Les ménagères ne savent plus où donner de la tête
En ce début du mois de ramadan, les ménagères peinent à trouver leur bonheur dans les marchés. Tous les ingrédients ne sont pas réunis pour concocter un bon « ndogu ». Entre la cherté du prix des légumes, de la viande et du poisson, clients et commerçants préfèrent rester optimistes pour les jours à venir.
Aïssatou tourne en rond dans le marché de Gueule Tapée. Elle jette des regards furtifs dans tous les sens. Dans son ensemble wax, elle ne tient plus sur ses jambes et des questions se bousculent dans sa tête. L’habitante de la Médina se demande comment se débrouiller pour remplir le bol du soir avec un repas copieux et bien garni. Depuis ce matin, elle a fait trois fois le tour du marché sans trouver son bonheur. La taille moyenne, le teint détérioré par les séquelles de la dépigmentation, cette mère de famille n’a que ses yeux pour constater la cherté des prix. «J’ai démarré par ce marché, mais le poisson était inaccessible. Je suis partie à Tilène où j’ai fait le même constat. Et là, je suis revenu au point de départ », déclare-t-elle un brin d’espoir dans la voix. Pour Aïssatou, la journée est loin de s’estomper, la recherche du poisson continue. Elle ne désespère pas. «Si je n’en trouve pas dans les marchés, j’irai au bord de la mer, attendre le retour des mareyeurs pour avoir du poisson frais et à moindre coût», déclare-t-elle, les yeux rivés sur un étal de légumes.
A l’instar d’Aïssatou, le premier jour du ramadan a été compliqué pour les ménagères. A Gueule-Tapée, le marché manque d’animation, les allées sont vides. En début d’après-midi, le souk se désemplit petit à petit. Les fidèles baissent store pour quelques minutes et se préparent à sacrifier à la prière du premier vendredi du mois béni de Ramadan. Cette atmosphère morose contraste de loin avec la cherté notée sur certaines denrées indispensables à la préparation d’un bon « ndogu » (repas de rupture du jeûne). Le constat est le même dans quasiment tous les marchés, les prix du poisson, des légumes et même de la viande ont flambé. Chez les clients, on rouspète, on marchande et quelquefois, on passe devant la résistance des vendeurs. Pour Fatoumata, une détaillante de légumes, cette situation est indépendante de leur volonté. « Les prix ont augmenté auprès de nos fournisseurs. On ne peut qu’appliquer les nouveaux tarifs », déclare-t-elle, avec un haussement des épaules.
Quelques heures plus tôt, l’ambiance était tout autre au marché de Tilène. Le brouhaha était assourdissant, rythmé par le klaxon des voitures et le vrombissement des moteurs. Les ménagères se bousculaient dans les étroites allées à la recherche de condiments frais. Parmi elles, Khadija, la vingtaine, drapée d’une longue robe rouge au motif de petit pois. La voix douce, le commerce facile, la jeune femme est tenaillée par la hausse du prix des légumes. «Depuis quelque temps, le marché est impraticable. Les poissons et les légumes sont chers. On se débrouille avec la dépense quotidienne pour remplir le panier, mais c’est insoutenable », explique-t-elle, le sourire en coin. Les explications de Khadija sont étayées par Coura, une vendeuse de légumes établie à quelques pas. «Le sac de Carotte est actuellement vendu à 50 000 F CFA. Auparavant, on l’achetait à 10 000 F CFA, tandis que le manioc est à 30 000 F CFA. C’est ce qui impacte sur le prix des détaillants», argumente-t-elle sans quitter ses marchandises des yeux.
Du côté des vendeuses de poissons, on déploie tous les moyens pour attirer la clientèle. On hèle avec des mots tendres : « chérie, viens voir ma marchandise. » On propose de bonnes affaires par-là : «Je t’en rajoute une de plus en cadeau. » Malgré toutes ces stratégies, les ventes tournent au ralenti, à cause des prix exorbitants. Chez les commerçants, on se dédouane et s’explique : « La caisse du gros poisson est acquise à 80 000 F CFA, alors qu’on l’avait à 20 000 F CFA. Aujourd’hui, le tas de quatre poissons est vendu à 2000 francs. Pour le petit poisson ou «yaboye », la caisse est vendue à 12 000 F CFA, à la place des 7 000 F CFA, et le tas à 500 FCFA, au lieu de 300 FCFA».
«On vend à perte pour ne pas rentrer avec nos marchandises»
Au marché Castor, en fin d’après-midi, le ramadan fait son effet. Les vendeurs se tournent les pouces devant leurs marchandises. Certains somnolent, d’autres sont tenaillés par la faim. Les plus pieux tiennent un exemplaire du Coran entre les mains ou écoutent des sermons ou des chants religieux. Fatima, vendeuse de poisson frais, tente de se mettre à la place des consommateurs. Pour cette jeune dame, la priorité est d’écouler ses marchandises, pour ne pas rentrer avec. «Ce matin, je vendais mon poisson à 4 500 F CFA, le tas. Mais, depuis un moment, j’ai cassé le prix pour finir mon produit. Actuellement, je le vends à 3000 F CFA. Les temps sont durs et les clients n’ont pas d’argent, en plus, le mois est creux.»
Du côté des vendeurs de viande, la situation est la même. De 2 500 F CFA, le kilogramme est passé à 2 800 F CFA. Ils tentent néanmoins de se justifier : « Il n’y a pas de bœufs au Sénégal. Les bêtes nous viennent de la sous-région. Ils parcourent toute une chaîne avant de nous parvenir, c’est ce qui explique cette cherté.» La taille longiligne, le teint noir, Mamadou est revêtu d’un Lacoste jaune ; réticent au début, il se laisse entraîné crescendo : «La vente ne marche plus comme avant, et actuellement, on est en fin de journée, nous sommes obligés de vendre à perte, pour ne pas rentrer avec la viande. » Par ailleurs, la pomme de terre et l’oignon ont également connu une légère hausse. Et pour les épices (ail, poivre, piment sec), on diminue la quantité pour le même prix. Toutefois, clients et commerçants gardent espoir de vivre des meilleurs jours durant ce mois béni.
HABIBATOU TRAORE (Stagiaire)