La malédiction Cese !
Avec un budget qui tourne annuellement autour de 7 milliards F CFA, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), pour beaucoup de Sénégalais, est juste une institution de plus qui ne sert qu’à caser une certaine clientèle politique. Pourtant, de par sa riche composition, l’institution a tout pour être un excellent levier de développement.
Des quatre institutions que compte la République, c’est sans doute la plus instable. Dans un intervalle de moins de cinq ans, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) aura connu quatre présidents, soit en moyenne un peu plus d’un an pour chaque président.
Si la première présidente, Aminata Tall, a réussi la prouesse de passer environ sept ans à la tête de l’institution, aucun de ses successeurs n’aura réussi à atteindre la barre des deux ans de longévité. Alors qu’Aminata Touré a été nommée en mai 2019 pour être limogée en novembre 2020, soit 18 mois. Pour sa part, Idrissa Seck a été nommé en novembre 2019 pour être limogé après seulement 17 mois.
Il cède ainsi le poste à Abdoulaye Daouda Diallo, dont l’horizon semble être fixé à la prochaine Présidentielle, à moins que le régime actuel rempile et continue de le maintenir.
Ainsi, l’institution subit de plein fouet les soubresauts au sommet du régime. Ce qui pourrait être de nature à conforter ceux qui pensent que le Conseil économique, social et environnemental n’est en fait qu’un machin budgétivore dont la vocation principale serait de caser une certaine clientèle politique.
Membre de l’ancien Cese, Momar Ndao botte en touche les accusations : ‘’D’abord, il faut savoir que le conseil est organisé de telle sorte que ce sont les commissions qui font le travail. Chaque commission présente son rapport en plénière et c’est la synthèse de ces rapports qui sera présentée comme le rapport général. Et les membres de ces commissions sont là ès qualités. Ils savent très bien de quoi ils parlent. Il n’y a donc pas beaucoup de risques à ce niveau, par rapport à l’instabilité au niveau de la direction.’’
Selon lui, on ne peut pas réduire le Cese à une simple institution de plus avec pour vocation de recaser une clientèle. Pour lui, la loi instituant le conseil a déjà réglé le problème. D’abord, les conseillers sont issus des différentes organisations socioéconomiques. Lesquelles font des propositions au président de la République qui les entérine. ‘’Il y a les personnes qualifiées désignées en fonction de leur expertise dans les domaines sur lesquels travaille le conseil. Tous les autres sont des représentants désignés par leurs propres structures. Et le président ne fait qu’entériner les choix de ces organisations qui sont représentatives de la société. Par exemple, si la structure a un représentant, elle propose deux noms au président qui va choisir entre les deux. Si la structure a deux représentants, elle propose quatre noms… C’est pourquoi on ne peut pas dire que c’est une institution clientéliste’’.
Momar Ndao, ancien membre du Cese : ‘’On peut souhaiter une plus grande prise en charge des recommandations du Cese’’
Sur le site de l’institution, il est indiqué, avec plus de précision, que le Conseil économique, social et environnemental est composé de 120 membres, dont 48 sont issus des organisations socioprofessionnelles ; 32 personnalités qualifiées et 40 membres associés, tous de profils divers et variés. Troisième assemblée constitutionnelle, il peut être saisi soit par le président de la République, soit par l’Assemblée nationale, soit par le Premier ministre de demandes d’avis ou d’études. La question qui se pose est dans les faits. Est-ce que l’institution est suffisamment saisie par les organes susmentionnés, en dehors des matières sur lesquelles sa saisine est obligatoire, en l’occurrence les projets de loi de programme et de plan à caractère économique, social ou environnemental ? Si elle est suffisamment saisie, est-ce que ses conclusions sont correctement prises en charge par l’Exécutif ?
À entendre Momar Ndao, il serait difficile de donner une réponse tranchée à certaines interrogations. En fait, souligne-t-il, il n’y a pas de copier-coller des rapports ou recommandations du conseil. Il peut arriver, par exemple, que certains aspects des travaux du Cese soient mis en œuvre.
Ancien président de la Commission santé et actions sociales, le président de l’Ascosen se souvient de travaux de haute facture qui ont été faits dans certains domaines, notamment l’accès aux soins de santé pour les populations, la perception de l’hôpital public par les usagers, l’évaluation de la réforme hospitalière, le système d’organisation du territoire, le financement des infrastructures, la crise de la pêche… ‘’Nous avons même eu à faire un rapport sur les inondations. Par exemple, si les conclusions des rapports sur les inondations avaient été prises en compte de manière optimale, on aurait résolu une grande partie de la problématique. C’est des travaux de très grande qualité, parce que le conseil regorge de compétences’’.
Qu’en est-il alors du double emploi des maigres ressources du pays ? Les conseillers ne sont-ils pas payés à reproduire le même travail fait par d’autres démembrements de l’État ? Est-ce qu’il y a une certaine circularité de l’information entre l’assemblée consultative et les exécutants ou décideurs ? Pourquoi, par exemple, les recommandations sur les inondations et d’autres qui souffrent dans les tiroirs ne sont pas prises en compte de façon optimale ?
Si l’on en croit l’ancien conseiller, il y a un avantage certain à accorder de l’intérêt aux travaux du Cese. ‘’L’avantage du Cese, c’est que c’est des gens qui ne gèrent pas la chose. Par exemple, si vous voulez faire un rapport sur la santé, si vous êtes en même temps celui qui gère le secteur, le diagnostic peut être biaisé. En revanche, si on est externe, on apporte un œil neuf. Et pour ce faire, le conseil va auditionner tous les acteurs concernés, que ça soit les acteurs institutionnels ou non institutionnels. C’est sur la base de ces expertises que le conseil fait ses recommandations’’, plaide le consumériste, tout en souhaitant ‘’une plus grande prise en charge des conclusions et des avis du Cese. ‘’Ce serait une très bonne chose, clame-t-il. Si vous regardez la qualité des travaux, vous vous rendrez compte qu’il y a beaucoup de choses importantes qui sont proposées et qui pourraient servir à une meilleure gouvernance. Sur tous les sujets’’.
Cheikh Bassirou Dieng, proche d’Aminata Touré : ‘’Le problème du Cese, c’est Macky Sall…’’
Bel outil du point de vue des textes qui le régissent, le Conseil économique, social et environnemental est, cependant, entravé dans son envol par un certain nombre de goulots. Le premier, si l’on en croit ce proche d’Aminata Touré, ancien chef de la Division de l’information, c’est le président de la République lui-même qui y nomme des gens, mais qui ferait de son mieux pour les empêcher de travailler.
‘’Le problème, c’est que le président Macky Sall ne prend pas au sérieux les institutions de la République. Pour lui, ce sont juste des parts de gâteau à partager. Il n’est pas intéressé fondamentalement par les résultats. Quant à Mme Touré, elle prenait son travail très au sérieux, ce qui certainement dérangeait le chef de l’État. Il voyait ce travail comme de l’activisme politique. Lui il vous nomme et ce qu’il attend de vous, c’est que vous ne fassiez rien comme la plupart de ses collaborateurs. Quand vous travaillez, il vous soupçonne de vouloir vous faire voir pour prendre sa place. C’est quand même un paradoxe’’.
Pour étayer son propos, le proche d’Aminata Touré donne un exemple : ‘’De ce fait, Mme Touré n’a pas pu faire tout ce qu’elle envisageait. Elle prévoyait, par exemple, des audiences populaires du Cese avec les jeunes, les femmes, les secteurs socioprofessionnels, sur leurs lieux de travail, pour recueillir leurs préoccupations et suggestions. Mais les faucons du palais voyaient ce travail comme une menace pour le président de la République. C’est la période où Mame Mbaye Niang attaquait Mme Touré publiquement’’.
Fervent défenseur de Mimi, Bassirou Dieng se dit convaincu que de tous les anciens, c’est son boss qui a eu le bilan le plus reluisant, malgré la courte durée de son ‘’mandat’’. ‘’Force est de reconnaître que l’impact du Conseil économique, social et environnemental a été mieux senti durant le passage de Mme Aminata Touré. Pour preuve, le nombre d’avis que le Cese a produit sous sa présidence et sur des thèmes d’intérêt majeur, alors qu’on était en pleine pandémie. On se souvient d’ailleurs du dernier avis sur la gestion de cette pandémie, avec des propositions objectives’’, soutient avec force Cheikh Bassirou Dieng.
Loin des polémiques entre présidents successifs de la troisième assemblée constitutionnelles et de leurs partisans, Momar Ndao, lui, plaide pour un renforcement du Cese d’une grande importance, mais aussi la vulgarisation de ses travaux.
‘’À mon avis, l’institution doit être davantage présentée au public. Il y a un travail très fouillé, très sérieux qui est fait là-bas. Avec des auditions des différents départements ministériels, des organisations des institutions, pour faire des rapports sur le fonctionnement de l’État en général. Ces travaux méritent d’être vulgarisés davantage. Parce que les Sénégalais n’ont pas une idée de ce qui se fait au niveau de l’institution. Ce qui nourrit certaines controverses’’.
MOR AMAR