Publié le 9 Jun 2022 - 15:56
GESTION DE L’OCÉAN AU SÉNÉGAL

La colère noire des pêcheurs artisanaux  

 

La Journée mondiale des océans est célébrée à travers le monde, depuis 1992, au sortir du Sommet de Rio. Son objectif est de faire du 8 juin de chaque année une occasion de sensibiliser le grand public à une meilleure gestion des océans et de leurs ressources. Au Sénégal, c’est le Papas (Plateforme des pêcheurs artisanaux du Sénégal) qui l’a célébrée hier à Joal-Fadiouth. Les responsables, très en colère, demandent plus d’espace dans l’Océan.

 

Depuis quelques années, le secteur de la pêche n’arrive pas à trouver une solution durable aux nombreux problèmes qui le gangrènent. L’État cherche, sans succès, à résoudre ces problématiques, mais les acteurs de la pêche estiment que ce dernier s’y prend mal.

En effet, ils estiment que certains préalables sont obligatoires pour un développement de ce secteur. D’abord, indique Abdou Karim Sall, ‘’nous avons choisi un thème très important, parce qu’il y a de cela plus de 30 ans, on avait réservé une zone d’intervention pour la pêche artisanale. En ce moment, nous étions environ 3 000 pirogues. Aujourd’hui, nous en comptons 27 000. La zone était de 7 miles. Ce qui correspond à 12 km de longueur. C’est pour cette raison que les acteurs de la pêche pensent que la majeure partie des conflits notés dans l’océan est causée par ce problème’’, explique le président du Papas. Il est convaincu que les 27 000 pirogues ne peuvent pas se partager cette zone, sur les 718 km de côtes du Sénégal.

C’est la raison pour laquelle les acteurs de la pêche artisanale ont célébré, hier, la Journée mondiale des océans dans la contestation, avec des brassards rouges et des pancartes en signe de manifestation de leur colère devant la gestion de l’océan au Sénégal. ‘’Nous voulons que l’État du Sénégal relève cette zone à, au moins, 12 miles, équivalent à 24 km, pour permettre à la pêche artisanale de dérouler ses activités tranquillement, sans avoir de déboires avec la pêche industrielle. C’est une doléance que nous portons depuis des années. On a voulu profiter de cette journée des océans pour la réitérer devant l’État du Sénégal qui doit comprendre que le monde bouge’’.

Le président des pêcheurs artisanaux souligne que ‘’le gros des accidents de la mer est causé par cette situation, de même que la raréfaction de la ressource, parce plus d’une centaine de bateaux opèrent dans les eaux du Sénégal, au même moment que les 27 000 pirogues. Toute cette population ne peut pas cohabiter dans cet espace’’.

Selon lui, la solution doit provenir de l’État du Sénégal qui doit prendre de nouvelles dispositions par rapport à la pêche industrielle. ‘’L’État du Sénégal doit, d’abord, geler les licences de pêche. Ensuite, qu’il fasse dans la transparence, en révélant combien de bateaux opèrent dans les eaux sénégalaises, afin qu’on puisse mettre en œuvre le Fiti (Fisheries Transparency Initiative) au Sénégal, puisque cette convention a été signée avec d’autres pays’’, exige le président du Papas.

‘’L’État du Sénégal doit arrêter les usines de farine de poisson’’

Il ajoute : ‘’Il faudrait également que l’État du Sénégal arrête les usines de farine de poisson et qu’il annule les licences de pêche de ces usines de farine de poisson, parce que c’est cela qui a amené la concurrence avec nos femmes qui travaillent dans les différents sites de transformation des produits halieutiques, au point qu’elles ne peuvent plus trouver la ressource.’’

 Enfin, Abdou Karim Sall plaide pour l’obtention d’un statut juridique aux femmes transformatrices des produits de la mer. ‘’Nos braves femmes travaillent tous les jours, depuis lors, sans aucune forme de reconnaissance juridique. L’État a l’obligation de leur accorder cette reconnaissance, puisqu’elles constituent un maillon important dans la chaine de mise en valeur des produits halieutiques’’, déclare M. Sall.

Abdoulaye Ndiaye, le chargé de campagne Océan à Greenpeace Afrique, va dans le même sens. ‘’Aujourd’hui, il y a une crise que tout le monde constate au niveau des océans. C’est la crise de la rareté des ressources qui est due à une mauvaise politique de pêche qui est mise en œuvre au Sénégal. Et Greenpeace n’a jamais cessé de les décrier’’.

Il promet, dès lors, de porter ‘’le plaidoyer pour que ces métiers de femmes soient beaucoup plus valorisés, mais aussi permettre que les océans soient mieux protégés, pour continuer à jouer le rôle qui est le sien, c’est-à-dire de nourrir les Sénégalais et, au-delà, de nourrir toute la population ouest-africaine’’. Il estime que l’État doit prêter une oreille attentive au discours fort lancé par les acteurs de la pêche artisanale du Sénégal, en adhérant à la Fiti, à l’instar de la Mauritanie.

‘’Il ne faut pas oublier qu’il y a eu un engagement public du chef de l’État en Mauritanie. On a demandé à l’État du Sénégal de respecter cet engagement et d’adhérer à la Fiti, pour plus de transparence. Aujourd’hui, quand on parle de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) qui est dans le secteur du pétrole, on se demande comment on peut demander la transparence sur une ressource qu’on n’a pas encore commencé à exploiter, au détriment d’une ressource qui nous nourrit, depuis bien des décennies’’, lance le représentant de Greenpeace. Avant d’ajouter : ‘’On ne se nourrit pas de pétrole, mais de poisson et de riz. Donc, c’est sur ce qui nous nourrit qu’on doit mettre plus de transparence et montrer aux autorités qu’aller vers la Fiti n’est pas une faiblesse, mais une marque de grandeur. Sans transparence, il n’y a rien. Et, dit-on, ’tout ce qui se fait pour moi sans moi, se fait contre moi’.                

IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)

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