LE TÂTONNEMENT ET LES ERREMENTS CONTINUENT

J’avais initialement prévu, en tant qu’expert en la matière, de publier un article de fond sur les coopératives au Sénégal et sur les orientations prises dans ce secteur par les nouvelles autorités du pays. Mais j’ai finalement décidé de mettre ce projet en suspens, afin de ne pas contribuer davantage à leur fourvoiement. En effet, leur approche consiste à mettre en œuvre des initiatives mal comprises et mal maîtrisées, à grand renfort de slogans creux mais séduisants pour le commun des Sénégalais, généralement peu informés sur le sujet.
Dans un article précédent, j’avais déjà dénoncé l’hérésie que représentait la mise en place de « coopératives communales ». Depuis lors, cette appellation semble avoir été mise en veilleuse, au profit d’un autre concept tout aussi erroné sur le plan coopératif : celui de « coopératives communautaires et productives ».
Or, une coopérative regroupe des personnes ayant des intérêts communs à défendre et des objectifs similaires à atteindre ensemble. À l’inverse, une communauté est un conglomérat d’intérêts souvent divergents, voire contradictoires. Elle réunit différents corps de métiers et couches sociales : artisans, agriculteurs, éleveurs, commerçants, prestataires de services, mais aussi chômeurs, pauvres, classes moyennes, riches, hommes, femmes, jeunes, personnes âgées, etc.
Des coopératives structurées par corps de métier ou par catégorie sociale (femmes, jeunes, etc.) ont du sens et sont cohérentes. En revanche, l’expression « coopérative communautaire et productive » est une construction sans fondement, ni juridique, ni sociologique, ni économique.
Le qualificatif « productive » est par ailleurs superflu : une coopérative est, par définition, une unité économique soumise aux exigences de rentabilité et de profitabilité. Quelle que soit sa nature, elle doit être en mesure de produire de la valeur, de façon à répondre aux besoins de ses membres.
Ce concept de « coopérative communautaire et productive » ne repose donc sur rien d’autre qu’un slogan séduisant, mais vide de sens.
Les nouvelles autorités doivent faire preuve d’humilité et d’honnêteté intellectuelle. Elles gagneraient à se mettre à l’écoute de ceux qui maîtrisent réellement les enjeux dans chaque domaine.
Elles doivent, pour commencer, abroger ou adapter la législation en vigueur — notamment la loi 83-07 et ses décrets d’application — afin de la rendre conforme aux textes de l’UEMOA et de l’OHADA en matière coopérative. La législation communautaire parle désormais de sociétés coopératives, et non simplement de coopératives.
Pour conclure, rappelons une vérité fondamentale : les coopératives sont des sociétés de personnes autonomes, gérées exclusivement par leurs membres-usagers dans une économie de marché. Si ce principe n’est pas respecté, il ne s’agit pas de coopératives. Ce ne seront alors que des excroissances de l’État, de ses démembrements, ou d’intérêts politiques et clientélistes — des structures vouées à capter des financements publics pour des groupes de pression, et non à servir les populations.
Et comme par le passé — souvenons-nous des coopératives dites « socialistes » sous les présidences de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf — ces expériences finiront, inévitablement, en échec cuisant.
Nul besoin de grandes théories pour le démontrer !
Dakar, le 14 avril 2025
Youssou Diallo
Expert en coopératives
Président du Club Sénégal Émergent