Publié le 3 Nov 2019 - 22:08
ESPACES VERTS À DAKAR

Le Sénégal est loin de respecter les standards internationaux

 

L’utilité des espaces verts dans une ville sur la santé publique est une évidence. Pourtant, au Sénégal, on note une réduction de 34 % des espaces verts à Dakar, sur une période de vingt ans. Qu’est-ce qui a causé ce manque de verdure dans les villes dakaroises ? Entre le non-respect du code de l’urbanisme et les responsabilités des communes, les avis sont divers.

 

Dans son rapport de 2016 sur l’intervention des espaces verts urbains et santé, l’Organisation mondiale de la santé (Oms) relève l’utilité des espaces verts en milieu urbain. Réduction du stress, augmentation de l’activité physique, réduction potentielle de l’exposition à la pollution de l’air, au bruit et à la chaleur excessive, entre autres. Tels sont les apports des espaces verts pour la santé publique dans un système urbain, selon l’Oms.

Dans la capitale sénégalaise, ces espaces sont presque inexistants. Comparé à certains pays de l’Afrique de l’Ouest, le paysage est gris à Dakar, sur un cliché d’une vue aérienne. Pourtant, ceci n’a pas toujours été le cas. ‘’Tout le monde sait qu’au lendemain des indépendances, les citoyens respectaient encore les recommandations et les règles de l’hygiène publique’’, disait le président Macky Sall, lors du lancement de la campagne ‘’Sénégal zéro déchet’’.  

Un espace vert, c’est un lieu récréatif, de détente, de refuge où le citoyen se retrouve avec la nature. Dans une ville, ‘’il y a un besoin d’avoir ces espaces-là’’, déclare l’urbaniste Daouda Thiandoum. Djibril Niang, le directeur exécutif de l’organisation des Jeunes volontaires pour l’environnement (Jve) d’ajouter : ‘’Dans nos villes : nous devons cultiver les espaces verts, les jardins, pour au moins absorber les quantités de gaz à effet de serre. L’empreinte écologique de Dakar est très élevée. Dakar a besoin qu’on aménage des espaces verts. En plus, cela participe à l’esthétique de nos villes.’’

Dans le code de l’urbanisme, les plans directeurs d’urbanisme prévoient ces espaces, en leur article 8. Notamment, ‘’les emplacements réservés aux activités les plus importantes, aux installations classées et d’intérêt général ou à usage public avec mention de leur destination, aux zones touristiques, aux espaces libres ou boisés ainsi qu’aux zones préférentielles d’extension’’. Et l’article 16 définit un espace vert : ‘’Sont classés espaces verts urbains : les jardins publics, les places publiques, les places de jeux, les pelouses et aires de jeux des stades appartenant à l’Etat, les jardins des équipements publics, les parcs suburbains, les coupures vertes, zones de dépressions humides, les abords de plans et cours d’eau urbains, les plantations d’accompagnement des boulevards, avenues et rues classées en grande voirie urbaine (…).’’

Mais, selon Djibril Niang, la réalité est tout autre. ‘’Ces domaines sont souvent repris par les mairies. C’est juste dit sur le papier, mais ce n’est pas appliqué sur le terrain. Souvent, ces espaces ne sont même pas reboisés ; ils sont souvent transformés en ateliers de mécaniciens’’. ‘’Quand l’Etat ne respecte pas, les promoteurs ne vont pas respecter. Rien n’est encore vu à la corniche, depuis le temps qu’ils en parlent. Tous les efforts qui sont en train d’être faits sont des initiatives des jeunes, des organisations’’, ajoute M. Niang.

Plus de 23 % de la population sénégalaise vit dans la capitale. Une concentration qui pourrait être une des causes de la rareté de ces espaces de détente. En effet, à Dakar, ‘’sur une période de vingt ans, entre 1988 et 2008, les espaces verts ont été réduits de 34 %’’, lit-on sur un plaidoyer pour une ‘’Afrique urbaine verte’’.

Dans le Plan national d’aménagement et de développement territorial (Pnadt) horizon 2035, l’objectif est de permettre aux populations de ‘’jouir d'un environnement urbain plus confortable avec un espace de parc de 0,15 m2 par personne actuellement qui passe à 1 m2 par personne, équivalent à un espace total de parcs de 608 hectares dans la zone d'étude’’. Ceci dans un contexte où les organismes internationaux prônent bien plus. En effet, l’Oms recommande entre 9 et 30 m2 d’espace vert par habitant, dans un système urbain.

La Direction des paysages urbains et des espaces publics oubliée

Il existe, dans l’architecture de l’Administration sénégalaise, depuis 1948, une Direction des paysages urbains et des espaces publics. Elle est un des démembrements du ministère du Logement, de l’Hygiène publique et de l’Habitat.  Selon Elder Mendy, un agent à la Direction des paysages urbains et des espaces publics, la direction n’a pas la vocation d’aménager les petits terrains au sein des différents quartiers. ‘’Nos grandes cibles, ce sont les grands axes, tels que les ronds-points, les allées, les édifices publics’’, dit-il. Quant aux petits lopins de terre existant au niveau des différents quartiers, il appartient aux collectivités territoriales de les aménager. Car c’est l’un des neufs domaines de compétences transférés aux collectivités locales.

Mais à la question de savoir si la direction appuie les mairies dans ce sens, M. Mendy répond : ‘’Nous travaillons en collaboration avec les collectivités locales. Il leur revient de gérer le suivi et l’entretien pour pérenniser ces espaces. Mais n’empêche, nous les aidons pour la mise en place ou l’implantation d’un chantier. La direction répond favorablement aux demandes de matériel des mairies.’’

Seulement, la Direction des paysages urbains et des espaces publics est méconnue de certaines autorités. Certaines communes, pour aménager leurs espaces, ont sollicité la mairie de la ville de Dakar. Bamba Ngom, le chef de la Division des espaces verts de la ville de Dakar : ‘’Il arrive que des communes viennent solliciter des espaces de la ville de Dakar pour leur faire des propositions d’aménagement, comme c’est le cas à Derklé.’’ Aux Parcelles-Assainies, la commission cadre de vie n’a jamais collaboré avec la Direction des paysages urbains et des espaces publics. Elle a travaillé ‘’avec le ministère de l’Environnement, dans le cadre d’un projet appelé ‘’Dakar ville verte’’ pour pouvoir faire des plantations. Cette occasion, on ne l’a eue qu’une seule fois’’, souligne Saliou Niang, le chef de la Division des services techniques à la commune des Parcelles-Assainies. 

Une campagne pour ‘’asseoir un renouveau urbain’’ a été initiée, cette année. Ainsi, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, souhaite changer le visage de la capitale sénégalaise. Et pour cela, il ‘’compte sur les maires, en relation, bien sûr, avec les autorités administratives, pour engager ce combat’’.

PLACE DE L’INDEPENDANCE

L’emblème du désastre

Autrefois, c’était l’une des places publiques les plus fréquentées de Dakar. Pour fêter l’indépendance du Sénégal, le nouvel an ou juste pour passer le temps, la place de l’Indépendance, située en plein centre-ville, faisait partie de la liste des bonnes adresses de la capitale sénégalaise. Mais, aujourd’hui, le lieu désenchante. Moins d’arbres, jardins supprimés, jet d’eau abimé, entres autres, tels sont les maux dont souffre la mythique place. Elle a, quelque part, perdu de sa valeur, de sa verdure, aux yeux des Sénégalais. Reportage.

 

Comme tous les jours à la mi-journée, au cœur de Dakar, à la place de l’indépendance, ce sont les klaxons des voitures qui font l’ambiance. Passagers ou vendeurs profitent de cet air frais offert par les édifices qui sont aux alentours de cette place mythique de la ville de Dakar. On est pas loin des 30º C et les quelques bancs pourvus d’ombre au niveau du lieu de détente ne manquent pas de volontaires. Ici, tous les moyens sont bons pour échapper à la canicule. Même s’installer sur une place dépouillée de toute sa verdure, ou presque.

La place est là depuis 1863, jadis sous le nom de place de Protêt. Elle a été inaugurée en 1929 par les colons, avant qu’elle ne soit rebaptisée sous le nom de place de l’Indépendance, à l’heure de l’accession à la souveraineté nationale. A cette époque, une verdure imposante était encore là. Il y avait des arbres, un jardin fleuri, des kiosques, un jet d’eau... Bref, un lieu de loisirs, de rencontres, un endroit où des familles, des amis ou juste des collègues de travail pouvaient se donner rendez-vous, l’occasion de s’asseoir sur l’herbe, sur les bancs, pour humer l’ambiance décontractée qui y régnait. L’air était pur et transparent. C’était au temps où les populations sénégalaises se préoccupaient encore de leur cadre de vie, s’offraient un temps de loisir, après une journée de travail ou pendant un weekend.

Aujourd’hui, on se demande bien si ce temps a existé. A la place de l’Indépendance, il ne reste presque plus rien de cette verdure que l’on discerne souvent sur les clichés diffusés sur la toile. Il ne reste rien. Sinon un jet d’eau assoiffée, des bétons qui ont pris la place des herbes, des arbres dont quelques-uns abattus et trainant par terre, des fils électriques issus des poteaux rampant au sol, des restes de repas versés et une odeur puante qui laisse deviner que les toilettes publiques installées sur la place ne reçoivent pas de clients. L’air pur a disparu.

Modou Fall, un homme de la quarantaine, en mode décontracté, devise avec un collègue. Ils prennent leur pause. Agent d’une entreprise de la place, notre interlocuteur regrette le manque d’entretien de la place de l’Indépendance. Il dénonce le manque de civisme des Sénégalais vis-à-vis de cette place. ‘’Les Sénégalais ne respectent pas du tout cette place’’, dit-il. L’habitant de la banlieue va même jusqu’à affirmer qu’il aurait été mieux d’éliminer le peu de la verdure qui reste dans la place.  ‘’On aurait préféré qu’il n’y ait plus d’arbres ici. Certains vendeurs se cachent derrière ces arbres pour faire leurs besoins. L’air n’est pas bon à respirer, par-là’’, dénonce-t-il.

Par ailleurs, de plus en plus, l’insécurité règne sur les lieux, selon M. Fall. L’endroit manque d’éclairage. En plus des sans domiciles fixes, ‘’des jeunes hommes qui ne font rien de leur journée s’organisent en groupes. Parfois, ils sont ivres et personne n’ose s’asseoir ici, à certaines heures’’, explique-t-il. 

En face de lui, les enfants de la rue, eux, sont aux anges et ne se préoccupent guère des soucis des adultes. Avec la chaleur accablante, c’est aussi l’heure de la pause chez ces ‘’talibés’’. Les bols sont rangés à côté. Ils jouent au beau milieu du jet d’eau aménagé au centre de la place de l’Indépendance. ‘’Rien que ce spectacle, c’est un problème. Ces enfants ne devraient pas se retrouver ici. C’est dangereux pour eux’’, souligne le collègue de Modou Fall.

Par terre, quelques sachets plastiques trainent. ‘’Là, c’est pourtant propre, l’agent de la mairie de Dakar vient de passer. Je le vois tous les matins en traversant pour aller à mon lieu de travail’’, lance Alioune Diop, un jeune homme. Il travaille dans une entreprise de la place et quitte Guédiawaye, la banlieue dakaroise, tous les jours. ‘’Vous me voyez là, j’attends un ami pour qu’on rentre ensemble. Je ne suis pas là pour me détendre’’, précise-t-il. Sa fatigue peut se lire à travers son regard.  La journée vient de se terminer chez ce jeune banlieusard, mais d’autres préoccupations lui remplissent la tête. ‘’La verdure, ce n’est pas une priorité pour les populations sénégalaises. Chercher de quoi subvenir à nos besoins, c’est le plus important pour nous’’. Selon le jeune, il faut penser à la verdure, au cadre de vie, mais seulement après avoir ‘’amélioré les conditions de vie des Sénégalais, parlé de la cherté de la vie dans notre pays’’.

Un autre problème évoqué, c’est le manque de suivi. ‘’Les autorités ont l’habitude d’aménager ces espaces, mais après, il n’y a pas de suivi. Cela fait partie des causes de l’état de délabrement de la place de l’Indépendance’’.

Mais pourquoi ce manque de suivi ? A cette question, Bamba Ngom, le chef de la Division des espaces verts de la ville de Dakar évoque plusieurs raisons. D’abord, selon lui, depuis l’alternance, en 2000, tout a basculé, en ce qui concerne l’entretien des espaces verts à Dakar, notamment celui de la place de l’Indépendance. Dans son bureau, à la Direction des services techniques communaux, l’agent qui est au service de la mairie depuis 1987 se remémore du travail qui se faisait avant l’alternance.

Dakar disposait de 39 places publiques, des ronds-points et jardins. Onze agents étaient chargés de l’entretien de ces espaces. Mais, à l’arrivée de l’alternance, tout a changé. Les jardins ont été délaissés et, finalement, la Division des espaces verts s’est retrouvée avec aucune place publique. ‘’Tout ce que l’on pouvait faire, c’est de créer des pépinières municipales’’. Depuis, les choses n’ont presque pas changé. ‘’Actuellement, à la Division des espaces verts, il n’y a presque pas d’éléments. On en a tout juste cinq ou six’’, se désole-t-il.

Ensuite, un autre problème majeur empêche l’ex-place Protêt de retrouver sa beauté d’antan. C’est celui de la question de l’eau. Un jardin ne s’entretient pas sans eau. ‘’On a parfois des problèmes avec la Sénégalaise des eaux (Sde). On enregistre des antécédents, des arriérés et même des fois, quand elle nous donne de l’eau, on peut aussi être victime des coupures’’.

La place de l’Indépendance de la ville de Dakar n’est pas le seul lieu qui souffre de ce manque d’entretien. Des espaces verts publics ou une végétation sont rares à contempler dans la capitale sénégalaise. Dans un contexte où l’Etat du Sénégal milite pour un renouveau urbain, le défi est loin d’être relevé.

 

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