Le glas de la bonne gouvernance
Gestion sobre et vertueuse, patrie avant le parti, rupture…, les slogans étaient nombreux et annonçaient tous un nouveau modèle de gestion. Quelques années après, c’est le retour à la case départ, avec la fin de la traque des biens mal acquis qui se dessine. Le dernier acte d’une pièce qui avait démarré avec les nominations politiques, l’implication familiale, les rapports classés sans suite et le retour d’institutions inutiles et budgétivores. Si ce n’est pas la fin de la bonne gouvernance, c’est alors le début de la fin.
La bonne gouvernance a longtemps été le leitmotiv du président de la République. Depuis son arrivée au pouvoir, Macky Sall ne cesse de réitérer son engagement dans ce sens. D’ailleurs, la multitude des slogans en dit long sur la prépondérance de ce thème dans le discours présidentiel : gestion sobre et vertueuse, patrie avant le parti, reddition des comptes… Lors de la troisième édition de l’université républicaine organisée en octobre 2014 à Mbodiène (Mbour), le Président Sall affirmait : ‘’La bonne gouvernance est une condition de réussite du Pse.’’
A l’intention de ses partisans, le patron de l’Alliance pour la République (Apr) ajoutait : ‘’Chacun doit savoir jusqu’où il doit aller avec les deniers publics (…). Tant que les ressources, fussent-elles minimes, ne sont pas utilisées à bon escient, optimisées, on ne sera pas dans une dynamique de développement’’. Macky Sall en arrivait même à rêver de voir des Sénégalais décliner un poste ministériel parce qu’il faut rendre compte de sa gestion. ’’Si nous parvenons à nous imposer une bonne gestion des ressources, il peut arriver que des gens soient choisis pour diriger un ministère et qu’ils disent non, de peur d’être poursuivis un jour pour des malversations financières’’. Il semblait tellement convaincu qu’il a créé un ministère de la Bonne gouvernance.
Aujourd’hui, force est de constater que cette vision que le journaliste et analyste politique Mame Less Camara qualifie de ‘’romantique’’ s’éloigne de jour en jour. La libération annoncée de Karim Wade sonne en effet le glas de la bonne gouvernance tant promise au peuple sénégalais. A défaut d’une fin déjà certaine, c’est alors le début de la fin. Mamadou Ndoye le patron de la Ld/MPT en est déjà conscient. "Si aujourd'hui M. Karim Wade, qui a été convaincu d'enrichissement illicite, est libéré, ce sera un très mauvais message politique qui est donné à tous les gens qui seraient tentés d'aller vers les détournements de deniers publics et vers la corruption". Pour lui, cela signifierait : ‘’Allez-y, détournez, dans tous les cas, vous serez libérés !’’
Si le cas Karim vient conforter cette hypothèse, c’est qu’il n’est pas le premier exemple, mais plutôt la suite d’un processus qui se précise de plus en plus. En dehors de quelques auditions, les dignitaires du régime libéral visés dans la traque des biens supposés mal acquis n’ont presque jamais été inquiétés. Il s’y ajoute que certains d’entre eux se sont vu accorder une immunité de fait, en allant se ranger derrière le chef suprême de la magistrature.
Volée de bois vert contre l’Ofnac
Mais la reddition des comptes ne se limite pas uniquement aux anciens tenants du pouvoir, les actuels aussi en font partie. Les rapports de la Cour des comptes et de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) ont épinglé plusieurs autorités de l’actuel régime. Mais jusqu’ici, les Sénégalais ne sont informés d’aucun dossier ayant connu une suite judiciaire. Et il a fallu que l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) publie ses rapports 2014 et 2015 pour que les responsables de l’APR se livrent à des tirs groupés contre Nafi Ngom Keïta et l’Institution qu’elle dirige, sans qu’un soutien public du Président à Mme Keïta ne s’en suive.
Me Oumar Youm, Directeur de cabinet du président de la République de soutenir : ‘’L'Ofnac n'a pas respecté son obligation de réserve.’’ Cheikh Oumar Anne accuse la structure ‘’d’acharnement contre le Coud et son directeur’’. Doudou Guèye, le directeur de Poste Finances, y voit quant à lui un organe ‘’mû par le besoin d’écrire coûte que coûte quelque chose’’. Autant de déclarations qui montrent à souhait l’allergie des apéristes vis-à-vis des règles de bonne gouvernance. Une tendance confirmée par la difficulté notée dans la déclaration de patrimoine qui n’est toujours pas effective chez certains ordonnateurs de crédits. Cette hostilité de ses partisans au contrôle de gestion, Macky Sall l’avait lui-même perçue lorsqu’à Mbodiène, il abordait le thème d’une utilisation rationnelle des ressources. ‘’Apparemment, mes propos ne semblent pas plaire, puisque depuis que j’ai commencé à aborder ce sujet, personne n’a applaudi’’, plaisantait-il. Une boutade qui en dit long sur la réalité.
Parlant toujours des deniers publics, le chef de l’Etat avait promis une gestion sobre et vertueuse. La suppression du Sénat entrait dans ce cadre, parce qu’il y a des dossiers plus urgents comme la gestion des inondations. Aujourd’hui, ces entités inutiles font leur retour en force. Non seulement le Président Sall fait revenir le Sénat sous un autre ‘’mackillage’’, mais aussi il augmente le nombre de ses pensionnaires qui seront de 150 dont 70 qu’il aura le loisir de désigner parmi sa clientèle politique à caser. Dans cette même logique, le chef de l’Etat, confronté à l’appétit de son parti et la nécessité de servir ses alliés, aurait décidé de porter le nombre de députés de 150 à 180 parlementaires. Sans compter le Conseil économique social et environnemental ainsi que des entités à l’utilité douteuse comme la Commission nationale du dialogue des territoires dirigée par Djibo Ka.
En outre, parmi les critères de bonne gouvernance, il y a aussi le choix des hommes. Autrement dit, mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, indépendamment de son appartenance politique, idéologique, religieuse ou communautaire. Le Président avait lui-même promis de mettre la patrie au dessus du parti. Pourtant, on retiendra que des ministres et directeurs généraux ont été démis de leurs fonctions étatiques non pas, parce qu’ils ont manqué à la mission régalienne qui leur était confiée, mais parce qu’ils ont perdu les élections dans leur fief politique. Une décision prévisible puisque le Président avait lui-même menacé les perdants de sanction. Même Aminata Touré a perdu son poste de Premier ministre pour avoir été battue à Grand Yoff par Khalifa Sall aux élections locales de 2014.
Les nominations clientélistes
A cela s’ajoutent des nominations injustifiables sur le plan technique et qui ‘’tirent de plus en plus vers le wadisme’’, pour reprendre les termes de Mody Niang. En guise d’exemple, Awa Ndiaye nommée présidente de la Commission des données personnelles a avoué mardi dernier n’avoir eu ‘’aucune idée de ce qu'était la Cdp’’, lorsqu’elle a été portée à la tête de l’institution par décret présidentiel. La nomination de Youssou Touré comme président du Conseil d’administration de la BHS a été l’une des décisions les plus surprenantes. Il en est de même de la désignation fortement contestée de Bara Ndiaye comme administrateur de la maison de la presse, et de la nomination de certains responsables apéristes à la tête de consulats et ambassades (France, Espagne, Italie…)
Autre point de la Bonne gouvernance, la séparation de la sphère familiale de celle publique. Si Abdoulaye Wade a perdu le pouvoir, c’est en grande partie en effet dû à son fils qu’il a cherché à imposer aux Sénégalais. Son successeur au pouvoir a fait autant sinon plus. La famille du président et celle de sa femme sont tellement au cœur des affaires qu’on parle de la dynastie Faye-Sall. Autant de manquements qui prouvent à suffisance que si tant est que la bonne gouvernance ait une fois dépassé les slogans, alors elle a enclenché la marche à rebours...il y a bien longtemps !
BABACAR WILLANE