Le jeu périlleux de la surenchère
Beaucoup redoutent une situation de turbulence pouvant menacer la paix sociale. En effet, du côté du pouvoir comme de l’opposition, personne ne met de l’eau dans son vin. Se prononçant sur l’actualité politique, le chef de l’Etat a tenu, le week-end dernier, un discours incisif qui a fait naître une grosse polémique. Les analystes politiques se prononcent.
‘’Personne ne peut m’intimider. C’était impossible avant que je ne sois chef d'État, a fortiori aujourd’hui que Dieu m’a mis au pouvoir’’. Ces propos tenus par Macky Sall, en marge du Forum de Paris sur la paix, alors qu’il rencontrait les militants de Benno Bokk Yaakaar, ont fait naître la polémique dans l’espace politique sénégalaise. Pour d’aucuns, ils sont susceptibles de jeter de l'huile sur le feu ; pour d’autres, l’Etat doit rester fort et le président est dans son rôle, en prévenant les acteurs de l’opposition.
C’est le cas de l’analyste politique Pape Amadou Fall, qui souligne que l’Etat doit être fort au service du bien commun. ‘’‘’Occupez la rue publique’’, ‘’mettre la pression sur les gouvernants’’, est la stratégie mise en avant par certains dirigeants de l’opposition qui pensent que c’est ainsi qu’ils pourront s’allier l’électorat. Les événements du 8 mars dernier, sous la houlette d’Ousmane Sonko, avaient mis l’État en position de faiblesse. Et pour l’opposition, cette méthode est peut-être gagnante. Le président Macky Sall, en se prononçant sur la question, rassure les Sénégalais. L’État doit rester fort et c’est lui le garant, sur ce plan-là’’, indique-t-il.
Néanmoins, il précise que les Sénégalais ne veulent qu’avoir des élections apaisées. Pas des démonstrations de force.
Joint par ‘’EnQuête’’, Mamadou Sy Albert est d’un autre avis. ‘’Si le président dit qu’il n’est pas inquiété, qu’il ne va pas accepter une quelconque pression, c’est une menace qui s'ajoute à la situation qu’on a vécue, il y a quelques semaines. Quand le chef de l’Etat, chef d’un parti et chef d’une coalition, verse dans la menace, ça ne peut pas rassurer les acteurs politiques’’, dit-il. A ses yeux, le président Sall est en train d’utiliser lui-même l’intimidation. De ce fait, il considère qu’il y a une crainte que tout le monde partage, au-delà de la surprise. ‘’Est-ce qu’elle sera suivie par des actes allant dans le sens de la confrontation avec l’opposition ?’’, se demande-t-il. Tout en espérant que cette ‘’menace’’ soit simplement une alerte pour appeler à l’apaisement.
Ce qui est étonnant, pour le politologue, c’est que le chef de l’Etat se mêle à des élections locales. ‘’Le mandat du président n’est pas en jeu. Il n’y a pas de raison qui explique qu’aujourd’hui que Macky Sall élève la tonalité de son discours’’, dit-il.
‘’L’opposition est inquiète’’
Aux yeux de Mamadou Sy Albert, l’opposition est dans son droit, à partir du moment où elle sent qu’il y a une possibilité de réprimer les manifestations. ‘’L’opposition est inquiète. Elle ne sait pas réellement à quoi s’attendre. Cette inquiétude fait qu’elle se radicalise, appelle à la résistance, à la mobilisation. C’est des alertes en direction de l’opinion et du pouvoir, pour montrer qu’il faut éviter cette crispation du climat social, cette confrontation potentielle. Et c’est de ce risque-là que l’opposition est en train d’avertir, aussi bien le pouvoir que l’opinion : qu’il y a des possibilités de dérapage, de dérive même de notre démocratie’’, analyse-t-il. Et d’ajouter : ‘’Peut-être que certains propos relèvent de la provocation, en appelant à des marches à gauche et à droite, mais pour l’essentiel, l’opposition sénégalaise est très mature. Elle ne veut pas que le Sénégal verse dans la violence. Elle n’a aucun intérêt à la violence. Au contraire, l’opposition sait qu’elle va être à la limite perdante, quand il y aura des confrontations, des blessés, des privations de liberté. C’est pour cela qu’elle alerte.’’
Pour lui, c’est au président de la République d’être l’arbitre du jeu. Macky Sall, pense-t-il, doit essayer d’apaiser, de calmer le jeu et de rappeler les règles auxquelles tout le monde devrait se soumettre, aussi bien la majorité présidentielle que l’opposition.
Le politologue Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’UGB, abonde dans le même sens. Il relève que le leader de BBY a tenu ce discours à polémique pour répondre à Ousmane Sonko qui disait : ‘’Si Macky Sall veut la paix, tant mieux, s'il veut la guerre, il nous trouvera sur notre chemin.’’ Considérant ainsi que le président de la République s’est rabaissé au niveau de ses adversaires politiques, il dit : ‘’L’opposition est dans son jeu. Le président n’a pas besoin de dire qu’il détient le pouvoir et la force. C’est une grosse faute de communication.’’
L’appel de la Fédération générale des travailleurs du Sénégal
Animée par ‘’le seul souci’’ de préservation de la paix et de la stabilité sociales, la Fédération générale des travailleurs du Sénégal (FGTS-B), en sa qualité de partenaire social représentant des milliers de travailleurs parmi lesquels les travailleurs des collectivités territoriales du Sénégal, estime devoir s’adresser à l’opinion nationale et internationale, au regard des récents développements observés dans le paysage politique, en prélude aux échéances locales prévues le 23 janvier 2022.
Pour elle, il s’agit d’une affaire pendante à la justice et qui concerne un citoyen sénégalais et responsable politique (Barthélémy Dias). Ce dernier, dit-elle, devait donc tout naturellement aller répondre à une convocation de la justice, suite à un appel qu’il avait lui-même fait, en plus de celui, également, fait par le procureur.
‘’Ce faisant, ne demande-t-il pas lui-même que la justice soit rendue et que le droit soit dit ? En tout état de cause, cela ne doit aucunement constituer un prétexte pour provoquer des turbulences inutiles’’, a soutenu FGTS-B dans une note parvenue à notre rédaction. ‘’Pourquoi vouloir politiser une affaire qui relève de la justice ? Laissons à nos braves acteurs du système judiciaire qui sont aussi des travailleurs, faire leur travail sereinement’’, réclame la FGTS-B aux acteurs politiques. Les syndicalistes martèlent qu'il n’est nullement profitable à nos populations et à la nation, de subir de telles subversions et dérives entretenues par une confusion qui risque de menacer, sinon de saper notre démocratie et notre stabilité.
En effet, la FGTS-B dit être particulièrement marquée par les préoccupations de jeunes élèves des collèges et lycées qui ont manifesté, sur les ondes des médias, leurs inquiétudes face au ‘’comportement irresponsable de la classe politique’’, mentionnant par ailleurs ‘’qu’ils ne trouvent plus en eux des références’’.
Elle pense que ‘’notre pays, le Sénégal, est une république dont le fonctionnement repose sur des principes majeurs que sont la séparation des pouvoirs, le respect du calendrier électoral qui permet au peuple notamment de choisir librement, par la voie des urnes, son président, ses représentants à l’hémicycle et ses élus locaux. Pour le régime qui gouverne, le respect de ces principes ainsi que leur stricte observance doivent constituer une performance républicaine qui entretient et consolide la démocratie et la paix sociale’’.
‘’Redoubler notre sens de la responsabilité’’
La FGTS-B appelle à plus de retenue de la part du pouvoir comme de l’opposition, car à l’aune desdites élections locales, l’image renvoyée par ces acteurs politiques à notre jeunesse ‘’ne nous rassure pas du tout quant à leur rôle d’éducateurs et de références devant inspirer les jeunes générations à cultiver de bons comportements dans l’excellence et la qualité’’. Elle rappelle que le Sénégal s’efforce, depuis plusieurs décennies, de se mettre en orbite vers un développement harmonieux et durable. Ce développement, dit-elle, ne pourra pas cependant se faire sans le sens de responsabilités de l’ensemble des acteurs politiques et ‘’sans confiance à notre système judiciaire’’.
Réitérant son appel, elle demande : ‘’Œuvrons tous en toute responsabilité. Aidons ce pays qui est le nôtre à aller de l’avant en restant collé aux valeurs républicaines et cardinales qui caractérisent notre nation, notre cohésion sociale et qui fondent notre système démocratique. Le ‘pouvoir à tout prix’ ne peut être que source de violences et d’instabilité rendant notre cher pays vulnérable à toute forme d’agression.’’
Elle soutient qu’au moment où bien des pays limitrophes connaissent des turbulences sociopolitiques, il paraît nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, de ‘’redoubler notre sens de responsabilités, de quelque bord que nous nous trouvons, pour jalousement garder cette si précieuse valeur que constitue notre stabilité sociale, un bien que plusieurs nations du monde nous envient’’.
Par ailleurs, les syndicalistes pensent que les différents appels à la paix lancés par nos illustres guides religieux et coutumiers méritent d’être entendus et respectés par la classe politique et par tous, puisqu’à bien des égards, acteurs politiques et autres acteurs de développement font systématiquement recours à leur sagesse et leur leadership pour dénouer différentes crises qui surviennent dans la vie de notre nation.
BABACAR SY SEYE