Publié le 23 Jun 2022 - 18:46
DEMANDE D’UNE MISSION DE L’ONU, SAISIE DE LA CEDEAO SUR LE TROISIÈME MANDAT

La société civile vilipende le régime de Macky Sall  

 

Face au mutisme des autorités sur les appels au respect du droit des citoyens à manifester de manière pacifique, la société civile alerte les organisations régionales et internationales sur les menaces qui planent sur la démocratie sénégalaise.

 

Manifester est un droit, au Sénégal. La société civile l’a rappelé à maintes reprises aux autorités. L’interdiction de la manifestation de Yewwi Askan Wi et la répression qui en a découlé ont montré que leurs considérations n’ont pas été prises en compte. Désormais, c’est vers les Nations Unies qu’elle s’est retournée pour tenter d’éviter une répétition des événements de mars 2021.

En effet, 11 associations membres de la société civile sénégalaise ont écrit au rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association. Ceci, pour l’inviter ‘’à agir et surtout à organiser une mission au Sénégal pour prendre connaissance et mettre fin aux graves atteintes au droit de réunion pacifique’’.

Au même moment, le docteur Cheikh Tidiane Dièye, de la Communauté des citoyens de la CEDEAO, a écrit à l’instance sous-régionale pour lui demander de voter à la majorité des 2/3 l’amendement interdisant un troisième mandat au sein de la CEDEAO, si le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo maintiennent leur position lors de la prochaine réunion du 3 juillet 2022.

C’est dire que la société civile semble avoir choisi son camp. Celui du respect des libertés fondamentales.

La coalition Yewwi Askan Wi a annoncé une nouvelle manifestation le 26 juin 2022. Les autorités ne se sont pas encore prononcées sur son autorisation ou non. Mais la société civile leur met déjà la pression. Dans leur lettre à Clément Nyaletsossi Voulé, les associations comme Afrikajom Center, Amnesty International/Sénégal, la Ligue sénégalaise des Droits de l’homme ou encore Y en a marre fustigent le non-respect par les autorités sénégalaises de ‘’droits incontestables fondés sur une obligation de l'État’’ : ‘’L’article 8 de la Constitution du 22 janvier 2001 (qui) dispose : «La République du Sénégal garantit à tous les citoyens la liberté de manifestation» ; ‘’L’article 10 (qui) précise ce qui suit : «Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public».

La société civile fustige le non-respect  de ‘’droits incontestables fondés sur une obligation de l'État’’

Ces associations prennent pour preuve la manifestation du 17 juin 2022, organisée par la coalition Yewwi Askan Wi qui a été interdite par le préfet de Dakar. ‘’Cette interdiction a été entérinée par le juge des référés, ce qui a donné lieu à des manifestations populaires qui ont été violemment réprimées. Le bilan des violences des forces de sécurité fait état de quatre morts, d’un nombre indéterminé de blessés et de plus de 250 détenus dont deux maires et trois députés détenus arbitrairement, en dépit de la protection que leur confère leur immunité parlementaire’’, documente la note.

Les associations de la société civile n’oublient pas de préciser que l’article 14 de la loi n°78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions, dispose que l’autorité administrative peut interdire une manifestation publique que si deux conditions cumulatives sont réunies : 1) d’une part, qu’il existe une menace réelle de troubles à l’ordre public ; 2) d’autre part, que l’autorité ne dispose pas de forces de sécurité nécessaires pour protéger les personnes et les biens. Malgré cela, ‘’ l’arrêté du préfet de Dakar n°193/P/D/DK du 15 juin 2022 portant interdiction de la manifestation du 17 juin, en son article 1er, vise uniquement des «menaces de troubles à l’ordre public».’’

Pour illustrer cette incohérence, la lettre reprend quatre arrêts de la Cour suprême faisant office de jurisprudence sur des décisions sanctionnant d’illégalité manifeste ‘’tout arrêté du préfet qui interdit un rassemblement pacifique en invoquant ou en se fondant sur la seule condition de «menaces de troubles à l’ordre public». 

Si ces associations dénoncent les interdictions illégales d’un droit garanti par la Constitution du Sénégal, la Déclaration universelle des Droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, une d’entre elles a déjà promis de se joindre à la manifestation de mercredi prochain, si jamais elle est interdite. En effet, le mouvement Y en a marre s’est  dit prêt à marcher aux côtés de la coalition Yewwi Askan Wi pour défendre la démocratie et les droits fondamentaux.

Des décisions de justice incohérentes ou  partisanes ?

Le Sénégal se dirige vers les élections législatives le 31 juillet prochain. Mais pour beaucoup d'acteurs de la scène politique, le véritable enjeu de ce scrutin est la préparation de la Présidentielle de 2024. Des joutes auxquelles l’opposition politique soupçonne le président de la République Macky Sall de vouloir participer, alors qu’il aura effectué deux mandats à la tête du pays.

La semaine dernière, au cours de la réunion des ministres des Affaires étrangères des États membres de la CEDEAO qui s'est tenue à Accra, au Ghana, un nouveau paragraphe a été introduit dans l'article 1 de la section 1 traitant des principes de convergence constitutionnelle, dans l'amendement du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Il stipule : "Les États membres doivent adopter des dispositions dans leurs Constitutions respectives pour s'assurer qu'aucun président de la République n'exerce plus de deux (2) mandats ou ne prolonge son mandat pour quelque raison ou sous quelque forme que ce soit." Toutefois, trois pays ne l’ont pas signé. Il s’agit du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Togo.

Si cela constitue un nouvel indice pour ceux qui prétendent que le président sénégalais compte se représenter à sa succession dans deux ans, le Dr Cheikh Tidiane Dièye est passé aux actes. Le directeur du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Cacid), Réseau Enda Tiers-monde/Sénégal, a adressé une correspondance au président en exercice de la CEDEAO, Nana Akufo Addo, Président de la République du Ghana. Dans la lettre signée de sa main et de celle du Dr Ken Ukaoha, Président de l’Association nationale des commerçants nigérians, les deux membres d’organisations de la société civile se disent ‘’choqués, tristes et déçus (mais pas totalement surpris) que trois États membres, à savoir la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Togo, résistent à cette initiative positive, insistant sur le fait que le sujet devrait être laissé aux caprices des États membres’’.  

Le Dr Cheikh Tidiane Dièye demande à la CEDEAO de voter la limitation des mandats au 2/3

Les 12 autres États membres de l’organisation ouest-africaine ont donné leur accord pour cette initiative de limitation des mandats au sein de la CEDEAO. Dans une récente sortie dans les médias, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, tête de liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar, avait justifié cette position du Sénégal par le fait qu’il s’agissait d’un changement de dernière minute à l’ordre du jour et le représentant sénégalais devait prendre la position de ses supérieurs sur la question, justifiant son abstention.

Le 3 juillet 2022, un nouveau Sommet des chefs d’État de la CEDEAO est prévu. À cette occasion, le Dr Cheikh Tidiane Dièye et son collègue invitent les leaders à  respecter la volonté de leurs peuples, en invoquant l'article 20 du règlement intérieur de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement, afin d'adopter cette décision à la majorité des 2/3 des États présents et habilités à voter, si les trois États décidaient de maintenir leur position contre cet amendement.

‘’Par cet acte singulier de patriotisme, l'histoire vous jugera et vous donnera raison, vous et vos collègues qui se mettront du bon côté, en tant que promoteurs essentiels de la paix, de la justice, de l'intégration et du développement durable en Afrique de l'Ouest. Nous vous regardons !’’, écrivent les membres de la Communauté des citoyens de la CEDEAO, dans  une lettre qui a également été envoyée au président du Parlement de la CEDEAO, au Président de l’Union africaine, au représentant des Nations Unies pour la CEDEAO, au représentant de l’Union européenne et à toutes les missions diplomatiques et les partenaires de la CEDEAO.

Lamine Diouf 

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