Terrorisme politicien
‘’La liberté et la démocratie exigent un effort permanent. Impossible à qui les aime de s’endormir.’’ François Mitterrand (1916 – 1996)
On a beaucoup parlé de menaces multiformes qui guetteraient le Sénégal, bien avant même le démarrage de la campagne électorale. Mais le danger réel, pour ce pays, ce sont les nouvelles formes de malveillances qui ont fini de polluer la pratique politique au point que l’espace public ressemble plus à une arène de lutte, une porcherie, pire une jungle où tous les coups sont permis.
Le ver est surtout dans le verbe. Les termes de la compétition ont changé. Il ne faut surtout pas être animé d’une certaine probité intellectuelle, d’un souci de vérité et de la prudence du sage pour espérer une bonne réception de son discours. Ce qui est requis pour forcer l’adhésion (suprême vertu) c’est d’abord être une forte gueule. Savoir crier pour forcer l’oreille à entendre. Cela fait mal aux tympans. Et très mal à notre si jeune ‘’vieille’’ démocratie, encore en perpétuelle quête de repères.
C’est une grande tristesse que de le constater, mais les nouveaux habits du jeu politique affichent des couleurs vives qui se nomment arrogance, intolérance et mauvaise foi. Comment ne pas s’étonner que des leaders de parti aspirant à présider aux destinées de ce pays, se fondent sur les ‘’fake news’’ pour tenter à la fois d’intimider et de censurer la presse nationale et étrangère ? Et pourquoi, de façon insidieuse, avoir choisi ce moment très sensible où les nerfs sont tendus, pour livrer toute une corporation à une certaine vindicte populaire ?
Et puis quoi ? Qu’est-ce qui a bien changé sous nos Tropiques pour que, subitement, nos politiques veuillent que la presse, qui couvre de la même façon les élections depuis 20 ans, change de fusil d’épaule ? Ce, alors que les chiffres sont partout disponibles au niveau des commissions départementales de recensement des votes (Cdrv) qui centralisent les procès-verbaux des centres de vote. En 2000, ‘’Sud Quotidien’’ n’avait-il barré sa Une sur un magistral ‘’Wade Président’’ dès le lendemain du vote du second tour de la présidentielle ? Et pourquoi, à la Présidentielle de 2012, n’avait-on pas contesté les chiffres qui avaient été distillés à longueur d’onde de radio jusque tard dans la nuit et qui consacraient un second tour ? Oublie-t-on donc que la chute de Me Wade avait alors été accompagnée, tout en décibels et en images, par les radios et télés avant même que la Commission nationale de recensement des votes (Cnrv), qui valide les résultats provisoires, ne rende son verdict ?
Pourquoi cette montée subite d’adrénaline ? La réponse à cette question est, à notre avis, d’une déconcertante simplicité.
Il s’agit bien d’une stratégie déroulée qui consiste à se trouver un gros ‘’bouc émissaire’’ : la Presse. Car, comme nous le savons, une seule hypothèse est alors jugée crédible par les nouveaux censeurs, avant même que le juge ne dise son mot : second tour. On a presque envie d’ajouter : ‘’second tour ou la mort’’. C’est cette hantise d’une élimination dès le premier tour, sorte de traumatisme avant l’heure, qui détraque les cerveaux de nos politiques. C’est une démarche machiavéliquement préventive et qui annonce, si on lit bien entre les lignes, une chute à venir.
Nous voilà devant une nouvelle forme de terrorisme intellectuel qui est en train de faire nid au Sénégal. Et n’ayons pas peur de le dire, c’est une réelle régression que de constater une sorte de déni de la réalité entretenue à la fois par des élites supposées éclairées et les politiques. On peut aujourd’hui aligner toutes sortes de contrevérités. Il suffit qu’elles soient contre le pouvoir, pour qu’elles s’arrogent des vertus de sciences pures et vérités quasi absolues. Toute voix dissonante est vouée aux gémonies. Conséquence : beaucoup d’honnêtes citoyens ont aujourd’hui peur de prendre leur plume ou d’exprimer leur opinion.
Ce qui est à la fois inacceptable et dangereux, car la liberté d’expression (dont la liberté de presse) est un des piliers de la démocratie. Or, il apparaît bien que nos nouveaux censeurs veulent à la fois une chose et son contraire. L’adhésion formelle aux principes de la démocratie sans le respect effectif de ses exigences dont la discussion et la recherche du consensus. On veut bien profiter de l’ombre et des fruits de l’arbre sans veiller à l’alimenter en eau.
Enfin, si on est d’accord sur le principe que la souveraineté n’appartient ni à Macky Sall ni à Idrissa Seck, Ousmane Sonko ou un autre, mais au peuple, on doit bien concevoir que son choix, quel qu’il soit, est le seul qui vaille. Ce peuple peut bien le mettre aux mains de qui il veut, puisqu’en démocratie, il est le seul souverain. C’est un système exigeant, malheureusement fragile, car exposé aux vendeurs d’illusions et aux loups déguisés en agneaux.
La pirogue tangue, puisse-t-elle ne jamais chavirer !