Les risques d’un chaos économique
Alors que la guerre fait rage en Ukraine, le Sénégal, à l’instar de tous les pays du monde, pourrait subir de plein fouet les effets de cette tuerie qui ne vient que de commencer. Des produits comme le pétrole, le gaz, le blé, entre autres, sont sous la menace.
Cela se passe à des milliers de kilomètres, mais pourrait avoir des impacts dévastateurs sur toutes les économies du monde. Secteur très volatile, le pétrole n’a pas mis du temps à bondir. Hier, la barre des 100 dollars le baril a été franchie et cela risque d’avoir des effets sur les produits au Sénégal. ‘’Les conséquences peuvent être très douloureuses. Vous savez, les prix ont été bloqués pendant très longtemps. L’Etat a supporté les pertes commerciales à travers différents mécanismes, dont la politique fiscale. C’est pourquoi vous ne voyez pas beaucoup d’augmentations, malgré les prix qui n’ont de cesse de grimper. Avec cette nouvelle situation, ce choix pétrolier devrais-je dire, l’Etat ne pourra plus continuer à supporter la différence. Et cela va avoir des répercussions sur beaucoup de secteurs’’, analyse un spécialiste en matière de géopolitique pétrolière.
Normalement, les prix doivent être revus toutes les quatre semaines en fonction du cours international du baril. Mais depuis 2011, l’Etat a mis en place une sorte de péréquation pour parer à toute flambée des prix. De l’avis de l’expert, le seul espoir qui peut encore exister, c’est d’agir sur la politique fiscale. Car, fait-il remarquer, la fiscalité sur les hydrocarbures est très importante. ‘’En fait, plus de 60 % du prix du carburant est constitué de taxes. C’est des recettes très importantes pour l’Etat, soit 25 % des recettes budgétaires. L’Etat a donc la possibilité d’agir sur ces taxes pour amortir le choc’’.
Syndicaliste, Cheikh Diop semble encore plus optimiste. ‘’Jusque-là, souligne-t-il, le Fonds de solidarité à l’énergie (FSE) a bien fonctionné. L’Etat a su faire face aux différentes augmentations pour soulager le consommateur. Nous espérons que cela va continuer ainsi, même si ce ne sera pas facile avec cette crise. Le FSE a aussi ses limites’’.
La menace des chocs mondiaux sur l’économie du pays
Toutefois, admet le secrétaire général de la CNTS/FC, le monde est un village planétaire et le Sénégal ne saurait échapper à certains chocs mondiaux. Revenant sur le Fonds de soutien à l’énergie, il précise : ‘’On parle souvent de la dette due au secteur. C’est parce qu’à un moment, le FSE ne peut pas rembourser toutes les pertes commerciales. Ce qui alimente cette dette dont on parle vis-à-vis du secteur. Mais l’Etat tente de gérer bon an mal an.’’
Si les prix risquent d’être lourdement impactés, la question de l’approvisionnement du pays est aussi en question, avec cette crise qui vient juste de démarrer et dont on ne maitrise pas encore l’étendue. Selon le spécialiste, le Sénégal achète essentiellement au Nigeria pour le brut, parce que la Sar ne peut raffiner que ce type de pétrole que l’on trouve au Nigeria. Et comme la capacité de raffinage de la Sar ne couvre que 50 % des besoins, tout le reste est importé.
‘’Actuellement, ajoute-t-il, toute la consommation est importée, parce que la Sar est à l’arrêt depuis quelques mois. Nous importons des produits finis qui viennent d’un peu partout, particulièrement d’Europe, notamment d’Amsterdam et de Rotterdam’’.
Dans le classement des pays producteurs de pétrole, la Russie figure parmi les trois premiers au monde, derrière les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. Avec la crise et toute cette panoplie de sanctions qui pèse sur elle, les impacts se feront certainement ressentir, selon les experts.
Outre les hydrocarbures, les marchés surveillent également de très près l’évolution des cours du blé, si l’on sait que le pays de Poutine en est le premier producteur mondial, l’Ukraine le quatrième. ‘’A eux deux, ces pays assurent près d'un tiers des échanges mondiaux de blé (32 %). Sachant que les États-Unis et le Canada ont eu de moindres récoltes de blé à cause des aléas climatiques, on comprend mieux que cette crise ukrainienne pourrait avoir un impact majeur, notamment pour les pays en développement’’, commente Michel Portier, gérant de la société de conseil Agritel sur RFI.
‘’La guerre, dit-il, vient juste de démarrer et déjà, il y a la spéculation sur le blé’’
Le président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal ne dit pas le contraire. Selon Amadou Gaye, une bonne partie du blé utilisé au Sénégal est constituée de blé tendre en provenance de la Russie et de l’Ukraine. Ce qui lui fait craindre le pire, si la crise perdure. ‘’La guerre, dit-il, vient juste de démarrer et déjà, il y a la spéculation. D’ici un mois, les prix vont s’envoler. Ces deux pays exportent beaucoup dans le monde. Si l’Etat ne prend pas les devants, il peut y avoir des répercussions. Soit c’est le prix qui augmente, soit c’est le poids du pain qui va diminuer’’.
Pour le boulanger, c’est le moment d’interroger les habitudes de consommation des Sénégalais et les politiques de l’Etat en la matière. Depuis des années, on parle de valorisation des produits locaux dans le pain, mais les résultats restent encore mitigés. D’une part, il y a les politiques de l’Etat qui ne sont pas à la hauteur. D’autre part, les habitudes du consommateur. ‘’Moi, je peux avoir neuf pains avec des produits locaux. Il y a le pain à base de mil, le pain à base de fonio, il y a le pain au riz, entre autres. Tout ça, ce sont des alternatives et c’est de qualité nutritionnelle meilleure’’, insiste-t-il.
Selon lui, il faut que les politiques et les consommateurs suivent, parce que le Sénégal ne peut pas continuer à vivre sous la dépendance. ‘’Cette crise, souligne-t-il, est un moyen de remettre au goût la nécessité de promouvoir le consommer local. Il faut que nous consommions ce que nous produisons. On ne peut certes pas faire du pain uniquement avec nos céréales, mais on peut faire de sorte que les 20 % soient constitués de nos produits locaux. Certains peuvent aller à 30 %’’.
Dans ce dessein, l’Etat doit aussi accompagner les acteurs avec une politique fiscale adaptée. ‘’Le paradoxe, c’est que la farine de blé est moins chère que la farine de mil. Parce que le blé est exonéré de TVA à l’entrée. La farine transformée que nous achetons, c’est 0 F de TVA. Par contre, pour la farine de mil que j’achète, on supporte une TVA de 18 %. Je pense que c’est un paradoxe qu’il faut corriger. L’Etat doit aider les meuniers qui transforment nos produits locaux. D’autant plus que ce n’est même pas 50 000 t, là où on exonère 650 000 t de blé’’, plaide M. Gaye. Non sans ajouter : ‘’Malgré cela, la baguette de 125 g à base de blé coûte 100 F CFA. La baguette de 150 g à base de mil, même prix. Ce qui veut dire que ce dernier coûte moins cher, malgré les taxes.’’
Outre les mesures fiscales, le boulanger estime tout bonnement que l’Etat devrait l’imposer pour le rendre accessible au consommateur. ‘’C’est un pain délicieux et c’est plus riche. Je pense que l’Etat doit l’imposer. Il y a des Sénégalais qui en veulent, mais qui ne le trouvent pas. Si les Sénégalais le prennent régulièrement, ils vont l’inclure dans leurs habitudes. On ne peut plus vivre en dépendant de l’extérieur’’, fulmine le président de la Fédération des boulangers.
Dans la même veine, le maïs, les huiles et d’autres produits pourraient faire l’objet de hausse vertigineuse à cause de la guerre et des sanctions qui pèsent sur Moscou.
DEPENDANCE DE BRUXELLES EN GAZ Une chance pour le gaz sénégalo-mauritanien Par ailleurs, de ces ténèbres, jaillit quelque part de la lumière. Il y a quelques jours, voire quelques semaines, le président de la République, Macky Sall, appelait avec beaucoup de désespoir la communauté internationale à reconsidérer sa position par rapport au financement des projets d’hydrocarbures. Avec la crise actuelle, l’Europe est en train de chercher vainement une alternative à sa dépendance vis-à-vis de Moscou, surtout en matière d’approvisionnement en gaz. Et dans cette perspective, le Sénégal pourrait bien se positionner. ‘’Si on avait commencé à produire aujourd’hui, on échapperait non seulement à cette crise, mais on allait constituer un recours pour les pays européens qui dépendent encore de la Russie’’, a relevé le spécialiste en géopolitique pétrolière. Malheureusement, constate-t-il, les premiers barils ne sont pas attendus avant 2023. Dans tous les cas, il s’agit là de belles perspectives pour la production du pétrole et du gaz, si l’on sait que les effets de cette crise risquent de perdurer. ‘’Aujourd’hui, l’Europe cherche par tous les moyens à se départir de cette dépendance’’, insiste-t-il. REACTION DE L’UNION AFRICAINE Macky Sall déplore ‘’une situation très grave et dangereuse’’ Président en exercice de l’Union africaine, le président Macky Sall a exprimé ses vives inquiétudes. Dans un communiqué conjoint avec le président de la Commission de l’Union africaine, le tchadien Moussa Faki Mahamat, ils ont fait part de ‘’leur extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine.’’ Selon les deux dirigeants, la Fédération de Russie ainsi que tous les acteurs régionaux ou internationaux sont appelés ‘’au respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine’’. Macky Sall et Moussa Faki Mahamat insistent et ‘’exhortent les deux parties à l’instauration immédiate d’un cessez le feu et à l’ouverture sans délai de négociations politiques sous l’égide des Nations Unies’’. A leur avis, ceci est essentiel pour préserver le monde des conséquences d’un conflit planétaire, pour la paix et la stabilité des relations internationales, au service de tous les peuples du monde. |
MOR AMAR