Publié le 28 Aug 2022 - 21:05
INSTALLATION 14e LÉGISLATURE

L’épreuve du feu pour Benno Bokk Yaakaar

 

Avec juste un député de plus à l’Assemblée nationale, Benno Bokk Yaakaar n’aura aucune mainmise, ni sur le bureau ni sur les autres organes de l’Assemblée nationale. Pour le poste de président, rien n’est encore joué.

 

Depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, rarement, pour ne pas dire jamais le doute n’a autant plané sur la constitution du bureau de l’Assemblée nationale nouvellement élu. Jusque-là, rien ne filtre sur les tractations en cours au niveau des différentes coalitions, de la mouvance comme de l’opposition. Aucune des deux principales équipes (BBY et Yewwi-Wallu) n’a voulu, pour le moment, dévoiler sa tactique pour arriver à bout de l’adversaire. Une chose est sûre, chaque partie manœuvre ferme pour sortir victorieuse de ce duel épique qui s’annonce dans l’antre de la place Soweto, le 12 septembre prochain. Une date qui va sans doute entrer dans les annales de l’histoire politique du Sénégal. Elle pourrait aussi être assez illustrative de ce que va être le reste du second mandat du président de la République.

En attendant cette date fatidique, place à un mercato âprement disputé. Et les équipes ne semblent pas lésiner sur les moyens pour se renforcer. Si la mouvance présidentielle est connue pour sa stratégie très agressive, faite surtout de débauchages, l’opposition compte plutôt sur l’honneur et l’engagement de ses hommes pour ne pas céder face aux offres alléchantes.

Responsable de Yewwi Askan Wi, Aida Mbodj donne une idée de ce à quoi ressemble ce marché. Elle disait récemment : ‘’Ils sont en train d’aller dans les départements pour débaucher des députés de l’opposition. Farba Ngom est venu ici à Baba Garage avec son argent ; il a envoyé des émissaires avec pour objectif de lui démarcher Mame Saye (député proche de la responsable). Heureusement, ces derniers n’ont pas osé en parler à Mame Saye ; ils me l’ont dit… Quand je les ai entendus avec leur grande gueule crier urbi et orbi qu’ils ont la majorité, je pensais qu’ils allaient au moins avoir la décence de ne pas faire certaines bassesses. Mais ces gens n’ont même pas de vergogne. Ils sont prêts à tout...’’

En fait, pour la prochaine législature, Macky Sall a besoin de bien plus que ses 83 députés actuels pour être assuré de gouverner en toute sérénité. Ce qui passe d’abord et avant tout par un contrôle effectif des principales instances de l’Assemblée nationale, notamment le Bureau, la Conférence des présidents, certaines commissions essentielles. Mais, pour le moment, ce qui cristallise toutes les attentions, c’est qui sera le successeur de Moustapha Niasse à la tête de l’Assemblée nationale. Une équation à multiples inconnues. Même au sein des coalitions, la question fera l’objet d’âpres négociations.

Le président élu pour toute la législature, les autres pour un an

Il faut noter que le président a la particularité d’être le seul membre du Bureau qui va être élu pour toute la durée de la législature. Député ayant à son actif plusieurs législatures, Seydou Diouf revient sur ses prérogatives : ‘’Le président a surtout des attributions personnelles. Il a un pouvoir de direction des finances de l’Assemblée nationale ; il a aussi des prérogatives importantes en matière de sécurité, en particulier pour assurer un bon déroulement des travaux ; il a également des compétences diplomatiques, en matière de coopération parlementaire… Et depuis le référendum de 2016, le président a aussi une attribution de nomination de membres du Conseil constitutionnel (2 des 7 membres du Conseil : NDLR).’’

Voilà tout l’enjeu de la désignation du président de l’Assemblée nationale, d’autant plus qu’une fois choisi, on ne peut plus, en principe, y revenir, sauf si la 14e législature ressuscite la loi Sada Ndiaye qui, pour chasser Macky Sall, à l’époque président de l’Assemblée nationale, avait fait passer la durée de cinq à un an comme pour les autres membres du Bureau. Une loi modifiée et abrogée en 2015.

Au-delà du contrôle de la présidence, le combat va également se jouer sur le contrôle des différents organes de l’institution parlementaire. D’abord, c’est le contrôle du Bureau qui sera en jeu. Celui-ci comprend, outre le président : huit vice-présidents ; six secrétaires élus et deux questeurs. Il ressort de l’article 17 que le Bureau a tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée nationale et pour organiser et diriger tous ses services, dans les conditions déterminées par le règlement intérieur et par les textes subséquents. Il a des compétences au plan financier, administratif, mais aussi législatif.

C’est donc un organe incontournable pour contrôler l’Assemblée. Seydou Diouf précise : ‘’Le Bureau est un organe collégial de direction de l’institution parlementaire. Il a une mission générale pour régir le fonctionnement de l’Assemblée nationale. C’est par des arrêtés du Bureau que tout ce qui a trait au fonctionnement de l’Assemblée nationale est réglé. Au plan législatif, le Bureau est chargé du contrôle de la recevabilité législative des propositions de loi. C’est-à-dire que lorsqu’un député dépose une proposition, le Bureau est chargé non seulement de la recevoir, mais aussi d’examiner sa recevabilité juridique et financière. Parce qu’une proposition ne peut être faite, si elle aggrave la charge publique ; elle ne peut non plus être reçue, si elle porte sur une matière qui relève par exemple du domaine du règlement.’’

Au-delà du prestige, c’est le contrôle du budget de plus de 17 milliards et du fonctionnement de l’Assemblée qui sont en jeu

a priori, tout groupe parlementaire sait avant même le vote combien de représentants il aura dans le Bureau. ‘’En dehors du poste de président, les autres postes (vice-présidents, secrétaires élus et questeurs) sont répartis en fonction de la représentativité de chaque groupe, selon le système du quotient électoral. Ainsi, chaque groupe saura combien de vice-présidents il a droit, combien de secrétaires… Maintenant, par rapport à l’ordre –c’est-à-dire qui pour le poste de 1er vice-président, qui pour le 2e… Généralement, les groupes en discutent et conviennent d’un ordre. Il y aura ainsi une seule liste avec les candidats et leur poste. Dans la pratique, les gens trouvent des consensus, parce que cet ordre protocolaire n’est pas si important. C’est le même principe pour les secrétaires et les questeurs.’’

Il en résulte que, selon la configuration actuelle, aucune coalition n’est suffisamment forte pour avoir le contrôle sur cet organe. Tout devra se négocier.

En ce qui concerne les commissions, chacune va avoir quatre membres, exception faite de la Commission chargée des Finances qui a, en plus, le rapporteur général. Là également, chaque groupe parlementaire sait combien de commissions lui reviennent. D’où également l’importance des groupes parlementaires qui sont au cœur du fonctionnement de l’Assemblée nationale. ‘’Ce sont les groupes qui décident des débats ; ce sont les groupes qui pourvoient aux postes, même si les candidatures individuelles sont permises, mais ils n’ont aucune chance. Dans tout ce qu’on fait, ce sont les groupes qui prennent des décisions. Même quand il y a des missions, c’est en fonction de la configuration politique de l’Assemblée reflétée par les groupes’’, fait remarquer le leader du Parti du progrès et de la citoyenneté et membre de la coalition BBY.

Si les autres membres du Bureau sont élus sur la base d’un scrutin de liste et généralement sur la base d’un consensus, le président, lui, est élu au scrutin uninominal, à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si cette majorité n'est pas atteinte au premier tour du scrutin, il est procédé à un second tour, pour lequel l’élection est acquise à la majorité relative. Ce qui veut dire que si tous les élus se présentent le 12, il faudra 83 voix pour être élu au premier tour, autrement dit, la moitié des députés présents plus un. En cas de perte d’une seule voix, la mouvance présidentielle pourrait se retrouver au deuxième tour. Et comme pour ne rien arranger, il y a le mode du scrutin qui est secret, qui fait que le président de la République et chef de ladite mouvance a moins de marge de manœuvre.

Aucun groupe n’est suffisamment fort pour avoir un contrôle effectif sur les futurs organes

Pour le dépôt des candidatures, il doit se faire au plus tard une heure avant l’ouverture de la séance au cours de laquelle doivent avoir lieu les élections. Pour cette session de début de législature, c’est le plus âgé des membres présents sachant lire et écrire la langue officielle qui va assurer la présidence de la séance jusqu'à l'élection du président. Il sera assisté par les deux plus jeunes, sachant lire et écrire la langue officielle, pour assumer les fonctions de secrétaire. ‘’Aucun débat ne peut avoir lieu avant l'installation du Bureau définitif, sauf s’il porte sur des questions de procédure relatives à l’élection en cours. Il peut être demandé une suspension de séance. Le président de l'Assemblée nationale peut autoriser des explications de vote, après l'installation du Bureau définitif’’, prévoit le règlement intérieur.

Au-delà du président, du Bureau et des groupes parlementaires, l’une des instances les plus importantes de l’Assemblée nationale, c’est la Conférence des présidents, sans laquelle rien ne peut se faire. Elle comprend : le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale ; les 14 présidents de commission et le rapporteur général de la Commission en charge de l’Économie et des Finances, ainsi que les présidents de groupe parlementaire et du représentant des non-inscrits.

Monsieur Diouf revient sur ses prérogatives essentielles : ‘’La Conférence des présidents a pour mission essentielle l’organisation des travaux de l’Assemblée nationale et la fixation de l’ordre du jour. Elle est chargée d’affecter par exemple les différents textes qui arrivent aux commissions compétentes ; en plus de déterminer le calendrier de travail. C’est elle également qui fixe le temps de parole pour chaque séance et la répartition va se faire entre les sensibilités en fonction de leur représentativité.’’

Par ailleurs, l’autre question à enjeu, c’est la désignation des membres de la Commission de Comptabilité et de Contrôle chargée de veiller sur l’exécution du budget. Aux termes de l’article 31 du règlement intérieur, la Commission de Comptabilité et de Contrôle est chargée du contrôle, de la comptabilité et de la gestion des crédits inscrits au budget de l'Assemblée nationale. À cet effet, renchérit le texte, un rapport écrit portant notamment sur l'état des crédits et la situation des dépenses engagées doit lui être fourni par les questeurs, à la fin de chaque trimestre.

‘’La commission est habilitée à prendre connaissance des documents comptables correspondants ; elle dépose un rapport trimestriel et le compte annuel sur le Bureau de l’Assemblée nationale. Celui-ci doit en communiquer le contenu aux membres de la Conférence des présidents. La Commission de Comptabilité et de Contrôle, après rapprochement des comptes du trésorier avec la comptabilité tenue par les services de la Questure, rend compte à l'Assemblée, par écrit, au début de chaque session budgétaire, de l'exécution du mandat de contrôle qui lui est confié. Le compte définitif de chaque gestion est adressé par le président de l’Assemblée nationale au président de la Cour des comptes’’.

MOR AMAR

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