais cette nouvelle tendance qui semble être légitimée par la Tabaski n’est pas l’apanage de Benno Bokk Yaakaar. À la suite de la coalition au pouvoir, le leader de Bokk Gis Gis, Pape Diop, a également été à Touba, pour avoir la bénédiction du khalife. Pendant ce temps, l’intercoalition Yewwi-Wallu à Dakar, amenée par le maire Barthélemy Dias, faisait le tour de quelques dignitaires religieux pour faire son ziar. Dans un communiqué publié hier, ils affirment : ‘’La première journée de campagne de l'intercoalition Yewwi-Wallu a été marquée par des visites aux chefs religieux, première étape de celles consacrées à nos vénérés guides, pour la paix pendant cette période électorale.’’
La délégation a ainsi rendu une visite de courtoisie auprès de Serigne Maodo Sy, Thierno Madani Tall, Mouhamadou Lamine Laye et Mame Mbaye Laye, afin de solliciter des prières pour un Sénégal de paix, des élections sans incidence et une belle victoire de leur liste au soir du 31 juillet 2022.
Par ailleurs, nos efforts de disposer des agendas de campagne des différents candidats sont restés vains. Comme pour les programmes de législature, la plupart des responsables de coalition que nous avons pu joindre ont soit affirmé que les plannings sont en cours de finalisation, soit qu’ils n’en ont pas encore, quand ils ne préfèrent pas tout bonnement s’emmurer dans le silence, à l’exception de Benno Bokk Yaakaar et d’Aar Sénégal. L’on ne saurait dire si c’est par manque de moyens pour battre campagne ou par simple manque d’organisation.
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Trois conseils pour réussir une campagne
Une campagne électorale réussie, c’est au moins un message convaincant, une communication efficace, mais aussi un budget suffisant pour la financer et une bonne organisation pour la mise en œuvre.
Il résulte de plusieurs documents scientifiques parcourus, les conseils suivants pour réussir sa campagne. Parmi les dix recommandations fortes, il y a le fait de débuter très tôt. Une campagne, selon l’Agence globale de communication, ce n’est pas un sprint, mais plutôt une course de fond. Elle se prépare sur un an, voire deux ans. ‘’Avant tout, un travail de terrain s’avère nécessaire afin que le candidat parte à la rencontre des citoyens pour écouter leurs préoccupations quotidiennes (chômage, sécurité, éducation, environnement, etc.). Ce conseil est encore plus valable pour un candidat dont la notoriété est à parfaire ou à établir’’, conseille la plateforme.
Une campagne, c’est aussi, d’après l’agence, une offre politique concrète. Ce qui manque de façon criarde sur la scène politique sénégalaise. ‘’Par offre politique, précise l’AGC, nous faisons référence au programme. Bien qu’en politique la forme est souvent privilégiée au détriment du fond, les idées et solutions proposées par un candidat ont (et heureusement) une influence prépondérante sur le choix des électeurs… Les citoyens attendent des candidats des solutions concrètes qui les soulagent de leurs difficultés ou préoccupations’’.
Last but not least, en campagne électorale, il faut aussi travailler à imposer ses thèmes dans l’agenda politique. Selon les chercheurs américains Maxwell McCombs et Donald Shaw auxquels on doit la théorie de ‘’l’agenda setting’’, les médias de masse possèdent une influence prépondérante sur la formation de l’opinion publique. ‘’En somme, ils ne nous disent pas comment penser, mais sur quoi il faut penser (hiérarchie des sujets). Une élection se gagne parfois sur des thèmes et l’exemple le plus frappant est l’ancien président américain Georges Bush Jr. En effet, ce dernier doit en grande partie sa réélection de 2004 au thème de la sécurité, suite aux attentats de 2001. Ainsi, il se positionnait comme le candidat de la sécurité. Après ces attentats, la question sécuritaire occupait le devant de la scène dans les unes de journaux’’.
Selon l’AGC, il faut, en conséquence, que le candidat s’appuie sur un thème de campagne qui lui tient à cœur et en faire son ‘’cheval de bataille’’. ‘’L’autre étape est de réussir à ce que votre thème tienne le «haut du pavé» dans les médias. Parfois, l’actualité est un très bon propulseur’’, recommande l’agence.
Sur toutes ces questions, de même que sur celle relative aux financements, les candidats aux prochaines Législatives brillent par leur impertinence.
MOR AMAR