''Je ne milite pas pour le féminisme du type parité aveugle''
Auteure de plusieurs ouvrages dans différents genres littéraires, Nafissatou Dia Diouf continue de garnir sa page des lettres au Sénégal. Même du haut de l’immeuble qui abrite son bureau à la Sonatel, dont elle est chef du département communication institutionnelle et RSE service presse et relations publiques, l’auteure de ''Retour d’un si long exil'' est en symbiose avec sa muse. Elle raconte sa folle passion pour l’écriture à EnQuête.
Quelle jeune fille étiez-vous?
J’étais une jeune fille sans problème. Plutôt sage et calme. J’ai grandi dans une famille unie où l’on était proches les uns et les autres. Ce n’est pas une grande famille, juste deux enfants, mon frère et moi. Avec une différence d’âge de deux ans, on est donc de la même génération. Rien de particulier : papa et maman, la famille élargie avec une partie de mes origines au Mali où mon père est né. De temps en temps, je m’y rendais. On a profité de ce brassage linguistique et culturel enrichissant. Mon cursus scolaire a été normal. Je me rends compte rétrospectivement que je n’ai jamais redoublé une classe, de la maternelle au 3ème cycle. Par contre, on a très tôt découvert que j’avais un profil littéraire. Depuis l’école primaire, j’étais bonne en français. Au collège comme au lycée, j’étais très bonne en langues, en philosophie mais nulle en maths et en physique. J’étais la meilleure de ma classe en littérature. Ce qui est étonnant, c’est quand j’ai commencé le second cycle, je faisais l’économie ; et c’est une matière qui me plaisait beaucoup mais les chiffres m’ont rebutée. En résumé, je peux juste retenir que j’ai suivi un cursus normal.
Dans quel genre littéraire avez vous commencé à écrire ?
C’est un poème que j’avais écrit pour ma grand-mère à l’âge de huit ans. Je regrette de n’avoir pas gardé le texte. C’est véritablement mon premier acte d’écriture. J’ai baigné très tôt dans un environnement propice avec une mère enseignante et des livres partout à la maison. Quand on rajoute à cela une petite fille avec beaucoup d’imagination… ça donne une graine d’écrivain !
Dans quelle matière enseignait votre mère ?
Ma mère était professeur d’espagnol mais s’intéressait aussi au français, au portugais, à l’anglais, etc. En outre, elle faisait partie d’un club de lecture que j’ai intégré par la suite. Ses amies venaient à la maison pour parler de livres, d’auteurs, de concepts et j’ai grandi avec ça. Je n’ai pas commencé à écrire avec l’idée d’être écrivain. Quand on commet un acte d’écriture, on définit les choses mais pas soi-même. C’est une prise de conscience que j’ai eue plus tard, progressivement, car j’écrivais beaucoup. Comme une révélation d’une certaine vocation.
A quelle âge votre première œuvre a-t-elle été publiée ?
Je devais être âgée d’une vingtaine d’années pour mon premier texte publié dans le magazine Amina où j’ai écrit plusieurs nouvelles. ''Retour d’un si long exil'', édité aux NEAS, est mon premier recueil de nouvelles qui a été publié en 2001. J’avais vingt cinq ans. La première récompense que j’ai reçue avant cette publication, c’est le Prix du jeune écrivain francophone à Toulouse (France) en 1999. Ce concours s’est poursuivi par l’édition d’un recueil de nouvelles de tous les lauréats publié chez Gallimard. Donc, c’était très encourageant et un signal assez fort pour une jeune auteure.
Est-ce que vous-vous identifiez à un genre littéraire particulier ?
Non. Je ne veux pas qu’on m’enferme en me catégorisant sur un genre quelconque. Je pense que quand on est attiré par la chose littéraire, on a envie de goûter à tout. Chaque genre littéraire est une découverte pour moi. Il est vrai que les textes courts sont ma prédilection, car c’est lié à mon mode de vie et que écrire des œuvres de longue haleine me prennent plus de temps mais le plaisir est le même. Alors, je continue à toucher à tout : roman, chroniques journalistiques, poésie, littérature de jeunesse. Je n’ai pas encore touché au théâtre et les scenarii malgré les propositions. Par définition, j’aimerai écrire dans tous les genres. Pour moi, la littérature s’entend de façon globale.
Est-ce que vos nouvelles sont inspirées de votre vie ?
Très peu (Rires). J’ai très peu de choses à raconter dans ma vie propre.
Ce n’est pas un journal intime ?
Pas du tout. Les poèmes peuvent aborder des sujets assez intimes ou choses vécues parce que la poésie fait appel par définition aux émotions et à l’affect. D’ailleurs, j’ai beaucoup de mal à surmonter une certaine pudeur et à publier mes poèmes.
De quoi avez-vous peur ?
C’est personnel. Effectivement, la poésie a un côté intime, mais on se rend vite compte que ce sont des sentiments universels. Mes sources d’inspiration peuvent parler à n’importe lequel de mes contemporains : l’amour, la guerre, les injustices, la femme…
Êtes-vous une militante féministe ?
Je ne sais pas ce que revêt la définition féministe. Je comprends bien le concept mais je ne sais pas comment me situer dedans, parce que, moi, j’estime juste être contre les inégalités, quelles qu’elles soient. Il y a des choses que la société trouve normales pour la femme que je n’approuve pas. C’est ce que j’aborde dans mes écrits : de la place de la femme dans la société, de sa vulnérabilité, des inégalités sociales, de la polygamie telle que vécue, etc. Mais je ne milite pas pour le féminisme du type parité aveugle parce que je suis avant tout pour l’égalité des chances. Si une femme n’a pas un niveau et qu’on la mette à un poste pour des raisons de parité, ce n’est pas responsable. Par contre, si une femme est brillante et compétente et qu’on ne lui donne pas le poste qu’elle mérite, je trouve ça inégalitaire et ça devient mon combat. Je pense qu’on devrait dépasser le concept d’homme et femme pour essayer plutôt l’intelligence et la valeur propre de la personne.
Que faites-vous de nos réalités socioculturelles traditionnelles ?
J’ai la liberté de les refuser si elles ne me conviennent pas, sans empiéter dans la liberté de l’autre et sans accepter qu’on empiète dans ma liberté. Je sais, c’est un exercice difficile. Mais j’ai eu la chance d’avoir été éduquée dans une grande ouverture d’esprit. Moralement et religieusement, j’ai reçu tout ce qu’il fallait comme éducation. Mais je ne subis aucune pression familiale dans ma vie en tant qu’adulte et je refuse toute pression sociale. Pour autant, j’estime que je suis bien intégrée dans ma société. Par exemple, s’il faut aller dans les grandes cérémonies et que mon emploi du temps ne me le permet pas, je préfère faire autre chose. Il y a des exceptions comme les deuils qui sont à mes yeux incontournables. Le reste passe souvent au second plan.
Croyez-vous que c’est un bel exemple pour vos jeunes lectrices ?
Je n’ai pas pour ambition première d’être un modèle, mais j’assume que des jeunes filles puissent trouver dans mon parcours des sources d’inspiration. J’admets que je suis dans des domaines qui m’exposent et donc un côté public parfois difficile à assumer du fait de ma personnalité propre, mais c’est à la fois une responsabilité et une fierté d’être considérée comme un modèle, aux côtés de tant de femmes inspirantes dans tous les domaines de la vie.
Quelle est votre position face aux violences conjugales?
J’ai tantôt clarifié mon point de vue sur les inégalités. Pour moi, c’est tolérance zéro pour les violences conjugales. Goor baxna, jiggen baxna (l'homme et la femme sont d'égale dignité). Il n’y a a pas de raison que l’un ait le dessus sur l’autre. Dans un couple, une famille, il faut de la discussion et du consensus pour prendre les bonnes décisions pour nos enfants et pour la bonne marche de la famille. Je suis définitivement contre toutes les formes de violence.
Que pensez-vous de la pratique de l’excision qui persiste dans certaines localités africaines malgré de vastes campagnes de sensibilisation ?
Vous savez que je ne peux pas être pour l’excision. Je ne milite pas spécifiquement contre mais je suis totalement opposée à cette pratique et j’ai bon espoir que ça va changer. On ne se rend compte que rétrospectivement de l’immense traumatisme que l’excision cause aux petites filles et des séquelles que cela peut avoir sur leur vie. Il est difficile de changer les traditions surtout pour certaines cultures. J’espère qu’un jour l’excision sera complètement éradiquée de nos sociétés africaines. Il faut en appeler au changement des mentalités et à la responsabilité des parents.
Vous venez de publier votre dernier ouvrage, quel est l’essence du concept Sociobiz ?
Sociobiz, c’est un recueil de chroniques parues dans le magazine économique ''Réussir''. Le concept de départ était de questionner le rapport des Sénégalais à l’entreprise et à l’économie. Comme j’aime bien sortir du cadre, j’ai vite débordé sur les problématiques sociales ou liées à la politique et le public a apprécié. Ces dix huit derniers mois, par exemple, où le pays a été pris en otage par la politique, je me suis beaucoup indignée, amusée, révoltée, bref, le terrain était favorable pour que la citoyenne que je suis parle et écrive sur sa société. Sociobiz en général parle de nous, de la société sénégalaise, de manière légère mais mordante, en insistant parfois sur les choses qui ne vont pas et qu’il nous faut améliorer.
Êtes-vous propriétaire de la librairie Athéna ?
(Rires) Je ne suis pas la propriétaire de la librairie Athéna. Lina Husseini, la fondatrice, a pris la décision de se mettre en retrait. Elle a donc voulu la confier à des amis qui évoluent dans le domaine du livre, en qui elle a confiance. Elle a pensé à Felwine Sarr, Boubacar Boris Diop et moi en nous disant : ''Je ne serai pas loin mais j’ai besoin de personnes qui donneront un nouveau souffle à la librairie.'' Et on a accepté cette proposition. Je ne suis pas la propriétaire mais disons que je suis actionnaire.
PAR Almami Camara
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