La responsabilité africaine en question
Le centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad) de Diamniadio, Dakar, accueille la troisième édition du forum Paix et Sécurité, depuis hier. Décideurs, partenaires et penseurs interpellent l'Union africaine sur ses responsabilités face aux défis sécuritaires qui assaillent le continent.
Assumer d’abord une responsabilité à l’interne, africaine, dans la bataille contre l’extrémisme violent, le radicalisme, et la menace terroriste. Accepter ensuite la main tendue des partenaires au développement, celle de l’Union européenne plus particulièrement. C’est le principe défendu hier matin par le président Macky Sall, à l’ouverture du troisième forum international sur la paix et la sécurité de Dakar. ‘‘C’est d’abord nous qui sommes interpellés par le défi et interpellés par la recherche des moyens pour y faire face. Regards croisés, car nous ne devons pas être seuls dans l’identification des défis et des réponses à des menaces qui se posent à l’échelle du monde’’, déclare le chef de l’Etat sénégalais pour justifier le thème de ce sommet annuel : ‘‘L’Afrique face à ses défis sécuritaires : regards croisés pour des solutions efficientes.’’ Une responsabilité à laquelle appelle d’abord le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, qui exhorte à une implication interne plus prononcée. ‘‘Il est essentiel que les organisations régionales africaines jouent un rôle majeur dans la gestion de la sécurité du continent’’, dit-elle.
Car le continent noir est largement tributaire de l’aide extérieure, avec 75% d’apport financier de la communauté internationale, pour les opérations de maintien dont la plupart se trouvent en Afrique. Pour combattre la menace terroriste, ces décideurs appellent à la professionnalisation des forces de défense et de sécurité. ‘‘La sécurité nécessite des ressources, de l’expertise, du personnel. Dans de nombreux cas, les réformes du secteur de la sécurité sont essentielles pour rendre les militaires plus professionnelles, plus responsables, plus en phase avec les objectifs pacifiques qu’ils doivent défendre. Une sécurité durable exige que l’armée, la police, et les institutions aient la confiance des citoyens qu’ils doivent protéger’’, poursuit la présidente de la commission de l’UE.
Le tout militaire n’est pas la seule panacée que propose ce cadre de réflexion. Un volet financier est associé aux différentes solutions esquissées. Et sur ce point, l’UE veut continuer d’être le premier partenaire du continent noir. En dehors des investissements du privé européen, de l’ordre de 200 milliards d’euros, de 2 milliards de l’Union pour l’architecture sécuritaire africaine, depuis 2004, c’est le Plan d’investissement externe- une alliance entre le public et le privé- qui est proposé par Federica Mogherini comme alternative économique à la prévention de toute forme de crise. ‘‘Ce sont les régions les plus fragiles qui ont besoin d’investissement, car la croissance économique est l’antidote la plus puissante contre l’instabilité. Il n’y a pas d’autre puissance mondiale que l’UE qui offre un engagement similaire en Afrique, soit dans le secteur de la sécurité, soit l’aide au développement, ou les investissements privés. Il n’y a pas de développement sans sécurité et pas de sécurité sans développement.’’
Président Sall : ‘‘Nos armées ne sont pas au point’’
‘‘Il faut renforcer les moyens de riposte de nos forces de défense et de sécurité face aux menaces asymétriques, surtout celles terroristes. Dans la plupart de nos pays, nos armées ne sont pas au point. Aujourd’hui, les Etats doivent faire des efforts internes pour mettre à niveau cet outil de défense. Cela incombe à chaque pays. Tout le monde y gagnera, si nous pouvons mettre suffisamment de ressources à disposition des forces entraînées capables de mener à bien les missions qui leur sont confiées. Les terroristes ne sont pas des enfants de chœur. Ils disposent de moyens des plus rudimentaires aux plus sophistiqués. Seules des FDS formées, équipées et entraînées à la hauteur de ces menaces pourraient aider à faire face’’, défend le Président Sall.
En plus des 25% d’apport de la part des organisations régionales africaines pour financer les opérations de soutien à la paix, la résolution 23-20 du 18 novembre 2016 du Conseil de sécurité de l’ONU ‘‘est disposée à examiner, en vue de les autoriser et de les appuyer, les propositions que l’Union africaine fera concernant les opérations africaines de soutien à la paix qu’il aura autorisées et qui seront menées en vertu de l’autorité qu’il tient’’. Ce qui est pour le président Sall ‘‘une contribution décisive du financement des opérations par l’UA’’. Un système de contribution basé sur un prélèvement communautaire pour que les missions soient financées en partie par les Africains. Renforcer le contrôle aux frontières.
ONU: place à l'interventionnisme !
La configuration actuelle du terrorisme implique des approches nouvelles dans le fonctionnement de l’institution internationale qu’est l’ONU. Le schéma de force de maintien de la paix est de plus en plus challengé par une guerre asymétrique menée par un mouvement terroriste offensif. Alors que 124 000 militaires, policiers, et civils sont actuellement déployés dans 16 opérations de maintien de la paix dans quatre continents, selon l’ONU, la formule ‘‘de force d’interposition’’ semble caduque. Aussi, le chef de l’Etat sénégalais et le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian se sont-ils prononcés pour un ‘interventionnisme’ plus marqué des forces onusiennes. ‘‘Les menaces et leurs causes étant multiples et complexes, elles appellent des réponses complexes. C’est valable pour le maintien de la paix de l’ONU. Le sens classique de maintien de la paix est devenu inopérant. Le théâtre malien est en passe de devenir le plus meurtrier dans l’histoire du maintien de la paix dans le monde. Les nouveaux périls appellent de nouvelles réponses’’, estime Macky Sall.
Quant à la France qui a perdu 18 militaires au Mali, la posture est que ‘‘les opérations de maintien de la paix soient dotées d’une doctrine plus robuste pour faire face à des situations sécuritaires nouvelles. Les casques bleus au Mali sont régulièrement la cible de groupes terroristes. Cette initiative ne doit pas s’arrêter, la dynamique engagée depuis trois ans se poursuivra encore. Il faut que ce débat puisse éclairer les décideurs politiques dans leur foi pour la paix’’
Contre-discours
‘‘Dis : sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?’’. C’est par ce questionnement tiré du verset 9 de la sourate 39 du Coran, et par le hadith classique du prophète Muhammad (PSL) sur la nécessité de quérir le savoir jusqu’en Chine, que le président Sall a proposé de déconstruire le discours extrémiste. La bataille contre l’extrémisme violent et le terrorisme passe aussi par les idées. Avicenne, Averroès, l’imam Al Ghazali, Muhammad Iqbal, et sur le plan local les professeurs Rawane Mbaye et Souleymane Bachir Diagne, sont autant d’esprits éclairés qui ont été convoqués par le président Sall pour contrer ‘‘l’obscurantisme et les positions extrêmes’’. Une déconstruction discursive est ainsi préconisée pour endiguer l’argumentaire idéologique dans lequel tombent facilement les jeunes de toutes conditions. ‘‘La lutte contre le terrorisme exige une formation spirituelle qui détruise les rhétoriques et manipulations de conscience. Inscrire à son agenda du jour la réponse doctrinale de l’Islam sur le terrorisme. Aucune place du terrorisme dans l’Islam. C’est une religion du juste milieu’’.
Pour le ministre français de la Défense, également, il est important de prendre en compte la dimension idéologique dans ce combat contre la terreur. ‘‘Ne nous y trompons pas. Ce qui motive ces groupes, c’est la soif de conquête du pouvoir par des moyens autres que politiques. Une arme peut détruire les structures des terroristes, mais il y a une dimension idéologique. Il est autrement plus difficile de détruire une idée, même fallacieuse et meurtrière.’’ Mais pour le président, la première ligne de front contre le radicalisme demeure bel et bien la responsabilité parentale et la famille globalement pour ‘‘éduquer, sensibiliser, et alerter’’. Responsabilité fondamentale des parents et familles. C’est la première ligne de front dans la lutte contre le radicalisme
OUSMANE LAYE DIOP