“Les affaires africaines ne sont pas (...) prises en compte dans les priorités européennes”
Grand sourire, poignée de mains franche. C'est l'accueil qu'Henri Malosse, porté à la tête du Comité économique et social européen (CESE*) depuis le 17 avril 2013, a réservé à EnQuête dans ses bureaux de Bruxelles. Premier Français à occuper le poste de président de cette institution, ce natif de Montpellier aux parents corses, simple et sympathique, est reconnu pour son engagement citoyen, en plus d'être un passionné de l'Afrique. Un continent avec lequel il souhaite que l'Europe établisse un partenariat égal, et pour lequel il recommande une meilleure prise en compte des dynamiques sociales dans les programmes de développement le concernant.
Les élections européennes, c'est ce dimanche, dans un contexte de forte montée des extrémistes. Ne craignezvous pas que les partis de l'extrême droite ne remettent en question tous les acquis et toutes les valeurs de solidarité et d'aide à l'Afrique, notamment ?
Non ! Du moins je ne l’espère pas. Quel que soit leur degré d'influence dans une situation de crise favorisant l'émergence de certaines formes d'euroscepticisme, nous devons combattre toutes formes de discours racistes ou xénophobes. Ils vont à l’encontre des valeurs européennes du vivreensemble et du respect mutuel. Je pense que les partis pro-européens - qui sont quand même majoritaires - pourront s’allier et barrer la route aux extrémistes de tous bords. Rien ne devrait empêcher que l'Europe reste en phase avec ses valeurs. Rien ne doit la détourner de sa volonté de continuer à s'occuper du développement des pays les moins nantis et en premier lieu, l'Afrique.
Le Comité économique et social européen est en quelque sorte le “bras civil” de l’Union européenne. Qu'entendez-vous par société civile ?
Il est vrai que le terme n'est pas toujours utilisé à bon escient et il y en a même qui l'empruntent pour désigner tout simplement les gens de la rue, avec tout ce que cela recouvre de péjoratif. C'est pourquoi nous, au CESE, nous disons “société civile organisée”. Cela concerne l’ensemble des organisations - quelles que soient leurs dénominations - où les membres représentent les citoyens par leur fonction ou par leur engagement social, et non par leur opinion politique. Je pense ici aux travailleurs, aux agriculteurs, aux chefs d’entreprise, aux ONG, aux associations familiales… Cette précision étant faite, j'adhère complètement à la formule qui consiste à présenter notre institution comme étant le bras civil de l'Union européenne.
Quels rapports entretenez-vous avec les conseils économiques et sociaux, voire environnementaux existant en Afrique francophone, comme au Sénégal et au Mali ?
Le CESE entretient avec les autres Comités économiques et sociaux des rapports à la fois très bons et très anciens. Mes premières fonctions, quand j'y suis entré il y a de cela une petite vingtaine d’années, consistaient à présider le comité de suivi UE-ACP. Nous l’avions mis en place avec les acteurs économiques et sociaux des pays ACP mais également avec les Conseils économiques et sociaux des pays que vous avez mentionnés. Dans cette même logique, ma première initiative fut d’organiser un forum régional regroupant non seulement les organisations de la société civile présentes sur le terrain mais
également d'autres opérateurs issus des différents pays de l'Afrique de l'Ouest. Et c'est à Dakar, au Conseil économique et social du Sénégal, que nous nous étions réunis. C'est dire que nos relations ne datent pas d'aujourd'hui. Mieux, elles se sont renforcées grâce au mandat que l'Accord de Cotonou qui régit les relations de partenariat entre l'Europe et les ACP, a donné à notre institution. C'est sur la base de cet accord que le CESE organise de manière régulière des rencontres dans les diverses régions ACP.
Vous faites allusion aux séminaires régionaux des milieux économiques et sociaux que votre Comité organise alternativement dans les pays de l'UE et des ACP ?
Tout à fait. Je dois d'ailleurs souligner au passage que le concept de “séminaires régionaux” a été créé au sein du groupe de suivi UE-ACP que je présidais alors. Mais la chose la plus importante, c'est qu'on ait réussi, ensemble avec nos partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique, à faire de ces événements des plates-formes de réflexion et d'échanges sur des sujets d'intérêt commun. Notre dernière rencontre dans ce cadre remonte au mois de juillet 2013, et c'est encore la capitale sénégalaise qui a eu à abriter nos assises régionales.
Justement, la Déclaration finale qui a clôturé les travaux du séminaire régional de Dakar met l'accent sur le volet social, en insistant sur le renforcement des systèmes de protection sociale. Mais à part des pays comme le Sénégal – qui vient d'instituer la couverture maladie universelle - les régimes de sécurité sociale sont quasi inexistants sur le continent.
Il y a bien sûr l'expérience sénégalaise qui mérite d'être saluée. Le Ghana aussi a fait des choses intéressantes en la matière. Mais il faut reconnaître que, de manière générale, l'accès à la protection sociale reste problématique en Afrique. C'est un domaine qui comporte de multiples aspects qu'il n'est pas aisé de cerner dans les limites de cet entretien. Néanmoins, s'agissant de la couverture sociale en Afrique, la force de l’action du CESE serait de mettre le problème sur la table de sorte qu’il ne soit pas oublié dans les programmes de développement. Actuellement, ces programmes sont trop orientés vers le développement économique et ne tiennent pas suffisamment compte de la dynamique sociale. C'est cela qui, à mon avis, doit être corrigé. Sous ce rapport, notre rôle consistera de plus en plus à faire du lobbying, au sens dynamique du terme, et ce dans toutes les instances de décision. Ils'agit, in fine, de faire en sorte que le social fasse désormais partie intégrante des plans de développement pour l’Afrique.
Bruxelles a abrité en avril dernier le 4e Sommet UE-Afrique. Pensezvous avoir influé sur les décisions prises par les dirigeants européens et africains ?
Ce sommet était important en ce sens qu'il a permis de relancer, je dirais même réorienter le partenariat entre les deux continents. Il y avait plusieurs thèmes de discussions, tous aussi importants les uns que les autres, même si les questions de sécurité semblent avoir largement dominé les débats. Sans doute à cause des situations de crise qui se sont multipliées ces derniers temps en Afrique et notamment au Mali et en Centrafrique. Notre comité a aussi été très attentif sur la question des accords de partenariat économique (APE) entre l'UE et la zone Afrique. Au cours de nos différentes réunions, nous avons toujours insisté sur le fait que les APE devaient contribuer à l'intégration économique régionale, avec comme finalité le développement au bénéfice de l'ensemble des populations africaines. Nous avons surtout rappelé la nécessité d'impliquer les organisations de la société civile dans tout processus de négociations.
Et maintenant ?
Maintenant, l'heure est à l'examen de l'ensemble des résultats auxquels nous sommes parvenus à l'issue de la rencontre des Chefs d'Etat et de gouvernement européens et africains. Nous sommes à présent en plein dans la phase d'évaluation post-sommet afin de déterminer l'impact des recommandations émanant de la société civile. Avons-nous été entendus ? Des réponses précises sont attendues sur toutes ces interrogations, quelles que soient leurs complexités. Je peux simplement exprimer un point de vue personnel qui va au-delà d'un sommet - qui avait entre autres particularités de susciter la réflexion sur la relation Europe-Afrique.
Quel est ce point de vue ?
Mon constat est que, globalement, les affaires africaines ne sont pas suffisamment prises en compte dans la grille des priorités au sein des institutions européennes et je ne peux que le regretter. Il y a loin de la parole aux actes. Dans le discours que j'ai tenu le 9 mai dernier, jour de la fête de l'Europe, je rappelais une des six leçons de la Déclaration de Robert Schumann qui est l'acte fondateur de l'Union européenne. Le point numéro 6 dit textuellement ceci : “l'Europe doit s'occuper du développement de l'Afrique”. C'est court, mais dans le contexte de l'époque, et encore maintenant, le propos permet d'espérer de nouvelles perspectives. Aujourd'hui, le continent africain n'est certes pas abandonné à son sort, mais les promesses qui lui sont faites ne sont pas toujours suivies d'effets concrets.
Que préconisez-vous alors pour remédier à cette situation ?
Mon ambition est de refaire de l’Afrique une grande priorité de l'Europe. Parce que c’est le continent qui bouge le plus, notamment avec un potentiel de croissance fort. C'est aussi un continent qui nous est proche historiquement et culturellement. Ce qui me préoccupe est la chose suivante : est-ce que nous voulons laisser l'Afrique entre les mains de puissances qui sont de nouvelles puissances colonisatrices sans être de grands exemples en matière de démocratie et de respect des droits humains ? Or, ce sont justement ces valeurs prééminentes qui sont inscrites dans l'article 21 du Traité de Rome. Pour toutes ces raisons, et pour bien d'autres encore, nous devons nous intéresser à tout ce qui se passe en Afrique. En commençant d'abord à la traiter comme un partenaire égal.
Comment traduire ces belles paroles en actes pour ne pas rester dans le voeu pieux ?
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un voeu pieux. En tout cas, telle n’est pas ma vision des choses. C'est une conviction qui est profondément ancrée en moi et qui remonte à la période où j'étais jeune stagiaire à la Commission européenne. Nos maîtres à penser étaient alors Claude
Cheysson, Edgard Pisani, les précurseurs incontestables de ce qu'on appelle depuis la Coopération au développement. Le développement du continent africain était toujours au coeur de leurs préoccupations. Je souhaite pour ma part, dans la deuxième année de ma présidence au CESE - que j'entame maintenant - mettre le curseur sur l'Afrique. Je vais d'ailleurs me rendre au mois de juin prochain en Afrique du Nord et précisément en Algérie à l’invitation de son Conseil national économique et social. Mais je ne compte pas m’arrêter là et je souhaite rendre visite dans d’autres pays de l'Afrique où les Conseils économiques et sociaux jouent un rôle déterminant.
* Institué en 1957 par le traité
de Rome, le CESE est une institution
consultative, établie à Bruxelles,
au quartier Schumann, point de
concentration des institutions
européennes. Il compte 353 membres.
PARTICULIÈRE, BRUXELLES)