''J’ai une part de responsabilité dans la crise malienne''
Qui n’a pas lu ''Sous l’orage'' au collège ? Ce livre inscrit au programme scolaire et que les élèves sénégalais doivent étudier en classe de 4ème. Tous, on l’a lu et souvent l’on s’est identifié à Kany ou un autre personnage du livre. Pourtant, l’ouvrage a été publié en 1957. L’histoire qui y est racontée reste d’actualité. En visite au Sénégal, dans le cadre de la Foire du livre et du matériel didactique de Dakar (FILDAK), son auteur Seydou Badian Kouyaté, devenu Seydou Badian Noumboïna, a accordé à EnQuête un entretien dans lequel il revient sur le changement de son patronyme, son ouvrage phare suscité et la crise malienne.
Pourquoi avez-vous changé de nom ?
Je n’ai pas changé de nom. La vraie histoire, c’est que Kouyaté n’est pas mon nom d’origine. Mon père, quand il a quitté son village, était obligé de changer de nom pour survivre. C’est comme cela qu’il a pris le nom Kouyaté. Donc, ce nom que je porte désormais est tiré de mes racines.
L’histoire racontée dans ''Sous l’orage'' reste d’actualité plus de quarante ans après la publication de l’ouvrage. Votre dénonciation serait-elle restée vaine ?
Hélas oui, l’histoire reste toujours d’actualité. Non, je ne pense pas que mon action soit restée vaine. Je pense plutôt que c’est lié au fait que le mal était plus fort et plus profond que je le pensais. Mais de ce côté aussi, je ne peux pas être tout à fait pessimiste. Il y a des couples qui s’entendent avec la famille, avec l’entourage et mènent leur vie tel qu’ils l’ont souhaité, avec l’accord de tous ceux auxquels ils sont liés.
Donc, là aussi, il y a de l’optimisme. Tout est un combat et on y arrivera. Aujourd’hui, à Bamako, les jeunes gens réagissent. Mais, fort heureusement, ils ne réagissent pas en cherchant à casser, à déchirer, à briser. Ils réagissent pour s’attirer des médiateurs. Généralement, le début est difficile, mais l’aboutissement, c’est la conciliation. Ce qui est encourageant pour moi. Ce qui est réconfortant.
Cela vous fait quoi de savoir que ce livre est encore au programme scolaire au Sénégal ?
Je me rends compte que ça a été utile. Je me suis attaché à un problème qui malheureusement demeure encore, entre le vouloir des jeunes et la fermeté des anciens. Mais, dans mon esprit à moi et dans l’action que j’ai menée, j’ai tenu à ce que cela se termine bien par une conciliation et non par une rupture. Ce, malgré le langage violent de certains personnages ; tout finit sans déchirure.
C’est la sagesse africaine. Le livre fait son travail. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on réussira tout. Mais c’est quand même beaucoup, tout ce qui a été fait et est en train d’être fait. Le livre n’est pas que dans le programme scolaire sénégalais. Il est à Yaoundé, à Brazzaville, Conakry. Il fait son travail. C’est long, c’est lent, mais ça agit.
Si vous deviez le résumer que diriez-vous ?
Je dirais que ''Sous l’orage'' est comme une graine que j’ai laissée et qui germe, qui prend force et tient debout.
Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ?
Je voulais partager ce qui me tenait à cœur et l’envie de le dire à tout le monde, raconter une histoire à tout ceux auxquels je peux accéder. C’est ce qui m’a conduit à écrire. Il s’est passé autour de moi une situation qui me gênait et me faisait franchement mal. Il s’agit notamment des rapports entre les jeunes et les anciens. Tous mes aînés qui avaient fini les études à Dakar, ici, sous le régime colonial, à Gorée ou à Sébikotane. C’est des médecins africains, des instituteurs, des sages-femmes africaines.
Pendant les études, ils se sont familiarisés, connus et certains ont même voulu partir pour un avenir commun. Malheureusement pour eux, ils ont oublié les anciens au village, qui ne renonçaient pas à leurs prérogatives. Les décideurs, ce n’étaient pas les jeunes. C’est le problème de Kany (ndlr, l’un des personnages de ''Sous l’orage''). C’est le problème de ''Sous l’orage''. C’est un livre qui a eu beaucoup de succès en Afrique. Et des extraits étaient enseignés dans des classes en Europe, là où j’étais à Montpellier. Parce que le livre, je l’ai écrit à Montpellier. Et ça m’a entraîne à rédiger d’autres.
Comment vivez-vous la crise malienne ?
Je l’ai dit en Centrafrique, je le redis aujourd’hui ici, je suis meurtri. D’autant que je suis le seul survivant des dirigeants politiques qui ont conduit mon pays à l’indépendance. J’ai survécu pour subir un tel désastre. Sur le plan personnel, j’en suis meurtri et je me pose des questions. Pourquoi avoir survécu pour assister à ça. Ce qui s’est passé et que j’ai vécu, je ne le connais pas. Ce n’était pas mon Mali à moi. Malheureusement, çà m’appartient aussi.
Selon vous à quoi est dû cette situation ?
Vous savez, le coup d’État de 1968 a décapité le Mali. Le Mali n’avait plus de têtes digne de ceux qui l’ont fondé et administré. C’était un autre Mali, celui de la décadence. Le Mali n’était même plus une nation sérieusement gouvernée. Tout est parti de là : le laisser-aller, le laxisme et la corruption.
Vous restez quand même optimiste ?
Avec les jeunes, oui. Les jeunes relèvent maintenant la tête. Ils savent que la solution du problème est entre leurs mains et sont décidés à s’engager. Ils commencent à le faire.
Vous pensez que ce sera possible de venir à bout des jihadistes ?
Ça sera possible, largement d’ailleurs. J’ai laissé à Bamako des jeunes qui sont déterminés et sont engagés. Ils savent que s’il faut prendre les armes, ils le feront. Ils sont prêts à le faire. Ils sont prêts à vivre ce que notre hymne dit. L’ennemi découvre son front à l’intérieur ou à l’extérieur, ils sont prêts à mourir ensemble. Les résultats on les verra très bientôt.
Sur quoi se base vraiment cette confiance que vous vouez en la jeunesse africaine ?
Parce que je parle avec eux (ndlr les jeunes). Parce que je les écoute. Parce que je perçois des réactions chez eux. Et je sens la volonté de réagir. Elle est un peu dans les paroles, dans les gestes. Elle est réelle. Elle vit et elle marche. Dans ''La saison des pièges'' (ndlr le dernier ouvrage qu’il a publié, 2009) le chef de l’État est débarqué par les jeunes. Je crois que ceux que je fréquente ces temps-ci au Mali, ici, à Brazzaville, à Conakry, sont à même de forger l’Afrique de demain.
L’attaque de Tombouctou, avec la destruction de divers manuscrits, comment l’avez-vous vécue ?
Vous savez, cela m’est difficile, mais je ne suis pas surpris. J’ai vu le Mali se décomposer. J’ai dit qu’avec le coup d’État de 1968, c’est comme un pays décapité. Mais je l’ai vu descendre la voie de la décadence. Je l’ai vu se décomposer. Je ne suis pas surpris par ce qui est arrivé. Je ne suis pas surpris, mais je me considère responsable autant que les autres.
Comment ?
Parce que je n’ai pas assez parlé. Je n’ai pas assez crié. Mais j’ai vu arriver. Est-ce parce que j’ai pensé que c’était trop tard, que c’était irrémédiable. Est-ce parce que je me suis dit ''non ça n’arrivera pas. Il y aura des réactions internes, etc.'' Je sais juste que je suis autant responsable que les autres de par mon silence. J’ai parlé mais pas assez. J’ai ma part de responsabilité.
Vous vous sentez coupable ?
Oui, mais aussi je sais et j’ai senti, comme je viens de le dire, que la réponse est en gestation. La jeunesse va répondre et plus tôt qu’on ne le pense. Ils vont aller jusqu’au bout. D’abord entre nous et ensuite face aux ennemis.
BIGUE BOB