Publié le 3 Feb 2012 - 19:33
DOCTEUR SOULEYMANE NDIAYE (CRIMINOLOGUE)

''Plus la répression sera féroce, plus les opinions seront tenaces''

Dr Souleymane Ndiaye, criminologue

 

Quelle lecture faites-vous des événements tragiques d'avant-hier ?

 

Les événements de mardi montrent qu'aujourd'hui, le Sénégal a atteint le point de non-retour. C'est le point à partir duquel, ni les circonstances, ni le temps ne permettent de faire autrement que ce qu'il est absolument nécessaire de faire.

 

C'est-à-dire ?

 

Dans le contexte actuel, il est nécessaire que nous nous départissions de certaines considérations. Les sociologues diraient que nous nous décentrions de la pesanteur de nous mêmes, de certaines illusions, de la libido dominandi qui embrume notre raison, pour ne plus considérer que l'intérêt supérieur de notre nation. Or, dans ce cas, je ne peux que faire appel à Alain qui disait que ''la capacité d'ouverture et d'action du chef de l'État constitue, dans la République, le ferment d'une évolution positive''. Donc, aujourd'hui, les chefs religieux, les autorités de toute obédience devraient faire appel au chef de l'État qui, en l'occurrence, constitue la clé de voûte de toute solution.

 

''Pour l'intérêt supérieur de la nation, il doit partir. Les chefs religieux, le clergé devraient peser de tout leur poids pour que l'opposition comme le pouvoir fassent des concessions et que le président parte avec les honneurs dus à son rang''

 

Comment Wade serait-il la clé de voûte de toute solution?

 

Parce que dans un pays, les opinions se nourrissent de l'acharnement dont on a recours pour les étouffer. Kant nous dit : ''Dans la République, les conflits doivent se résoudre. Il est illusoire d'essayer de les éradiquer''. La preuve est qu'il y a eu plusieurs manifestations et plusieurs morts. Donc, plus la répression sera féroce, plus les opinions seront tenaces.

 

 

Si l'on vous suit, nous devrions nous attendre à une spirale de violences, dans les jours à venir ?

 

Absolument ! Ma conviction est que le Sénégal va droit dans le mur. Il faudrait ici et maintenant trouver une solution. Pourquoi je le dis ? Compte tenu de l'environnement géopolitique qui prévaut depuis quelque temps, et connaissant bien le président de la République, s'il prend la résolution de défier la communauté internationale, de défier ses amis par son attitude et rester sourd à tout appel de sagesse, je pense qu'il est d'une naïveté inadmissible de croire que celui-là irait organiser des élections pour les perdre.

 

Ce n'est pas le connaître. C'est faire montre d'une cécité politique. Aujourd'hui, le président Abdoulaye Wade n'a pas hésité à gager toute sa notoriété. S'il perd, ce serait extrêmement grave pour lui, ce serait même périlleux et il le sait. Alors que la situation est telle que, même s'il organisait des élections claires, transparentes, il est certain que l'opposition n'accepterait jamais une victoire dès le premier tour. Parce que, le sentiment de justice a été effrité et anéanti.

 

L'opposition n'a plus confiance en l'institution chargée de juger les élections, en l'occurrence le Conseil constitutionnel. Parce que des références, Seydou Madani Sy et Ibrahima Fall se sont prononcés contre la candidature de Wade. Donc, l'opposition a un doute raisonnable dans la sincérité des membres du Conseil. Des gens disent : ''Oui ! Allons aux élections''. Mais, c'est précipiter notre pays dans le chaos, c'est certain.

 

 

''Je suis sûr qu'en cas d'enquête internationale (sur les événements survenus le 31 janvier), on découvrirait des choses inimaginables. Il y a une intention criminelle derrière cela''

 

 

D'un côté, il y a le pouvoir décidé à réprimer toute manifestation et de l'autre, l'opposition qui compte bien tourner la page Wade. Comment concilier les deux parties ?

 

J'ai observé les vidéos concernant les événements d'avant-hier et j'en suis venu à me poser la question de savoir si ce sont des policiers qui ont tiré. Ceux que j'ai vu opérer sur le terrain, je ne parle pas des véhicules, mais ceux qui étaient à pied ont l'apparence de policiers professionnels. Je ne pense pas que l'un d'entre eux puisse tirer. Maintenant, il y a un autre aspect qui renforce mon doute. J'ai entendu dire dans les médias qu'une balle aurait été destinée à Serigne Mansour Sy Djamil. Un autre projectile aurait frôlé Moustapha Niasse.

 

Qu'est-ce qui se serait passé si les deux leaders avaient été touchés ? Aujourd'hui, tout le Sénégal serait en ébullition. Il y aurait des violences collectives incontournables. Il faut éviter cela. Les élections ne constituent pas une issue, parce que j'ai la preuve qu'un Conseil constitutionnel peut provoquer une victoire, comme une défaite.

 

En 1993, j'étais commissaire représentant le candidat Iba Der Thiam à la Cour d'Appel. Il est certain que si le Conseil constitutionnel d'alors avait fait son travail conformément au code électoral, le candidat Diouf serait au second tour. C'est ce qui avait provoqué la démission du juge Kéba Mbaye.

 

 

On a vu le car de la police foncer dans la foule et faire deux morts...

 

Pour moi, c'est un individu qui avait l'intention de tuer.

 

 

Donc, il y aurait des gens qui voudraient que le pays s'embrase. Mais qui ?

 

Justement ! J'en reviens au théorème de Feuerbach : ''A qui profite le crime ?''. Ceux qui font cela ont bien pesé ce qu'ils gagneraient en mettant le chaos. Ils sont sûrs de ne rien avoir à payer. Le président Macky Sall, semble-t-il, a l'intention de saisir l'Onu. Je suis sûr qu'en cas d'enquête internationale, on découvrirait des choses inimaginables. Il y a une intention criminelle derrière cela.

 

 

Mais qui, de l'opposition ou du pouvoir y a intérêt ?

 

L'opposition n'a rien à gagner dans cela. Et je pense que Abdoulaye Wade n'aurait absolument rien à gagner et au contraire tout à perdre. Parce que si la foule déferle vers le Palais, il y aurait des mitrailleuses et des centaines de cadavres. Mais qui va payer en premier ? Le président Abdoulaye Wade. Maintenant, comme dit La Rochefoucauld, ''celui qui ne sait pas choisir ses amis ne connaîtra que malheur''.

 

 

''En 1993, j'étais commissaire représentant le candidat Iba Der Thiam à la Cour d'Appel. Il est certain que si le Conseil constitutionnel d'alors avait fait son travail conformément au code électoral, le candidat Diouf serait au second tour. C'est ce qui avait provoqué la démission du juge Kéba Mbaye'' .

 

 

Vous qui connaissez bien Wade, pensez-vous que les pressions combinées de l'opposition et de la communauté internationale peuvent le contraindre à quitter le pouvoir ?

 

Je suis convaincu que laissé à lui-même et aux conseils de son épouse que je connais bien, le président Wade se serait retiré. Mais il y a des individus, et ce sont toujours les mêmes, qui l'ont toujours poussé à commettre l'impensable. Aujourd'hui, la situation est beaucoup plus grave qu'elle ne l'a jamais été.

 

 

Que préconisez-vous ?

 

Personnellement, j'aurais dit à Abdoulaye Wade de sortir par la grande porte. J'ai écouté le marabout de Kaolack, il a très bien parlé. Wade, pendant 26 ans, a lutté pour la conscientisation du peuple. Il a fait ce qu'il a pu. Pour l'intérêt supérieur de la nation, il doit partir. Les chefs religieux, le clergé devraient peser de tout leur poids pour que l'opposition comme le pouvoir fassent des concessions et que le président parte avec les honneurs dus à son rang.

 

 

GASTON COLY

 

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