«Notre premier bébé éprouvette est né en 2007
Ancienne interne des hôpitaux et chef de clinique des hôpitaux de Paris, le Dr Rokhaya Thiam Bâ a aidé plusieurs couples sénégalais à régler leur problème d’infertilité. Dans cet entretien, elle parle de l'expérience du bébé éprouvette.
Des couples sénégalais louent vos compétences, mais vous êtes très peu connue du public. Que doit-on retenir de vous ?
Je suis gynécologue-obstétricienne rentrée à Dakar en 2004 après avoir exercé pendant plus de 20 ans à Paris. Je suis aussi membre d’un groupe de gynécologues de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale qui se sont réunis autour d’une association, le GIERAF (voir par ailleurs), qui cherche à développer le traitement de l’infertilité dans notre continent. Les couples qui avaient des difficultés de procréer, se rendaient dans les pays occidentaux pour se soigner. Il leur est maintenant possible de se soigner sur place. Des pays d’Afrique sont très avancés dans ce domaine. Les Togolais et les Camerounais pratiquent l’insémination artificielle, la fécondation in vitro et l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) depuis pas mal de temps déjà. A Dakar, nous travaillons sur cette activité qu’on appelle en termes familiers les bébés-éprouvettes, avec des gynécologues qui exercent au laboratoire Bio 24 depuis 2007. Notre premier bébé est né en 2007. Depuis, d’autres ont vu le jour. Nos premiers jumeaux issus d’embryon congelé sont nés la semaine dernière (NDLR : l'entretien a eu lieu le 28 janvier dernier).
Ces expériences nouvelles ne sont pas très médiatisées, et rares sont les Sénégalais qui en savent un bout. Qu’est-ce qui l’explique ?
Il faut savoir que des couples qui sont dans le besoin de procréer, le font de plus en plus. Seulement, ils le cachent à leur entourage car l’infertilité est vécue comme une infirmité. C’est une honte pour eux. Ils font croire à leurs proches qu’ils ont eu un bébé naturellement. Ce, pour éviter que l’enfant ne soit stigmatisé et ne soit regardé différemment. Personne n’acceptera à visage découvert de dire que son enfant est un bébé éprouvette.
La différence entre ces bébés éprouvettes et les bébés dits normaux est-elle visible à l’œil nu, comme ça ?
Il n'y a aucune différence. A partir du moment où on a replacé les embryons dans l’utérus de la femme et que la grossesse démarre, il n'y a aucune différence dans le suivi, le déroulement de la grossesse jusqu’à la naissance de l’enfant. C’est simplement que cette Aide médicale à la procréation (AMP) permet à une personne qui n’arrivait pas à procréer de le faire.
Y a-t-il un âge limite pour avoir un bébé éprouvette ?
Les résultats dépendent beaucoup de l’âge de la femme. Ils sont meilleurs quand la femme a moins de 38 ans. Ils sont excellents à l’âge de 35 ans. On renonce à le faire après 40 ans.
Cette technique est-elle à portée de bourse du Sénégalais lambda ?
De manière générale, en Afrique, il faut compter au moins sur un budget compris entre 1,5 million et 2 millions de francs Cfa. Le tout pour les médicaments, les interventions... Une fois qu’on a obtenu les embryons, quand on les replace dans l’utérus, cela prend 25 à 30% du budget. Car c’est une technique qui n’est pas aussi simple. Elle ne s’implante pas toujours facilement. Si la femme est jeune et qu’on réussit à obtenir trois embryons, on en replace un, le reste on peut les congeler. Ce qui fait que si cela ne marche pas, on peut toujours décongeler les embryons et les replacer. Ce qui nous a permis de célébrer la semaine dernière la naissance de jumeaux nés de ces embryons congelés. On en est très fiers vu qu’on maîtrise tout un processus qui va de la congélation à la décongélation.
Pensez-vous élargir cette expérience pour permettre à ceux qui n’ont pas les moyens financiers de pouvoir en bénéficier ?
On va essayer d’impliquer les pouvoirs publics pour qu’ils subventionnent au moins les médicaments qui représentent le plus gros budget. Notre congrès qui va se tenir à Dakar sur le thème «L’infection et l’infertilité en Afrique» sera aussi une occasion pour faire le plaidoyer auprès des autorités africaines et sénégalaises en particulier.
Matel BOCOUM
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