‘’Ce qui nous lie au Sénégal. . .’’
Le Kassav s’est révélé au monde à la fin des années 1970. Très vite, le groupe antillais s’est imposé. Plus de 30 après sa naissance, il continue de briller et de tourner, partout, à travers le monde. Ils viennent de déposer leurs valises à Dakar, pour deux dates. Un dîner de gala tenu hier soir à la place du Souvenir. Et un concert au stade Demba Diop ce jour, pour le grand public et à petits prix. Hier, ils ont donné une conférence de presse, en marge de laquelle Jocelyne Béroard et Jacob Desvarieux se sont prêtés aux questions d’EnQuête. Ils sont revenus sur leur succès et leurs liens avec le Sénégal.
Plus de 30 ans après sa création, Kassav résiste au temps. Il brille encore avec ses membres fondateurs. Cela vous fait quoi, en tant que pionnier de cette formation musicale ?
Jacob Devarieux: Je suis tout au plus surpris. Au départ, on avait fait ça pour rigoler. On avait des ambitions mégalomanes, mais c’était plus pour la blague. On se disait : ‘’nous allons former le plus grand groupe du monde’’. On rigolait quoi. Nous ne sommes pas le plus grand groupe du monde, mais on y aspire. On est toujours là et on joue dans le monde entier. C’est très surprenant.
Et vous Jocelyne, vous êtes dans le groupe depuis 30 ans, cela vous fait quoi ?
Quand je dis que cela fait 30 ans que je suis dans le Kassav, c’est vraiment 30 ans sur la route avec Kassav. Kassav est un groupe international, il n'est ni antillais, ni français. On a quasiment tourné dans le monde entier, dans presque tous les pays d’Afrique. On le fait depuis toutes ces années. Il y a trois ans, Patrick Saint-Eloi nous quittait. Il avait quitté le groupe, quelques années auparavant, pour des raisons de santé.
Il avait envie de passer des moments avec sa maman. Il nous a quittés en septembre 2010. Aujourd'hui, le groupe se porte bien. Cette année, on a sorti un album, un peu avant le traditionnel rendez-vous parisien du Zenith. C’était vers mai. L’album s’appelle ‘’Songer’’. Un titre est dédié à Patrick. En 2009, nous avons fêté nos 30 ans de création au stade de France, devant plus de 70 000 personnes.
On revient là d’un concert en Guadeloupe, où il y avait plus de 11 000 personnes. De ce que j’entends des gens, il y a toujours un émerveillement. Kassav est la fierté de beaucoup de gens. C’est vrai, des fois on vous aime, ou on vous achève. Mais, les gens sont toujours heureux, à chaque fois, de voir que le groupe est encore là debout et a de l’énergie, malgré notre grand âge.
Au sein du groupe, les artistes vont, viennent. Ils font des albums solos, mais le noyau est toujours là. C’est quoi votre secret ?
J. D : Je crois que le casting a été bien fait, au départ. En général, les groupes sont constitués des bandes de copains, de cousins, de parents, etc. qui jouent de la musique. Alors que pour nous, au départ, c’était une idée. Il y a eu une réflexion sur la musique que nous voulions faire. Ensuite, on a cherché des artistes.
Il fallait aussi qu'ils puissent vivre ensemble. On a cherché des collaborateurs intelligents qui comprennent le sens de phrases comme : ‘’l’union fait la force’’. On a cherché en fonction de ces critères et on voit que cela marche, car on est encore ensemble.
Jocelyne : Deux des membres créateurs du groupe sont encore là. La base du groupe est restée identique. C’est parce qu’au départ, c’était un challenge. On voulait créer une musique qui soit reconnue dans le monde entier. C’était assez prétentieux. Mais, on avait vraiment envie de trouver cette musique-là. On avait le plaisir de chercher et de travailler ensemble.
Ce plaisir n’est jamais parti. On éprouve toujours le même plaisir à se retrouver ensemble sur scène. Quand il arrive que Kassav s’arrête un ou deux mois, nous sommes souvent sollicités ailleurs, pour des expériences avec d’autres musiciens ou d'autres compagnies. Mais, le vrai plaisir, c’est quand les membres de Kassav se retrouvent ensemble sur scène.
À ce moment là, il y a une vraie cohésion. Parce qu’on se connaît suffisamment, pour savoir que ce qui est important, c’est ce que nous faisons ensemble et non le sale caractère de l’autre ou le nôtre. Nous sommes des êtres humains. Nous avons, par moments, des désaccords.
Mais l’on réussit à avoir suffisamment d'intelligence pour comprendre que l’autre n’est pas obligé d’avoir la même idée que nous ou de faire comme nous. Donc, on réussit à sauvegarder notre cohésion et notre plaisir d’être ensemble, juste en mettant nos ego de côté.
Kassav, c’est trois générations de fans, on peut dire. Comment faites vous pour maintenir votre musique actuelle et au top?
J. D : Franchement, je n’ai pas de formule miracle. Nous faisons de la musique. Nous essayons déjà de faire en sorte qu'elle nous plaise à nous. Parce qu’on est très sévère avec la musique des autres. On essaie de l’être davantage avec nous-mêmes. Nous nous demandons toujours : ''Et si c’était la musique d’un d’autre, est-ce que nous l'aimerions''. Si, la réponse est oui, on garde le morceau. Après, nous avons la chance que cela plaise à beaucoup de gens.
Jocelyne : On a pu trouver un style qui plaît aux gens. Je pense que simplement, c'est parce que c’est quelque chose de gai, qui invite les gens à participer. La deuxième chose est l’authenticité. Kassav n’a pas cherché à copier, ni à ressembler à quelque chose qui venait d’ailleurs. Kassav a cherché à être vrai.
Quand on est complètement sincère, on touche l’autre. Il y a une chose qui me dérange toujours, c’est quand on parle de musique dans le temps. La musique, c’est l’expression. Si une musique plaît, pourquoi la dénigrer ? Il y a des gens qui sont fanatiques de Kassav, alors qu’ils ont 12 ans. Ils connaissent les chansons aussi bien que leurs parents.
Vous êtes déjà venus au Sénégal, comment trouvez vous le pays ?
Jocelyne : Le Sénégal, c’est une histoire d’amour. Jacob, de toute façon, je crois qu’il a vécu ici. Il a des attaches purement personnelles et viscérales. Moi, je ne sais pas, mais je crois que c’est parce qu’on est quasiment en face l’un de l’autre, les Antilles et le Sénégal. C’est le pays d’Afrique le plus proche de nous.
Je ne sais pas pourquoi, je me suis toujours sentie extrêmement bien ici. J’ai toujours aimé venir au Sénégal. Mes meilleurs amis africains sont du Sénégal. Je n’ai pas les mêmes attaches que Jacob, mais j’aime me retrouver ici. J’aime la cuisine sénégalaise. Je rêve de découvrir la Casamance, parce que je n’ai pas encore eu le temps d’y aller. Être ici, c’est un peu comme être à la maison. Je suis contente. C’est un bonheur et c’est sincère.
J.D : Oui, je suis venu ici, parce qu’à l’époque, l’image qu’on avait de l’Afrique depuis les Antilles se limitait à Tarzan et des choses de ce genre. Ma mère était curieuse et voulait voir en vrai à quoi ressemblait l’Afrique. Elle avait rencontré quelques Africains en France qui lui disaient que le continent ne ressemblait pas du tout à ce que l'on montrait.
Comme à cette époque, il n’y avait pas autant de médias qu'aujourd’hui, pour savoir ce qui se passe ailleurs, on a entrepris ensemble le voyage. Et le premier pays noir africain qu’on trouve sur le chemin, en venant d’Europe, c’est le Sénégal. On s’est arrêté ici. Et on y est resté à peu près deux ans, je crois. On a découvert un pays avec des gens qui nous ressemblent. On voit des gens qu’on croit connaître parce qu’ils nous ressemblent de par la morphologie.
Cela ne laissait plus le moindre doute, comme quoi les Antillais viennent d’Afrique. Il n’y a pas de doute. J’étais petit et je ne réalisais vraiment pas à cette époque là. Mais, quand je suis revenu ici avec le Kassav, étant adulte, en ce moment là je me suis dit vraiment, il serait bien que chaque Antillais vienne au moins une fois dans sa vie, en Afrique. Cela changerait beaucoup de choses sur leurs opinions.
C’est pour cela qu’on dit également que les voyages forment la jeunesse. Dès qu’on voyage et voit d’autres régions, on comprend d’autres choses, encore plus pour nous qui sommes déracinés et qui voyons le monde à travers les yeux des blancs. En outre, on est très proche du Sénégal aussi.
Il y a le côté culturel. Senghor, Aimé Césaire, Gontran Damas ont partagé le mouvement de la négritude. Voilà pourquoi, quand on se rencontre, cela fait des étincelles. On arrive toujours à s’entendre. Quand on arrive à Gorée, on nous explique nos ancêtres. Des choses qui nous relient au Sénégal.
Connaissez-vous des chanteurs sénégalais ?
J.D : Oui, oui j’en connais beaucoup. Youssou Ndour, Ismaïla Lô, Baaba Maal, Daara J, etc. Je peux citer plein de noms, mais le plus important, c’est de voir qu’au Sénégal, il y a une musique qui se développe, même si elle a des problèmes de moyens, pour pouvoir s’exporter.
Moi, je regrette de voir qu’en Afrique, il y a beaucoup de gamins qui veulent faire du rap, parce que, c’est ce qu’ils voient à la télé. Le rap, c’est la version africaine de la chose. Je trouve dommage que les Africains soient obligés de les imiter. Alors qu’il y a tellement de musique chez eux. Pour toucher les gens, il faut une musique de chez soi.
Jocelyne : Hier, j’étais dans la voiture et il y avait une chanson qui passait. Je me disais qu’est ce que c’est beau. Je ne savais vraiment pas ce que racontait la chanson, mais cela m’a touché. J’ai demandé et on m’a dit que, c’est une chanson de Souleymane Faye.
Qu’allez- vous présenter au public sénégalais aujourd’hui et demain ?
J. D : On va faire une grande sélection des succès du groupe. On va jouer aussi quelques morceaux du dernier album ‘’songer’’.
BIGUE BOB