Les ex-députés ne payaient pas d’impôts
Au plan opérationnel, les députés de l'ex-majorité présidentielle traînaient déjà une réputation peu glorieuse. On apprend aujourd'hui qu'en plus de cela, ils ont également été de très mauvais citoyens en matière fiscale. La rupture s'impose plus que jamais.
Rupture. C’est le mot le plus usité avec la nouvelle Assemblée nationale installée avant-hier. Une rupture attendue par toute la population. Mais très attendue aussi et surtout par les services des Impôts et des Domaines. Selon nos informations, les députés de la Législature sortante se sont distingués par un incivisme fiscal notoire car leurs salaires n’étaient pas imposés. En effet pour le député simple, le président de commission ou le vice-président, les émoluments perçus étaient respectivement de 1,3 million, 1,6 million et 2 millions de francs Cfa sur lesquels le fisc ne percevait rien. Ceci est également valable pour les membres du Sénat. En clair, les parlementaires refusent de payer l’impôt sur le revenu (IR).
Ce que certains des ex-députés ont confirmé quand EnQuête les a interrogés. ‘’J’avais 1,3 million de francs Cfa de salaire net à chaque mois’’, dit l’un d’eux, sous couvert de l’anonymat. Un autre, ayant fait deux mandats à l’Assemblée nationale, ajoute : ‘’C’est une pratique consacrée. Les salaires des députés ne sont pas imposés. Durant mes deux mandats, j’ai toujours reçu dans mon compte l’intégralité de mon salaire’’.
Et pourtant, les initiatives des fonctionnaires de la Direction générale des impôts et des domaines (DGID) pour amener les parlementaires à payer leurs impôts, n’ont jamais manqué. EnQuête a ainsi appris que ‘’toutes les voies de recours’’ ont eu à être exploitées par les services de recouvrement des impôts. Sans succès. ‘’Tout ce qui nous était permis de faire, nous l’avons fait. Mais les députés refusent catégoriquement de payer leurs impôts’’, assure un interlocuteur à la DGID. ‘’A chaque fois qu’une action était en cours, les députés n’hésitaient pas à faire dans la menace auprès du ministre des Finances d'alors (Abdoulaye Diop), lequel nous demandait ensuite de laisser tomber’’, renchérit notre interlocuteur. En effet, des menaces de boycott du budget à voter étaient brandies, d’après nos interlocuteurs. Ces derniers espèrent que les nouveaux élus du peuple s’acquitteront de leurs impôts comme tout travailleur.
Des détails qui font sourire
Mais pour Amadou Ndiaye Lô, ex-député également, les salaires des parlementaires sont effectivement imposés. D’après ce responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS) à Kolda, ‘’quel que soit le salaire du député simple (1,3 million), du président de commission (1,6 million) ou du vice-président (2 millions), il y a exactement 42 700 francs Cfa qui s’y ajoutent et qui font l’objet d’une retenue’’. Et M. Lô de détailler cette retenue : ‘’800 francs Cfa pour le minimum fiscal, 5 900 francs Cfa pour l’Impôt sur le revenu et 36 000 francs Cfa pour la retraite parlementaire’’.
Ce qui ne manque pas de faire sourire les experts des Impôts qui trouvent ‘’dérisoires’’ les 5 900 francs retenus comme impôts sur le revenu sur les émoluments des parlementaires. ‘’C’est très loin du barème’’, font savoir nos interlocuteurs. En effet, ce barème, disponible sur le site web de la DGID, fixe le montant de l’IR en fonction du salaire. Pour un député simple (avec 1,3 million de salaire), selon qu’il soit célibataire ou en charge des épouses et des enfants, ses impôts devraient tourner entre 440 345 et 296 183 francs Cfa. Pour un président de commission émargeant à 1,6 million de francs Cfa, ses impôts devraient être établis entre 574 908 et 389 787 francs Cfa. Et pour le vice-président, ils devraient être compris entre 760 660 et 516 545 francs Cfa.
Il faut signaler que les parlementaires se sont toujours mis en marge du civisme fiscal. L’on se rappelle qu’en 2008, au plus fort des crises alimentaire et pétrolière, le président Wade avait initié une loi pour ponctionner de 30% les salaires des ministres, députés, sénateurs, directeurs de société et d’agence en vue d’alimenter un fonds de compensation de la hausse des prix. Mais 11 mois après ces ponctions, une autre loi était venue restituer les fonds ponctionnés.
BACHIR FOFANA