Les ICS, chronique d’un désastre permanent
Les Industries chimiques du Sénégal (ICS) sont à la croisée des chemins, depuis leur privatisation en 2014. Le groupe privé indien Indorama, qui contrôle 78 % des ICS, est fortement contesté pour sa gestion par les syndicats et les populations. De ce fait, ils réclament la renationalisation des ICS pour mettre fin aux abus de l’entreprise indienne.
Jadis ancien fleuron de l’industrie sénégalaise, les Industries chimiques du Sénégal (ICS) traversent une crise profonde. L’entreprise, sous la direction depuis 2014 du groupe Indorama Corporation, dont le siège est à Singapour, fait face à une forte défiance de la part des syndicats des travailleurs des ICS et des populations. Dans ce climat de forte méfiance envers le groupe asiatique qui a permis de relancer le groupe en 2014 avec un passif de 320 millions. Un bilan fruit des années de gestion opaque et de difficultés financières sous l’ère de Pierre Babacar Kama et de Djibril Ngom, Ousmane Ndiaye, entre autres. Une situation qui est loin de s’améliorer avec le groupe indien qui, d’après les membres du Conseil national des dirigeants d'entreprise du Sénégal (Innovation-Croissance), le groupe Indorama, gérant des ICS, doit plus de 200 milliards de francs CFA à l'État du Sénégal, ont-ils fait savoir vendredi dernier.
En effet, selon Abdou Aziz Ndiaye, ex-travailleur des ICS, la faible représentativité des Sénégalais dans le conseil d'administration est symptomatique des difficultés de l’entreprise. Selon lui, parmi les douze membres que compte le Conseil d'administration des ICS, le Sénégal n'a que deux représentants. Enfonçant le clou, M. Ndiaye dénonce une discrimination dont sont victimes les cadres sénégalais. ‘’Sur les 70 cadres, 60 sont indiens. Les employés sénégalais qui partent à la retraite sont remplacés par des Indiens. Ils sont plus de 200 à la mine de phosphates. Les employés sénégalais sont passés de 2 500 à 1 500, c'est-à-dire que 1 000 agents ont perdu leur emploi’’, a souligné Abdou Aziz Ndiaye.
De son avis, aujourd'hui, une renationalisation s’impose, surtout que, d’après lui, les Sénégalais disposent de tous les atouts techniques, financiers et politiques pour gérer les Industries chimiques du Sénégal.
Fort de ce constat des nombreux manquements du groupe indien, beaucoup d’ONG et de groupes locaux interpellent le nouveau gouvernement à ne pas renouveler le contrat d’Indorama qui doit s’achever en septembre 2024.
Pour rappel, en avril, le président Bassirou Diomaye Faye a reçu l’homme d’affaires Prakash Lohia, dirigeant d’Indorama, au palais de la République. Ce dernier n’a pas manqué de plaider la cause de son groupe pour continuer à exploiter les phosphates du Sénégal.
Désastre écologique autour des sites d’exploitation de phosphates
Sur le plan social, le bilan de la gestion indienne est souvent décrié par les populations et les ONG qui dénoncent l’absence de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et de lutte pour la restauration des sols autour des sites d’extraction de phosphates dans la commune de Méouane dans le département de Tivaouane. Fréquemment, les populations locales dénoncent la destruction de leur environnement, l’appauvrissement des terres, la prolifération de certaines maladies, entre autres. Le week-end passé, les habitants de Ngakham, Ngomène, Gade, Ndiané, Ndiakhaté, Ndomor, Dayamber ont décidé de maintenir le blocus sur les installations de cette société, empêchant la poursuite des activités minières, afin d’exiger le paiement de leurs indemnités et dénoncer du même coup l'impact négatif sur l'environnement.
Birahime Seck, le coordinateur du Forum civil, parle d’un apartheid. ‘Nous avons une frange des travailleurs des ICS qui sont très bien lotis, très bien entretenus ; à côté, nous avons constaté également des populations qui sont laissées en rade. Des populations qui sont malmenées, torturées dans leurs droits, surtout dans leurs droits sociaux, économiques et culturels’’, affirme-t-il.
Mais le nouveau gouvernement, qui est sur une ligne souverainiste, pourrait être tenté par une renationalisation, d'autant plus que l’explosion du prix de l’engrais dû à la guerre russo-ukrainienne incite à trouver des solutions endogènes pour accélérer la production d’engrais dans notre pays.
D’autant plus que l’augmentation de la demande en engrais sur le marché mondial offre de bonnes perspectives de développement pour les ICS et permettra de soutenir une vraie politique de souveraineté alimentaire dans le pays.
Histoire d’un ancien fleuron de l’industrie sénégalaise
Pour rappel, les Industries chimiques du Sénégal (ICS) sont le plus grand producteur d'engrais phosphatés en Afrique subsaharienne. L'entreprise a commencé l'exploitation de la roche phosphatée en 1960 et la production d'acide phosphorique en 1984. Les ICS sont le plus grand complexe industriel du Sénégal et se composent de trois sites. Le site minier est situé à 100 km de Dakar et possède d'importantes réserves de minerais de phosphate de haute qualité. Les usines d'acide phosphorique sont situées à Darou et ont une capacité de production de 600 000 t par an. L'usine d'engrais en aval est située à Mbao, près de Dakar. L'usine d'engrais peut produire 250 000 t par an de produits Dap et NPK.
Toutefois, les ICS exportent la majorité de leur acide phosphorique vers l'Inde, tandis qu'elle vend ses engrais en Afrique de l'Ouest et sur les marchés internationaux.
Fin 2005, les pertes cumulées des ICS totalisaient 157 milliards de francs CFA (environ 240 millions d'euros) pour des fonds propres de 168 milliards.
En 2006, l'entreprise a été placée sous règlement préventif et l'État sénégalais a donné une garantie à hauteur de 63 milliards F CFA. Les difficultés du gouvernement de recapitaliser les ICS et à procéder à des abandons de créances avaient poussé les autorités sénégalaises à céder à la proposition du gouvernement indien de prendre le contrôle les ICS.
Mamadou Makhfouse NGOM