Publié le 27 Jun 2023 - 13:25

De l’irrecevabilité de la plainte pour crimes contre l’humanité déposée sur la table du Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre l’Etat du Sénégal

 

L’actualité des dernières années est riche en évènements liés au droit international et en particulier au droit pénal international. La Cour pénale internationale a, quant à elle, connu d’importants développements avec notamment, le renvoi de la situation en Libye par le Conseil de sécurité des Nations Unies, des avancées dans la situation au Kenya, la suite à l’arrestation de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo, ou encore la saisine de la Cour par le Mali, les Comores etc.

Contrairement à ce que prévoient les statuts du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda à l’effet que ces tribunaux ont la primauté sur les juridictions nationales, le statut de Rome1 précise que la CPI est complémentaire des juridictions nationales2. Dans le cadre de cet équilibre entre la souveraineté des Etats à poursuivre les présumés responsables de crimes internationaux et le développement d’une institution judiciaire autonome et indépendante, le principe de complémentarité est ici abordé d’un point de vue critique. Aujourd’hui, une plainte semble indiquer que le Sénégal devrait répondre devant la CPI.

La nature de la plupart des crimes commis au regard du droit international sont généralement commises par des agents de l’Etat ou avec leur complicité. Il vaut donc mieux, bien souvent, que la répression de ces crimes relève d’instances judiciaires internes. Si le cadre international de poursuite et de répression reste le plus naturel et le plus satisfaisant intellectuellement, c’est d’abord dans l’ordre interne que s’est inscrite en premier lieu la répression des infractions internationales3.

L’article premier du statut de Rome souligne avec acuité le rôle capital et la responsabilité première des juridictions nationales dans la répression des crimes les plus graves et, tout cela, en conformité avec les normes universelles de protection des droits humains. Ainsi, l’adoption du texte international sur la Cour le 17 juillet 1998, suivie de son entrée en vigueur le 1er juillet 2002, a non seulement signifié l’instauration d’une nouvelle Cour pénale internationale permanente, mais aussi la mise en place d’un nouveau système judiciaire international, ceci en

Malick BA

Docteur en droit privé
Spécialiste du droit pénal international Bamalick210@gmail.com
 

1 Cf. alinéa 10 du Préambule et l’article 1 du statut de Rome.

2M- C. TOUSIGNANT, L’instrumentalisation du principe de complémentarité de la CPI : une question d’actualité, Revue québécoise du droit international, 2012, p. 74.
3 H. ASCENSIO et ali, (dir), Droit International Pénal, Ed. APEDONE, Paris, 2000, p.871.

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Par Malick BA, Docteur en droit privé.

vue de mettre un terme à l’impunité. La CPI est fondée sur le principe de complémentarité en vertu duquel l’obligation d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites contre les auteurs des crimes, prévue à l’article 5 du Statut, relève en amont des juridictions nationales.

En vertu du « principe de juridiction universelle », chaque Etat est autorisé à mettre en accusation, à juger et enfin à condamner, dans le cadre d’une procédure pénale nationale, les personnes qui se sont rendues coupables de crimes internationaux, notamment de crimes contre l’humanité.

Par ailleurs, dans l’affaire Erdemovi, la Chambre de première instance précise quant à elle, la notion de gravité. Pour la Chambre, « les crimes contre l’humanité couvrent des faits graves de violence qui lèsent l’être humain en l’atteignant dans ce qui lui est le plus essentiel : sa vie, sa liberté, son intégrité physique, sa santé, sa dignité. Il s’agit d’actes inhumains qui de par leur ampleur ou leur gravité, outrepassent les limites tolérables par la communauté internationale qui doit en réclamer la sanction »4. La notion d’infraction de crime contre l’humanité relève donc d’une indignation collective, d’un assouvissement moral qui doit s’en remettre entièrement au droit pénal international.

Il ne sera pas facile de trouver un texte traitant des infractions internationales qui ne mentionne pas leur gravité exceptionnelle. Les instruments légaux et les jugements concernant ces crimes contiennent des références portant sur leur gravité. Ces crimes concernent des actes qui menacent la paix et la sécurité de l’humanité5. Ils sont d’un caractère odieux particulier, « inhumain »6 et « choquant pour la conscience de l’humanité »7. Il y aura des cas de crimes si horribles que la communauté internationale sera obligée, pour son propre bien et pour la préservation de principes universels fondamentaux, de tenir les principaux planificateurs ou auteurs responsables pour un jugement efficace. Il est admis que le texte sur les crimes, dans ce sens, s’inspire de la hiérarchie normative du droit international8et fait penser que ce traité n’est

4TPIY, jugement Erdemovi(IT-96-22), du 29 novembre 1996, §28.
5Voir l'art. 17, 18 et 20, projet de code 1996. Cf. Préambule du Statut de la CPI, para. 3 : « Reconnaissant que de tels crimes graves menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ». Voir aussi O. TRIFFTERER, 1966, p. 195-217. « Historiquement, le droit pénal international était fortement axé sur la protection de la communauté internationale, à savoir assurer le fonctionnement sans entrave des États. Le but de la protection des civils contre les souffrances graves est apparu plus récemment avec l'avènement du droit des droits de l'homme ».
6Voir par exemple Statut de la CPI Art. 7 (1).
7Voir par exemple Préambule Statut de la CPI, par. 2.

8Voir Congo, Cour suprême, Projet de loi, définition et répression des crimes contre l'Humanité, 24 mars 1998. Au fond « Nul ne peut valablement prétendre ignorer que le génocide et les autres crimes contre l'Humanité sont la plus intolérable des atteintes contre la personne humaine et ceux sont naturellement interdits ».

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I. Aperçu sur les éléments constitutifs de l’infraction

Les crimes contre l’humanité ont une origine coutumière. Elles sont non seulement liées à la violation grave du droit humanitaire, mais également aux violations des droits de la personne et dépassent le seul cadre du conflit armé. Il s’agit d’une atteinte fondamentale à la dignité humaine et à l‘humanité. La notion de crimes contre l’humanité est schématisée à travers une attaque généralisée et systématique contre la population civile en temps de guerre ou de paix consistant en : des crimes liés à une atteinte à la vie humaine et des crimes liés à des persécutions. Cette infraction, d’une ampleur sans commune mesure et néfaste pour le genre humain, a évolué dans le temps, lui donnant un contenu aussi riche que diversifié. Mais ce n’est qu’en réponse aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale que l’humanité s’érigera elle-même comme une « valeur à protéger », avec l’apparition, dans l’article 6.c du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg10, de la notion de « crime contre l’humanité ». Le concept est donc fortement ancré dans un contexte historique particulier. Aujourd’hui, le crime contre l’humanité est devenu un chef d’inculpation beaucoup plus large et mieux défini grâce au statut de Rome11, mais il demeure quand même sujet à controverses.

Le concept de crimes contre l’humanité apparaît pour la première fois en tant que notion proprement juridique en 194512. A ce titre, A. FROSSARD formule cela d’une manière limpide : « le crime contre l’humanité, c’est tuer quelqu’un sous prétexte qu’il est né »13. Le fait d’être né renvoie, au sens strict, à la race, à l’ethnie, à ce qui est naturel en l’homme.

pas simplement un choix des acteurs du droit international, mais plutôt une norme objective qui s’impose à tous ceux qui souhaitent participer à une société civilisée9.

9Voir préambule Convention sur le génocide, par. 1 et 3 (affirmant que le génocide est « condamné par le monde civilisé » et « un fléau odieux ») ; Cf. CIJ, réserves à la Convention sur la prévention et la répression du Génocide (Avis consultatif), 19511951 CIJ 23, réitérée dans CIJ, Affaire relative à la requête de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), Exceptions préliminaires, 11 juillet 1996, par. 31 : « Les origines de la Convention montrent que les Nations Unies ont l'intention de condamner et de punir le génocide comme « un crime en droit international » impliquant un déni du droit à l'existence de groupes humains entiers, un déni qui choque la conscience de l'humanité et entraîne de grandes pertes pour l'humanité et qui est contraire au droit, à la morale et à l'esprit et aux objectifs des Nations Unies

(Résolution 96 (1) de l'Assemblée générale, 11 décembre 1946 ».

10 Statut du tribunal militaire international de Nuremberg du 08 août 1945.
11 Art. 7.
12 Dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg qui a été établi par la Charte de Londres. 13A. FROSSARD, Le Crime contre l’humanité, Paris, Robert Laffont, 1987.

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Toutefois, l’idée de naissance permet d’inclure tout ce qui est acquis mais relève d’un héritage et ne saurait par conséquent procéder d’un choix : classe sociale, religion, jusqu’aux convictions politiques. Mais le contenu actuel des crimes contre l’humanité suppose une autre approche pas très différente :

une attaque qui doit être généralisée, c’est-à-dire menée à large échelle (élément quantitatif) ou même alternativement (depuis le statut de la CPI),

une attaque qui doit être systématique (élément qualitatif),
une attaque militaire ou toute autre forme d‘attaque concertée, possédant un caractère

violent ou non violent.

D’après M. BETTATI, il faut que soit établi, au-delà de tout doute raisonnable, que l’acte commis exprime un dessein, traduise un calcul, « révèle une préméditation politique, idéologique ou dogmatique, une visée délibérée »14. E. DAVID souligne quant à lui que « toute politique suppose une concertation et une planification préalables »15.

Le principe de légalité applicable en droit pénal exige que les crimes soient définis très distinctement. Au terme du statut de Rome : « ... on entend par crime contre l’humanité l’un des actes ci-après commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque »16.

Cette définition est complétée et clarifiée par le document intitulé « Eléments des crimes », adopté par l’Assemblée des Etats parties au statut de Rome. Ce document énonce l’ensemble des conditions à remplir pour invoquer l’existence des différents crimes et la culpabilité de leur auteur.

Pour être qualifié de crime contre l’humanité au regard de l’article 7 du statut de Rome, tout acte mentionné par cette disposition doit être commis dans le cadre d’une attaque soit systématique soit généralisée, en application de la politique d’un Etat ou d’une organisation. Les deux variantes de l’attaque, c’est-à-dire son caractère « systématique » ou « généralisé » constituent les branches d’une alternative17.

14 M. BETTATI, Le crime contre l’humanité, in Droit international pénal, sous la direction de H. Ascension, E. Decaux, A. Pellet, Revue internationale de droit comparé, Pédone, 2001, pp. 300-301.
15 E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, Bruylant, Bruxelles, 1999, § 4.136a, p. 657.
16Article 7.

17 Y. HAMULI KABUMBA, «L’élément politique des crimes contre l’humanité : État des lieux de la jurisprudence de la Cour pénale internationale », Annuaire Canadien De Droit International, 2015, 223-259.

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Le caractère généralisé ou systématique est sans aucun doute un des éléments contextuels les plus difficiles à établir dans le cadre de la poursuite des crimes contre l’humanité. Ainsi, l’ « attaque généralisée » est celle qui s’étend à l’ensemble ou à la majorité des individus visés, alors qu’il faut le préciser, l’ « attaque systématique » est celle menée selon un ordre défini, une certaine méthode, une logique ou une certaine organisation, et ce, dans un but déterminé.

Le criminel contre l’humanité est animé par une conception déshumanisante de sa victime, laquelle permet le crime18. L’énigme posée reste celle de savoir qui est population civile au sens du statut de Rome. Le terme « population » renvoie à un caractère collectif. Cela n’exclut cependant pas l’application de l’incrimination à un fait unique dès lors que ce fait a été commis dans le cadre du contexte particulier de l’attaque généralisée ou systématique.

Par population civile, le DIH retient une définition négative, considérant qu’il s’agit des personnes qui ne font pas partie des forces armées. Toutefois, dans le cas d’un conflit armé international, il faut entendre par population civile, d’après l’article 50 du protocole additionnel I19, toute personne qui :

  1. n’appartient pas aux forces armées,

  2. n’est pas un prisonnier de guerre au sens de l’article 4 §, 1, 2,3 et 6 de la IIIe Convention

    de Genève.

En outre, les Eléments des crimes dans le cadre des crimes de guerre identifient les attaques contre des personnes civiles également. Ils considèrent que « l’objectif de l’attaque était une population civile en tant que telle ou des personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités » et que « l’auteur entendait prendre pour cible de son attaque ladite population civile ou ces personnes civiles ne participant pas directement aux hostilités »20. A l’évidence, la population civile constitue l’objet essentiel de l’imputation des crimes contre l’humanité.

18F. BUSSY, « Le crime contre l’humanité, une étude critique », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 115 | 2013, 135-148.
19 Le Protocole additionnel I de 1977 élargit et précise le contenu des infractions graves.
20 Voir Eléments des crimes, art.8 2) b) i).

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L’attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile constitue l’un des aspects des crimes contre l’humanité. Pour autant, elle n’est pas un critère suffisant pour établir distinctement l’idée que le Statut a de cette transgression.

Il faut, en outre faire état d’un élément important que constitue l’approche morale. Le statut de Rome définit l’élément psychologique des crimes, « sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance »21.

L’élément psychologique du crime renvoie à un état d’esprit particulier de l’auteur de l’acte qui caractérise le comportement criminel. « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », c’est le principe qui est rappelé par l’article 121-3 alinéa 1 du Code pénal français par exemple et dans la plupart des législations pénales notamment au Sénégal. La responsabilité pénale n’est donc engagée que lorsque l’auteur a eu l’intention de commettre un crime ou un délit, il faut un dol22.

Pour le criminel, la différence est elle-même assimilée à un crime que seule la mort, la déportation, la réduction à des conditions de vie inhumaines peuvent expier. Il y a donc manifestement une volonté coupable. A l’alinéa 2 de l’article 7, il y a intention au sens du présent article lorsque :

a) relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ;
b) relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est

consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.

Le texte stipule nettement que l’accusé doit connaître une telle attaque et qu’il sait que son acte en faisait partie ou pouvait en faire partie dans le cours normal des événements. Selon R. GRONDIN, une connaissance détaillée de l’attaque n’est pas exigée, mais l’accusé devait savoir qu’une population civile était visée23. Les actes sont accomplis selon le statut, « en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ».

21Alinéa 1 de l’article 30.
22C’est-à-dire une intention de violer la loi pénale.
23 R. GRONDIN, « L’élément psychologique des crimes internationaux les plus graves », Revue générale de droit, vol. 33, n° 3, 2003, p. 439-479.

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Au regard de ce qui précède, les éléments constitutifs du crime contre l’humanité justifiant la saisine de la CPI pour attraire le Sénégal, ne sont pas réunis.

II. De l’incompétence de la CPI

La renaissance de la justice pénale internationale a d’abord encouragé le déclenchement de procédures devant les juridictions nationales24. Stimulés par les actions lancées par les tribunaux internationaux contre de hauts dirigeants étatiques, les juges nationaux ont découvert des dispositions de leur droit national leur permettant d’affirmer leur compétence pour juger des auteurs de crimes contre l’humanité. Il arrive que l’étendue des obligations d’un Etat en matière de mise en œuvre des responsabilités soit déterminée dans le cadre de la compétence d’un tribunal.

A la différence de la coopération, le terme « complémentarité » n’apparait qu’une seule fois dans le Préambule du Statut. Ce dernier indique que « la Cour Pénale Internationale est complémentaire des juridictions pénales nationales ». Seul l’article17.1 fera référence à ce paragraphe, devenant ainsi la disposition régissant la complémentarité. Compromis entre le principe de primauté et le principe de subsidiarité, il se veut une réponse à la permanence de la Cour en laissant une plus grande place à la souveraineté des Etats25.

La Cour pénale internationale a compétence pour les crimes visés par le statut de Rome et commis par des nationaux ou sur le territoire d’un Etat partie au Statut, ou sur décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies26.

Toutefois, compte tenu du principe de complémentarité consacré par le Statut, la Cour ne peut exercer sa compétence que lorsque l’Etat compétent n’est pas disposé à engager des poursuites ou n’est pas en mesure de le faire. Les Etats restent donc investis de la responsabilité première de juger les auteurs présumés, et c’est seulement dans certains cas que l’exercice des poursuites

24Classiquement, la compétence d'une juridiction d'un Etat à l'égard d'un crime est limitée aux principes de territorialité et de personnalité ; ce qui signifie qu'elle ne peut s'exercer que si le crime a été commis sur le territoire de cet Etat ou si le criminel est l'un de ses ressortissants. Une exception a toutefois été faite pour les crimes les plus graves.

25G. BERKOVICZ, La place de la Cour Pénale Internationale dans La société des Etats, Logiques juridiques, Editions l'Harmattan, 2005, p.200.
26Art. 5 du statut de Rome.

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peut être transféré à la CPI27. Cette question était tout aussi délicate car impliquant la souveraineté des Etats.

Si l’on admet qu’il existe un consensus au sein de la communauté internationale pour considérer que les crimes les plus graves au regard du droit international à savoir les crimes de guerre, le génocide, les crimes d’agression et les crimes contre l’humanité ne doivent pas demeurer impunis28, un des intérêts de la compétence universelle est d’éradiquer tout conflit négatif de compétence et d’éviter tout déni de justice afin de faire prévaloir la poursuite des crimes contre l’humanité29.

Certes, la compétence universelle recèle en elle-même la possibilité d’un conflit positif de compétence puisque, en vertu du principe de territorialité du droit pénal, le juge national du lieu de commission des faits est toujours compétent pour connaître de ces faits. C’est pourquoi le principe de subsidiarité joue afin d’assurer une cohérence dans la répression des crimes de droit pénal international30.

« Il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux »31, souligne le paragraphe 6 du préambule du statut de Rome.
Le Statut peut ainsi renforcer la souveraineté des Etats parties car il prévoit que la CPI est le dernier recours lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens d’obtenir justice
. « Ce principe de complémentarité exige la coopération entre les Etats et sur l’assistance nécessaire au renforcement des capacités nationales afin que tous les pays puissent combattre l’impunité avec efficacité »32. Dans le cadre de ce principe, les juridictions nationales ont la priorité mais la compétence de la Cour prend le relais lorsqu’un Etat ne dispose pas des moyens techniques ou juridiques nécessaires pour juger et punir les auteurs de crimes contre l’humanité.

27Nations Unies, La protection juridique internationale des droits de l’homme dans les conflits armés, New York et Genève, 2011, p. 90.
28 Déclaration de la jugead hoc VAN DEN WYNGAERT, Cour internationale de Justice, 8 décembre 2000. 29D.VANDERMEERSCH, op., cit., pp. 121 à 180.

30Ibidem.
31Préambule du Statut de la CPI §6.
32M. ZSOLT HETESY (Hongrie), Rapport de cour pénale internationale (A/69/321).

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Le statut de Rome indique également comment mettre en œuvre la complémentarité selon les critères de recevabilité qui sont l’incapacité, le manque de volonté et la gravité et son alinéa 1 énumère les cas d’irrecevabilité33.

Ce principe de subsidiarité est d’ailleurs repris dans le cadre du conflit libyen. Le 24 juillet 2014, la Chambre d’appel de la CPI a confirmé que l’affaire al-Senoussi34 était irrecevable devant la Cour. Dans cette décision, la Chambre d’appel énonce que, pour qu’une affaire soit recevable d’après l’article 17 (2) du statut de Rome, il doit être démontré que les investigations ou les poursuites n’ont pas été conduites de façon indépendante ou impartiale et qu’elles ont été conduites d’une façon qui, dans ces circonstances, est incompatible avec l’intention de traduire la personne en justice.

Le Statut atteste la rigueur du principe de complémentarité lorsque la CPI est saisie par un Etat partie ou par le Procureur agissant proprio motu. Avec la notification par le Procureur, un quelconque des Etats pourra alors demander au Procureur de se dessaisir pour qu’il exerce sa primauté dans la répression de ces crimes, ce qu’il devra faire sauf exception35.L’article 18 § dispose que : « lorsqu’une situation a été déférée à la Cour comme le prévoit l’article 13, alinéa a), et que le Procureur a déterminé qu’il y aurait une base raisonnable pour ouvrir une enquête, ou lorsque le Procureur a ouvert une enquête au titre des articles 13, paragraphe c), et 15, le Procureur le notifie à tous les Etats Parties et aux Etats qui, selon les renseignements disponibles, auraient normalement compétence à l’égard des crimes dont il s’agit. Il peut le faire à titre confidentiel et, quand il juge que cela est nécessaire pour protéger des personnes, prévenir la destruction d’éléments de preuve ou empêcher la fuite de personnes, il peut restreindre l’étendue des renseignements qu’il communique aux Etats ». La CPI va ainsi, par la

33 «a) L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce, à moins que cet Etat n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites; b) L'affaire a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des poursuites ».

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35Article 18§2 du statut de la CPI : « ... si l'Etat le lui demande, le Procureur lui défère le soin d'enquête, à moins que la Chambre préliminaire ne l'autorise sur sa demande, à faire l'enquête lui-même ».

Par une résolution 1970 du 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations Unies décide de saisir le Procureur

de la CPI de la situation en Libye. Puis le 27 juin 2011, suite à une requête du Procureur, trois mandats d’arrêt sont émis à l’encontre de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam Kadhafi et Abdallah al-Senoussi pour des crimes contre l’humanité (notamment meurtre et persécution) commis dans toute la Libye depuis le 15 février 2011.Le 2 avril

2013, pour Abdallah al-Senoussi, le gouvernement libyen a soulevé devant la Chambre préliminaire deux

exceptions d’irrecevabilité en arguant du principe de complémentarité.

9De l’irrecevabilité de la plainte pour crimes contre l’humanité déposée sur la table du Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre l’Etat du Sénégal

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notification de l’ouverture d’une enquête, donner la possibilité aux Etats de réprimer eux- mêmes les crimes en question36.

Il faut donc un équilibre entre la souveraineté des Etats à poursuivre les présumés responsables de crimes internationaux et le développement d’une institutionjudiciaire autonome et indépendante. La question de la recevabilité d’une affaire devant la Cour pénale internationale doit être appréciée in concreto dans chaque affaire, que la situation de chaque accusé est différente et que la Cour doit, pour chaque accusé, s’interroger sur la recevabilité de l’affaire devant elle37. Cependant, force est de noter la primauté du juge interne qui devra statuer sur toute saisine.

Ainsi, il semble clair que la plainte déposée sur la table du Procureur de la Cour ne peut objectivement prospérer. Aucune des conditions prévues par le Statut de Rome n’est constituée justifiant la compétence de la juridiction internationale.

Au demeurant, suite aux derniers évènements avec des décès regrettables, l’Etat du Sénégal a pris l’option d’ouvrir une information judiciaire afin que les auteurs de crimes ou de délits soient recherchés, arrêtés et poursuivis conformément aux lois et règlements en vigueur.

36E. NUKUR, « La complémentarité de la justice pénale internationale à la justice nationale des états dans le cas de la cour pénale internationale », Burundi, 2010.
37J. KHELIFA, « Le principe de complémentarité de la CPI et la révolution libyenne », Chroniques internationales collaboratives, Septembre, 2014.

 

 

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