La CMU, entre joie et frustrations
La couverture maladie universelle (CMU) est effective depuis le 1er octobre au Centre hospitalier national d'enfant Albert Royer, comme annoncé par le président de la République. Mais incomprise du grand public, elle crée des frustrations et divisent les patients.
Il est 12 heures hier au Centre hospitalier national d'enfants Albert Royer. Situé au cœur de l’hôpital Fann, ce centre prend en charge les enfants. Il y a du monde en cette fin de matinée. Aïssatou Sylla attend un taxi, son bébé sur les bras, cherchant à échapper aux rayons du soleil. Cette trentenaire est venue faire consulter son fils de 6 mois. Il a eu une fièvre la veille. ''Quand je suis arrivée, une infirmière m'a dit de ne pas payer le ticket. Je ne savais même pas ce qui se passait. C'est par la suite qu'elle m'a expliqué que la prise en charge est gratuite pour les enfants de 0 à 5 ans jusqu’au 31 décembre'', explique-t-elle. Sur ces entrefaites arrive un taxi que la dame hèle pour marchander avec le conducteur avant de s'en aller.
Dans les allées, Maïmouna Niang s’affaire à attacher sa fille sur son dos. Elle vient de quitter la salle de consultation. Elle se dit, pour une fois dans sa vie, satisfaite des hôpitaux publics du Sénégal. ''Ma fille est asthmatique mais à chaque fois que je viens ici, je rentre en pleurant. On me fait payer des tickets à n'en pas finir et le ticket de consultation est à 4 000 francs Cfa. Aujourd'hui, je suis venue pour un rendez-vous. Je suis venue ici le mardi mais je n'ai pas payé le ticket pour la consultation'', confie Maïmouna Niang. Toutefois, elle se montre prudente : ''Le gouvernement fait toujours des choses à moitié. On a dit que la première phase se termine le 31 décembre. Peut-être qu'après cette date, on n'entendra plus parler de gratuité des soins. Il faut s'attendre à tout.''
A l'intérieur du centre, le hall est plein à craquer. Une banderole bien visible porte cette inscription : ''Couverture maladie universelle. Gratuité du ticket de consultation pour les cas référés et urgences''. Plus loin une autre banderole : ''Couverture maladie universelle pour les enfants de 0 à 5 ans. Pour les nouveaux-né (0-1 mois) en cas de référence avec bulletin médical ; en cas de fièvre à 39 degrés ; en cas de difficultés respiratoire ; Léthargie ; Déshydratation ; Convulsions ; perte de conscience''. On touche aux détails d'une mesure dont l'application pose déjà problème.
''C'est de la discrimination''
Mame Diarra Ndongo sort du hall pour aller à la pharmacie, son fils sur les reins. Il a fait 9 jours d'hospitalisation dans ce centre. Le visage désespéré, le téléphone scotché à l'oreille, Mame Diarra ne supporte pas ce qu'elle considère comme de la ''discrimination'' dans ce centre. ''Mon fils a été hospitalisé pendant 9 jours. C'est notre dernier jour aujourd'hui et on me fait une facturation de 42 000 francs. Ce n'est pas normal alors qu'il ne devait pas prendre en compte ces trois derniers jours, c'est-à-dire le début de la gratuité des soins'', fustige-t-elle. ''C'est une discrimination, la gratuité c'est pour tout le monde. On m'a dit qu’après 7 jours, le patient paye, mais moi je suis arrivée avant le 1er octobre donc je ne dois pas payer les derniers jours. C'est une injustice'', râle Mme Ndongo.
Dans une circulaire sur la mesure signée par le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, et adressée aux médecins-chefs des régions du pays, il est indiqué : ''La première phase sera mise en œuvre sur toute l’étendue du territoire, du 1er octobre au 31 décembre 2013, selon des modalités suivantes : exemption de paiement de tickets de consultation et de vaccination au niveau des postes de santé publics ; exemption de tickets de consultation, de vaccination et d’hospitalisation pour une durée maximale de 7 jours au niveau des centres de santé publics ; exemption de paiement du ticket de consultation pour les urgences et les cas référés des hôpitaux publics.''
Fatou Seck, elle, est en train de bercer sa fille. Cette mère de famille au teint dépigmenté est sur les nerfs. ''Je fais la navette depuis hier (mardi, Ndlr). Jusqu'à présent mon bébé n'est pas pris en charge. Je ne sais pas s'ils font les choses par copinage, mais je n'ai rien compris. Quand j'ai lu la banderole, je me suis directement adressée à une infirmière. Mais elle m'a dit que cette gratuité ne concernait pas tous les enfants'', explique Fatou. Elle dit avoir son ticket de consultation à 4 000 francs et que sa fille n'était pas encore consultée. ''Nous n'avons rien compris. Cette gratuité ne peut pas l'être pour une seule partie. C'est de la discrimination et de l'injustice'', dénonce-t-elle.
N'en pouvant plus, Ndèye Khady Kane préfère aller dans un autre hôpital. ''C'est vraiment flou et bizarre tout cela. Je suis vraiment fatiguée. Nous avons tous entendu le ministre de la Santé et le président de la République dire que les enfants de 0 à 5 ans seront traités gratuitement dans les hôpitaux. Pourquoi on veut nous faire payer aujourd'hui ? Je préfère aller ailleurs'', fulmine Mme Kane, son enfant sur le dos.
Seuls ''les urgences et cas référés'' concernés
Selon le chef de service social d'Albert Royer, Mansour Dieng, ''seuls les urgences et cas référés sont exemptés de payer le ticket de consultation dans les hôpitaux publics. Cela ne concerne pas les radios et autres services. Si l'enfant qu'on a amené ne présente pas de cas particulier, le parent doit payer le ticket de consultation. Parce que l’hôpital n'a pas les moyens pour laisser tout le monde se faire consulter sans payer et la circulaire est claire''.
D'après M. Dieng, le dispositif d’accueil a été renforcé pour une meilleure prise en charge des patients. ''Dès que le malade arrive, on le constate sur place. Si c'est un cas référé ou à prendre en urgence, il ne paie pas le ticket pour la consultation, c'est ainsi que les choses se passent'', explique-t-il.
S’agissant en outre de l'hospitalisation, Mansour Dieng soutient que cela ne concerne que les centres de santé publics. ''C'est dans les centres de santé publics où le patient est exempté de payer le tickets d'hospitalisation pour une durée de 7 jours. Nous, nous sommes un hôpital public, donc cette patiente (la dame Mame Diarra Ndongo citée ci-dessus, Ndlr) doit payer avant de sortir'', a-t-il précisé.
De l'avis de M. Dieng, l'État veut aller loin dans cette couverture maladie universelle mais il faut des moyens : ''On est au début de la première phase et l’État a annoncé des mesures d'accompagnement pour réaliser cela'', espère-t-il.