Publié le 10 Mar 2013 - 22:00
DEMBA MOUSSA DEMBÉLÉ, COORDONNATEUR DE L'ARCADE

''La préférence nationale doit être une réalité''

 

L'État a le devoir de protéger les entreprises nationales qui transforment les ressources locales en vue de créer de la richesse, tout en facilitant des PME au financement. C'est l'avis du coordonnateur de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (ARCADE).

 

Les PME et PMI traversent aujourd'hui une crise liée à un problème de recouvrement, mais aussi de marchés à cause de la baisse de la commande publique. Selon vous, qu'est-ce qui est à l'origine de cette situation ?

 

Il faut avoir à l’esprit que les PME constituent l’essentiel des entreprises du pays. Certaines sources disent qu'elles constituent 90 à 95% des entreprises du Sénégal. Par conséquent, quand on parle de marasme économique dans le pays, cela affecte en premier lieu les PME. En outre, comme la plupart d’entre elles dépendent de la commande publique, si celle-ci baisse et si l’État n’honore pas ses créances, cela les affecte très fortement. Par ailleurs, l’accumulation d’arriérés de paiements au titre de la dette intérieure a eu un impact négatif sur l’activité économique et sur les activités et les revenus des PME. Au moment de la présentation du budget 2013, le ministre de l’Économie et des Finances avait indiqué que la dette intérieure était de 717 milliards de francs Cfa à fin 2012. Un troisième facteur est constitué des politiques inappropriées de l’État, qui n’a pas une politique cohérente de soutien aux petites et moyennes entreprises.

 

Qu'est-ce qui est à l'origine de la baisse de la commande publique ?

 

La baisse de la commande publique est liée à plusieurs facteurs. D’abord, les restrictions budgétaires liées à la situation des finances publiques. On se rappelle qu’à l’installation du nouveau régime, les argentiers de l’État disaient que les ''caisses étaient vides'', par suite de la dilapidation des deniers publics par l’ancien Président Wade qui avait utilisé une bonne partie du budget de 2012 pour se faire réélire. Cette situation a contraint le nouveau régime à décréter une certaine austérité. La nécessité d’assainir les finances publiques a poussé les nouvelles autorités à geler des dépenses publiques et des projets qui auraient pu profiter aux PME. Par ailleurs, l’accumulation d’arriérés au titre de la dette intérieure a poussé l’État à la prudence en donnant la priorité au paiement de ces arriérés pour relancer la machine économique. Enfin, les bailleurs de fonds qui financent certaines commandes publiques exigent souvent des critères dans les appels d’offres que les PME ne peuvent pas satisfaire.

 

Pourquoi ces PME peinent-elles à mobiliser des crédits au niveau des banques ?

 

Il faut dire que les banques commerciales au Sénégal ne font pas confiance aux PME. Elles ont des critères d’octroi de crédit trop contraignants qui rebutent les PME. En outre, les taux d’intérêt restent très élevés au Sénégal et dans les autres pays membres de l’UEMOA, un phénomène que le Président Macky Sall avait dénoncé lors de l’anniversaire des 50 ans de la BCEAO au mois de novembre dernier. Cette sortie du Président avait d’ailleurs amené le Gouverneur de la BCEAO à engager des discussions avec les Associations professionnelles de banques et établissements financiers (APBEF) pour examiner les voies et moyens de baisser les taux d’intérêt afin de pouvoir financer les économies de la zone UEMOA. Mais jusqu’à présent, ces discussions n’ont donné aucun résultat. Les banques commerciales au Sénégal préfèrent s’adonner à des activités commerciales ou immobilières qui sont moins risquées. A part les entreprises détenues par des expatriés, rares sont les entreprises nationales qui ont accès aux financements bancaires. Il faut dire aussi que nombre de PME sénégalaises sont dans le secteur dit ''informel'', donc sans comptabilité formelle permettant de contrôler leurs bilans. Ce qui ne facilite pas des demandes de financement au niveau des établissements bancaires. Et pourtant, selon une étude récente conduite par le Pr. Ahmadou Aly Mbaye, Doyen de la Faseg (Faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université publique de Dakar - Ucad), le secteur informel représente près de la moitié du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal.

 

Quels sont les secteurs les plus affectés ?

 

Je pense que tous les secteurs sont affectés. Mais c’est surtout le secteur des industries de transformation et celui de l’artisanat qui sont les principales victimes de la situation difficile dans laquelle se trouvent les PME. Des fermetures sont annoncées dans le secteur de la transformation alimentaire (tomate industrielle, poissonneries) ; dans le secteur textile, dans l’industrie de la chaussure. L’industrie de l’ameublement végète en dépit de sa bonne qualité, victime qu’elle est de l’engouement pour les produits étrangers.

 

Comment remédier à cette léthargie dans les affaires ?

 

A mon avis, il faut revoir de fond en comble les politiques de l’État vis-à-vis des entreprises nationales, notamment des PME. C’est un fait que celles-ci sont l’essentiel du tissu économique. C’est elles qui sont la source de création d’emplois dans le secteur privé. C’est elles qui peuvent contribuer à résorber le chômage, notamment celui des jeunes diplômés. C’est sur elles qu’il faudra s’appuyer pour toute politique de relance et d’industrialisation digne de ce nom. Donc, l’État doit revoir ses politiques à trois niveaux. En premier lieu, privilégier les PME nationales dans ses appels d’offres. Autrement dit, la question de la ''préférence nationale'' doit être une réalité. Il faut protéger les intérêts des entreprises nationales qui travaillent pour transformer les ressources locales et créer de la richesse. Tous les pays le font en dépit de la rhétorique néolibérale sur la ''libéralisation'', ''la transparence'' et ''la compétitivité''. Ensuite, l’État doit éviter d’accumuler trop d’arriérés vis-à-vis des PME comme cela a été le cas ces dernières années. Enfin et surtout, l’État doit mettre en place des mécanismes qui permettent de faciliter l’accès des PME au financement. Ces changements sont d’autant plus nécessaires que le secteur privé national est le premier investisseur au Sénégal, selon les statistiques de l’APIX (Agence de la promotion des investissements et des grands travaux). Peut-être que l’État a l’intention de changer ses politiques en essayant avant tout d’avoir une meilleure connaissance du secteur des PME. C’est l’objet de l’étude entreprise par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) en coopération avec la Banque africaine de développement (BAD).

 

Pierre Birahim DIOH

 

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