Le président Akufo-Addo contesté sur fond de fronde sociale grandissante
La grogne sociale ne cesse de prendre de l’ampleur au Ghana. Lancé en 2021, le mouvement de protestation Fix The Country (« Répare le pays ») a battu son record de mobilisation, revendiquant 120 000 manifestants, samedi 23 septembre, après trois jours de manifestations consécutives dans la capitale, Accra.
Les raisons de la colère ? « Les impôts élevés, l’inflation élevée, le coût de la vie élevé, le taux de chômage élevé, l’état déplorable de nos infrastructures, des routes, des écoles, des installations de soins de santé… », liste Chris Atadika, chercheur en communication politique et manifestant. La croissance économique des années 2010 a depuis été rattrapée par l’inflation qui dépasse désormais 40 %. De nombreux Ghanéens ne peuvent plus s’offrir trois repas par jour et la contestation a gagné les classes moyennes.
« Le mauvais état de notre économie est le résultat des pratiques corrompues des fonctionnaires du gouvernement au fil des ans », dénonce Chris Atadika, alors que les manifestants se sont trouvé un nouveau slogan : « Occupy Julorbi House », un jeu de mots entre « Jubilee House », le nom du palais présidentiel, et « Julorbi » qui signifie « voleurs » en langue ga. Le président Nana Akufo-Addo est aujourd’hui devenu la première cible des contestataires, qui appellent à sa démission.
« Mauvaise gestion, corruption, malversations »
Face à la mobilisation grandissante, la réponse des forces de l’ordre a été brutale. Quarante-neuf manifestants ont été arrêtés dès le jeudi, premier jour de manifestation. Certains dénoncent des violences policières, dont les vidéos circulent sur les réseaux sociaux. « Nous avons été sévèrement battus et malmenés, a déclaré Amelia Amemate, l’une des manifestantes arrêtées dans un communiqué. Ils nous ont poussés dans des véhicules de police et nous ont emmenés au commandement régional d’Accra, où nous avons été battus par des agents de sécurité qui n’étaient pas en uniforme. »
L’association des avocats du Ghana a protesté contre « une violation par les officiers de la police ghanéenne de la Constitution de 1992 », après qu’un avocat venu défendre les manifestants arrêtés, Me Richmond Rockson, a été arrêté arbitrairement et battu par les forces de l’ordre.
« Cela fait des mois que notre mouvement veut attirer l’attention sur les abus de pouvoir croissant, déplore Oliver Barker Vormawor, l’un des leaders de Fix The Country. Les assassinats extrajudiciaires et les arrestations de militants et de journalistes sont devenus monnaie courante sous la présidence actuelle. » Le militant anticorruption Ibrahim « Kaaka » Muhammed a ainsi été battu à mort le 26 juin 2021 par des inconnus, après avoir reçu des menaces de mort.
« Le président Akufo-Addo, sa famille et ses amis, ainsi que le Nouveau Parti patriotique [NPP, au pouvoir], se sont emparés des principales institutions publiques et parapubliques, des médias et de la société civile, poursuit le professeur Gyimah-Boadi, directeur du bureau de recherche panafricain Afrobarometer. Cela a créé les conditions d’une mauvaise gestion économique, d’une corruption et de malversations endémiques. »
Divisions internes au sein du parti présidentiel
En juillet, la ministre de l’assainissement Cecilia Abena Dapaah avait provoqué la polémique en traduisant en justice d’anciennes employées de maison, qu’elle accusait de lui avoir volé des effets personnels et de l’argent liquide. En l’occurrence, 1 million de dollars, 300 000 euros et des millions de cedis, la monnaie locale. La provenance d’un tel trésor a immédiatement été questionnée et si la ministre a fini par démissionner sans cesser de clamer son innocence, elle a jusqu’au bout bénéficié de la confiance du président Akufo-Addo.
Pour tenter de regagner les faveurs de l’électorat conservateur, le gouvernement s’est concentré ces deux dernières années sur une rhétorique homophobe, assimilant la communauté LGBT ghanéenne à une immixtion des valeurs occidentales. Un projet de loi visant à sanctionner plus lourdement l’homosexualité, déjà illégale, est actuellement examiné au Parlement.
« Cela décrédibilise un peu plus l’establishment politique, souligne le professeur Gyimah-Boadi, à qui la population reproche de s’en prendre à une minorité de la population plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes du pays. » Mais cette offensive est aussi une main tendue aux leaders religieux, en particulier pentecôtistes, devenus de puissants alliés du gouvernement de Nana Akufo-Addo.
Malgré la fronde populaire et les divisions internes, le parti présidentiel tente de se mettre en ordre de bataille pour les élections générales prévues le 7 décembre 2024. Le NPP doit choisir en novembre son candidat, alors que Nana Akufo-Addo est contraint par la Constitution de céder le pouvoir à la fin de son second mandat. Avec l’espoir d’échapper aux critiques sur son bilan, l’ancien ministre du commerce Alan Kyeremanten, qui a démissionné de son poste en janvier, a annoncé lundi qu’il s’apprêtait à quitter également le parti, pour se présenter comme candidat indépendant à la présidentielle de 2024.