«Trop de mauvaise foi dans le milieu du théâtre»
Dans la cour de la Sogas, l'ancêtre de la Seras dont il dit être actionnaire, Mansour Mbaye Madiaga est un homme hyper sollicité, surtout quand il fait le tour des abattoirs. Repérable par sa masse physique, le maillot de l'As Pikine près du corps, l'artiste comédien de renom s'est prêté aux questions d'EnQuête. Pas tendre avec certains de ses collègues du milieu du théâtre !
Qu’est-ce qui explique votre absence de la scène théâtrale ?
(…) Je ne sais pas ce que vous voulez dire en parlant d’absence sur la scène.
Pourquoi vos productions se font-elles rares sur les chaînes de télévision ?
Depuis un certain temps, je me suis retiré pour travailler. Pas plus tard que le mois de janvier dernier, j’ai mis sur le marché national et international le film, Téll ma rajax. Pour ce qui concerne les télévisions, c’est moi-même qui ai décidé de ne pas travailler avec elles. Parce qu’on n’y gagne rien. Je ne peux pas concevoir le fait d’injecter plusieurs millions de francs Cfa dans une production pour venir ensuite partager à parts égales avec une chaîne de télévision qui se taille le gros lot avec les publicités. Dans ces conditions, je préfère travailler seul pour me contenter du minimum que je gagne. Malgré la mauvaise foi de certaines personnes qui ont tout un dispositif avec les moyens pour pirater nos œuvres à l’aide des nouvelles technologies, je ne baisse pas les bras... Quand on a eu la chance d’avoir comme maître feu Cheikh Tidiane Diop qui demeure pour moi le meilleur scénariste, on n’a plus le droit à l’amateurisme. C’est pour cette raison que je m’efforce de proposer des œuvres de belle facture avec des thèmes de société. La mission du comédien est d’éveiller les consciences même s’il doit par moments apporter de la bonne humeur dans la vie des gens.
N’y a-t-il pas un malaise dans le milieu du théâtre au Sénégal ?
Les comédiens sont les seuls coupables de tout ce mal qui mine le théâtre car il y a trop de mauvaise foi dans le milieu. Quand des gens qui exercent le même art ne se souhaitent pas mutuellement le meilleur, ils ne peuvent pas jouir pleinement de leurs efforts. C’est le cas du théâtre sénégalais. Les footballeurs et les lutteurs gagnent plusieurs dizaines de millions parce qu’ils sont organisés avec des structures solides, le monde du théâtre devrait s’en inspirer. Aujourd’hui, Il y a des artistes-comédiens qui meurent dans la misère, certains sont obligés de tendre la main pour vivre et d’autres sont malades sans le moindre soutien. Il ne faut pas chercher les fautifs ailleurs. Et nous autres qui nous battons pour garder la tête haute, on essaie de nous mettre des bâtons dans les roues.
Que proposez-vous pour remédier à cela ?
C'est simple : une véritable union des cœurs dans la famille du théâtre sénégalais.
Mais n’est-ce pas les meilleurs qui occupent le devant de la scène ?
Il n’y a que des personnes fausses qui sont au devant de la scène ! Le public ne les connaît pas. Parce que ce sont des trompeurs. Je suis désolé de voir que l’on veut imposer le théâtre sur scène au Sénégal. Cela ne marchera jamais ! Il n’y a que dans le théâtre de salon qu’on développe les différents thèmes de la société sénégalaise.
Quelle différence entre théâtre de scène et théâtre de salon ?
Chaque jour que Dieu fait, on entend certains comédiens qui se disent professionnels, traiter d’autres professionnels d’amateurs. Il n’y a pas un seul comédien de théâtre sur scène qui a connu la célébrité dans son art ! Les comédiens les plus en vue sont issus du théâtre de salon. C’est vrai qu’on a des comédiens sortis de l’Ecole des arts. Mais le talent inné est meilleur chez un comédien. On a la chance d’avoir au Sénégal de grandes références comme Cheikh Ahmadou Bamba, El hadji Malick Sy, Limamou Laye, Boucounta Ndiassane qui ont rayonné dans le monde en croyant en eux-mêmes. Le mieux serait de nous unir pour faire évoluer le théâtre plutôt que de créer des divisons entre comédiens.
Etes-vous membre de l’Arcos (Association des artistes comédiens du Sénégal) ?
J’en ai fait partie, mais je le regrette aujourd'hui.
Pourquoi ?
J’avais longtemps hésité avant d’y adhérer. C’est le promoteur Guédel Mbodj et Habib Diop qui m’avaient demandé de diriger l’Arcos de la banlieue. Je l’ai fait durant deux ans, avec mes propres moyens. Quelque temps plus tard, les gens ont commencé à me montrer leur mauvaise foi. On me critiquait en collant sur mon dos de vilains préjugés. C’est le défaut des Sénégalais. Chaque fois que vous dirigez, on vous tire dessus. Mais ils ne sont pas sans savoir que je suis un homme d’une grande noblesse. Le problème est qu’il y a des personnes incapables de faire bouger les choses qui s’emploient à barrer la route aux autres. C’est pour cette raison que toutes les associations créées sont sans fondement sincère.
L’arrivée de nouveaux comédiens et des téléfilms est-elle un obstacle pour le théâtre ?
Non. Au contraire, je salue cette initiative. J’encourage DJ Boubs qui a eu l’intelligence d’exploiter un terrain laissé vide par les artistes-comédiens. Aujourd’hui, il abat un travail énorme. Et chaque fois que la série «Un café avec…» passe à la télévision, personne ne zappe. De nos jours, personne ne détient le monopole ni la paternité d’un quelconque art. Les gens apprécient toujours ceux qui font très bien leur travail.
Vous avez votre propre troupe maintenant ?
J’ai formé ma troupe sur un ordre. Elle s'appelle Jam, mais Madiaga Productions est le label que j'ai baptisé du nom de mon père. Et c'est sous ce label que j’ai signé des films comme «Borom kër», «Bul jaay sà kër yendu si naaj bi», «Céy lii ci rewmi», «Lan moo ko fi jar» et «Téll ma rajax», ma toute dernière production. Si après la disparition de Cheikh Tidiane Diop on avait réuni tous les comédiens au sein d’une assemblée générale, je serais resté à Daaray Kocc...
Où trouvez-vous les moyens de financer vos productions ?
Je travaille à la Sogas (Société de gestion des abattoirs du Sénégal) où je suis un actionnaire. Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, Cheikh Tidiane Diop me demande de rassembler tous les comédiens. Après, il nous dit ceci : «Je vous exhorte à chercher du travail. Le jour où le théâtre ne parviendra pas à vous nourrir, vous aurez au moins un plan de secours.» C’est ainsi que je suis allé gagner ma vie à la Seras (NDLR : ancêtre de la Sogas). Un jour, le Directeur m’a invité à déjeuner chez lui. Quand je suis arrivé, il m’a demandé ce que je faisais comme travail. Je lui ai dit que je suis un intermédiaire. Il m’a engagé le même jour comme chevillard. Aujourd’hui, je suis un actionnaire dans la Sogas. Comme quoi, les Chinois ont raison : il vaut mieux apprendre à quelqu’un comment pêcher que de lui donner chaque jour du poisson !
ALMAMI CAMARA
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