Publié le 28 Jun 2024 - 09:55
IMBROGLIO AUTOUR DE LA DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE (DPG)

Grand oral, multiples controverses

 

La polémique autour de la tenue de la déclaration de politique générale d’Ousmane Sonko n’est pas loin de s’estomper. En effet, selon les détracteurs du chef de Pastef, Ousmane Sonko refuse de se conformer à ce rituel républicain de manière anticonstitutionnel, tandis que les partisans du leader de Pastef soulignent un dysfonctionnement du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, à la suite de la suppression du poste de Premier ministre, entre le 14 mai 2019 et le 17 septembre 2022.

 

Le discours de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko devant le Parlement continue d’alimenter les débats dans les chaumières.

En effet, beaucoup de contempteurs du chef du gouvernement accusent le patron de Pastef de violer la Constitution, notamment l’article 55 qui indique : ‘’Après sa nomination, le Premier ministre fait sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier ministre, donner lieu à un vote de confiance ou à une motion de censure.’’ 

Mais pour les députés de Yewwi Askan Wi (YAW), les nouvelles dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne font pas état d’une obligation au Premier ministre de faire son DPG dans un délai de trois mois après sa nomination.  Ayib Daffé, le président du groupe parlementaire YAW, a déclaré avant-hier, lors d'une conférence de presse, qu’aucune disposition dans le règlement intérieur de l'Assemblée nationale ne permet de préciser les modalités d'organisation et de tenue d'une déclaration de politique générale du Premier ministre, ni d'une motion de censure ni d'une question de confiance. Car la dernière modification de leur règlement intérieur date d'octobre 2019, motivée par la suppression du poste de Premier ministre, a par la même occasion, supprimé du règlement toutes les dispositions concernant le chef du gouvernement.

Ainsi, renseigne-t-il, "l'article 3 de cette loi d'octobre 2019 stipule qu'au titre III sont abrogées les dispositions des articles 97, 98 et 99. En conséquence, sont supprimés les chapitres 22, 23 et 24 du règlement intérieur".

Cette sortie a fait réagir plusieurs acteurs de la scène politique. Thierno Bocoum, président du mouvement Agir, dénonce de fortes contradictions dans les rangs de Pastef.  D’après l’ancien responsable de Rewmi, les députés de Pastef sont prêts à se plier au débat d’orientation budgétaire, ce samedi 29 juin 2024, qui n’est pas prévu par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, alors qu’ils ont brandi cet argument pour “légitimer” le fait qu’Ousmane Sonko ‘’refuse’’ de se soumettre au rituel de la déclaration de politique générale (DPG).  ‘’Ni le délai ni les modalités d’organisation n’ont été prévus dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale applique cette disposition de la loi sans l’inscrire dans son règlement intérieur’’, affirme-t-il.

Même son de cloche chez Bougane Guèye Dany, président du mouvement Gueum Sa Bopp. Il indique que le chef du groupe parlementaire YAW veut légitimer une forfaiture en convoquant ce même règlement intérieur pour tirer d’affaire un Premier ministre qui, en vérité, ‘’n’a pas de projet de gouvernance à défendre’’.

Aux yeux de Thierno Alassane Sall, ‘’cette obligation constitutionnelle (DPG) n'a pas besoin d'être enserrée dans des délais’’. Il s’explique : ‘’Le Premier ministre doit faire sa déclaration de politique générale avant que le gouvernement ne pose des actes dans le sens de l'exécution d'un quelconque programme et il va sans dire que c'est déjà le cas. Invoquer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour se dérober à une disposition constitutionnelle n’est franchement pas le chemin de la rupture. Le nouveau régime est, d’abord, attendu dans le respect scrupuleux de la Constitution et la reconstruction des institutions abîmées. Cela ne demande ni financement ni ressources. Sauf celles que l’on doit avoir en propre : se mettre à la hauteur de l’histoire et garantir une gouvernance démocratique’’.

Des opposants à Pastef qui ont aussi mis en avant la jurisprudence Amadou Ba, qui s’est plié à cet exercice moins de trois mois après sa nomination comme Premier ministre en décembre 2023. Une séance qui a été marquée par le rejet de la motion de censure déposée par YAW contre le gouvernement du Premier ministre Amadou Ba par la coalition Benno et l’abstention du groupe Wallu Sénégal dirigé par le PDS. 

Ce à quoi Ousseynou Ly, ministre conseiller, porte-parole de la présidence, répond : ‘’Face à la pertinente question du règlement intérieur ‘falsifié’ de l’Assemblée nationale, voilà qu’ils n’arrivent toujours pas à entretenir un débat de fond en donnant une réponse technique fondée sur le droit. Et comme toujours quand Pastef pose des questions pertinentes, on répond par la calomnie.’’

Il poursuit : ‘’Hier, c’est Pastef qui avait dénoncé la fausseté du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; aujourd’hui encore, c’est Pastef et ses alliés qui le dénoncent. C’est ça qu’on appelle constance dans les positions. Celles qui nous ont valu la confiance des Sénégalais depuis le 24 mars.’’

Le porte-parole de persifler : ‘’Quand l’argument est béton, en face on bétonne les insultes. Sonko a peur ! Ah oui ? Comment ça ? Parce qu’il y a eu un Ousmane Sonko seul contre tous à l’an de 2017 à 2022. Et pourtant, ses pertinentes interpellations et cours magistraux du haut du perchoir donnaient des crampes à un gouvernement entier et à un ancien président de la République qui finit par se réveiller de son sommeil de lion pour s’en prendre à lui et à son parti avec toute la puissance d’État’’.

Ainsi, Ousseynou Ly assure que le Premier ministre Ousmane Sonko se présentera devant les députés, dès que le règlement intérieur de l’Assemblée nationale sera adopté conformément à la Constitution.

En attendant, Babacar Ba, président du Forum du justiciable, indexe, lui, l’Assemblée nationale qu’il invite à ne plus être une zone de non-droit. ‘’L'Assemblée nationale ne peut pas continuer à fonctionner sur la base d'un règlement intérieur qui n’est pas conforme à la Constitution.  L'Assemblée nationale doit se conformer à la Constitution et aux lois de la République. Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale doit être modifié pour permettre au Premier ministre de faire sa déclaration de politique générale en toute légalité’’, indique-t-il. 

La suppression du poste de Premier ministre par Macky Sall

En effet, la suppression du poste de Premier ministre par Macky Sall (fonction abolie du 14 mai 2019 au 17 septembre 2022) avait conduit à l'abrogation de certains articles du règlement intérieur de l'Assemblée nationale, y compris la règle pour le Premier ministre de faire sa DPG, trois mois après sa nomination. 

Selon Meissa Diakhaté, agrégé en droit, à travers l’adoption de la loi n°2019-14 du 28 octobre 2019 modifiant et complétant la loi organique n°2002-20 du 15 mai 2002 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale modifiée, l’Assemblée nationale a abrogé, tirant les conséquences de la suppression du poste de Premier ministre en 2019, l’article 97 (chapitre 22 : Déclaration de politique générale), l’article 98 (chapitre 23 : Questions de confiance) et l’article 99 (chapitre 24 : Motion de censure) de sorte que la version officielle du RIAN ne comporte plus aujourd’hui de dispositions concernant l’engagement de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, renseigne-t-il. D'autant plus que la Constitution fixe la déclaration de politique générale ; elle ne spécifie aucune date pour la tenue de la DPG du Premier ministre.

La motion de censure, une arme à double tranchant pour la majorité parlementaire

Toujours d'après le juriste, la déclaration de politique générale peut entraîner la démission du gouvernement, soit à l’initiative d’un dixième des membres composant l’Assemblée nationale (17 députés signataires) à travers le vote d’une motion de censure. Le vote de la motion de censure ne peut intervenir que deux jours francs après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale. Elle est votée au scrutin public, à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure. Si la motion de censure est adoptée, le Premier ministre remet immédiatement la démission du gouvernement au président de la République.

Néanmoins, ajoute-t-il, l’arme de la motion de censure peut se retourner contre la majorité parlementaire issue de Benno Bokk Yaakaar. ‘’Car en mi-septembre 2024, soit à l’expiration des ‘deux premières années de la législature, le président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et celui du président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale (…). Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu 60 jours au moins et 90 jours au plus après la date de publication dudit décret’’, renseigne l’enseignant-chercheur en droit public.

Surtout que, même si une motion de censure venait à faire tomber le gouvernement d’Ousmane Sonko, le dernier mot reviendrait au chef de l’État qui pourrait, dans la foulée de renouveler sa confiance au gouvernement strictement composé à l’identique, c’est-à-dire sans aucun changement. Il s’agirait d’une simple reconduction du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d’État.

Par conséquent, la destitution du gouvernement par la censure d’une politique générale est sans effet utile. ‘’Le gouvernement est politiquement désavoué, mais sa survie n’est pas juridiquement compromise’’, conclut l’universitaire.

MAMADOU MAKHFOUSE NGOM

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