‘’Je ne me considère pas comme une femme, mais comme un citoyen qui a la volonté de bien faire’’
Les élections locales du 23 janvier dernier ont permis d’installer de nouveaux élus locaux. Parmi ces derniers, deux femmes, Sophie Gladima Siby et Tening Sène, ont remporté la compétition dans leurs communes respectives : Joal-Fadiouth et Ndiaganiao. Accordant à ‘’EnQuête’’ sa première sortie en qualité de maire de la commune de Ndiaganiao, la directrice de l’Agence nationale de l’aquaculture est revenue, dans cet entretien, sur son statut de femme et a décliné sa vision pour sa commune.
Vous êtes nouvellement élue maire de la commune de Ndiaganiao. Pourriez-vous nous présenter votre parcours professionnel et politique ?
Je suis une fille de Ndiaganiao, comme vous le savez : Sandock, plus précisément Ndorong. J’ai commencé l’école primaire à Ndiarao avant de faire le CEM de Ndiaganiao et après, je suis allée au lycée Demba Diop où j'ai eu mon Bac scientifique S2. Ensuite, j'ai fait la médecine vétérinaire pour devenir docteur en médecine vétérinaire en 2008. J’ai intégré l'Agence nationale de l'aquaculture la même année, comme chef de Division, la première division d'ailleurs à laquelle je devais donner un contenu.
Après quelques années, j'ai décidé, en tant que vétérinaire qui travaille dans le domaine de l'aquaculture, de me spécialiser. Ce faisant, j'ai sollicité une bourse à la coopération belge et j'ai été sélectionnée pour faire un Master complémentaire en aquaculture à l'université de Namur, à la faculté universitaire de Notre-Dame de Namur et à l'université de Liège, en Belgique. Je suis revenue par la suite à l'Ana, toujours comme chef de Division en 2012-2013. En 2014, j'ai été nommée chef du Projet de développement accéléré de l'aquaculture du Plan Sénégal émergent par le président, dans le cadre de la mise en œuvre du PSE. Ce dernier fait partie des 27 projets du Plan Sénégal émergent, et chaque projet à un chef nommé par le président de la République.
Chaque chef de projet a également une mission de suivi, de planification, de coordination avec toutes les structures impliquées, secteur privé comme public. Il doit produire un compte rendu hebdomadaire, un compte rendu trimestriel et un rapport annuel qu’on remonte au Bureau opérationnel et de suivi du Plan Sénégal émergent qui remonte ce rapport au niveau du président. Ça lui permet de suivre également de façon hebdomadaire l'évolution des projets phares du Plan Sénégal émergent. J'ai été conseillère technique au ministère de la Pêche et de l'Économie maritime, en 2016. Également, en 2017, j'ai été nommée coordinatrice de la Cellule genre et équité du ministère de la Pêche et de l'Économie maritime. En 2019, je suis nommée directrice du Centre national de formation des techniciens des pêches et de l'aquaculture (CNFTPA). En avril 2020, j'ai été nommée directrice générale de l'Agence nationale de l'aquaculture, poste que j'occupe actuellement, en plus du chef de Projet développement accéléré de l'aquaculture.
Vous avez beaucoup de casquettes auxquelles vient s’ajouter celle de maire de la commune de Ndiaganiao. Quels sont les axes prioritaires sur lesquels vous allez travailler ?
D'abord, Ndiaganiao est une localité que je connais très bien, pour l'avoir parcourue depuis des années et je connais aujourd'hui les secteurs économiques qu'il faut développer. C'est l'agriculture et l'élevage, en plus du commerce, bien sûr, pour les femmes. Également, il y a un fort besoin d'accompagnement des jeunes dans la formation professionnelle et dans l'insertion.
Par contre, il y a ce qu'on appelle des fondamentaux. Ce sont d’abord les infrastructures, les routes. Il faut désenclaver la localité. Le tronçon Ndiaganiao - Sandiara sera fait bientôt, mais on a également besoin de l'axe Ndiaganiao - Khombole pour avoir plus de trafic dans la localité. C'est ce qui permettra d’avoir surement des retombées économiques. L'axe Ndiaganiao - Fissel qui est notre chef-lieu d'arrondissement, l'axe Ndiaganiao - Tassette également fait partie de nos projets. Fort heureusement, elle sera prolongée jusqu'à Tène Touba, vers Nguekhokh. C'est un projet qui est déjà inclus dans le programme d’urgence qui sera mis en œuvre prochainement. Il y a l'axe Sandiara – Ndiarao - Soussoum qui doit traverser la zone Sandock pour la désenclaver, sans oublier la route Ndiaganiao - Thiadiaye où il y a un fort flux de commerçants, surtout lors des marchés hebdomadaires du mardi.
Donc, il faut d'abord qu'on désenclave la zone pour que les gens puissent circuler librement. Une autre de nos priorités est l'électrification des villages. Avec l'électricité, les jeunes qui sont dans la ville, qu’ils soient menuisiers, tailleurs ou mécaniciens pourront revenir s'installer au village et conserver les richesses qui sont acheminées vers les villes. Les jeunes pourront ainsi rester dans le village. Si on a l'électricité, on peut faire des activités économiques pour les femmes : la congélation, la vente de glace, entre autres produits. Il faut de l'électricité, mais également assez d'eau. Et sur ce, aujourd'hui pour moi, dans Ndiaganiao, on doit développer des périmètres maraîchers familiaux. Aujourd’hui, on a de la terre, chaque famille devrait avoir ne serait-ce qu’un hectare de terre à cultiver. Et ça, on compte accompagner les populations. Sans oublier qu'il y a des dizaines de forages dans la commune qui sont en arrêt. Et aujourd'hui on a même des partenaires qui peuvent nous aider à faire revivre ces forages, à développer des périmètres maraîchers villageois autour de ces forages. Aussi, si des villages ont des espaces sécurisés et veulent faire des activités communautaires agricoles ou avicoles ou d'élevage, on pourra les accompagner. Donc, aujourd'hui, si on arrive à faire des routes, avoir de l'électricité, faire revivre les forages, développer le maraîchage, je pense que la zone vivra.
De tous ces projets, lesquels seront les priorités durant les 100 premiers jours de Tening Sène en tant que maire ?
Je vais me donner un défi pour ces 100 jours-là. Vous me posez une question intéressante pour avoir fait une formation qui a été financée par la Banque africaine de développement sur ce qu'on appelle l’Approche à résultat rapide. En 100 jours, on doit se fixer des objectifs et pouvoir les atteindre. On n’a pas encore fait les planifications, peut-être que dans les prochains jours on pourra y revenir. Mais, en tout cas, on va se donner un défi pour les 100 premiers jours de notre mandat.
Dans votre quête du pouvoir à Ndiaganiao en tant que femme, vous avez rencontré certainement des obstacles. Lesquels ont été les plus difficiles à surmonter ?
Comme je l’ai dit tantôt, ces élections locales n'ont pas été comme les autres. D'abord, on a connu une forte division en notre sein. L'APR était divisée en quatre tendances. Il y a un groupe qui travaillait avec moi qui coordonne le Benno Bokk Yaakaar. Le maire sortant a rejoint un autre camp, le premier adjoint au maire sortant a fait sa liste, un des cadres du parti a fait également une liste. Donc, ça fait quatre tendances, en plus d’un candidat du Parti socialiste. On peut dire que le Benno était divisé en cinq.
En dehors de cela, on a fait quand même face à une opposition dont les leaders sont connus au niveau national. Je veux nommer Yewwi Askan Wi, la coalition Wallu Askan Wi du PDS, entre autres… On avait sept listes à Ndiaganiao et chaque candidat a donné de son mieux pour pouvoir vaincre l'autre. Mais grâce à notre travail acharné depuis de longues années, on était sûr d’avoir une bonne longueur d'avance sur les autres. De ce fait, on a tenu bon et on a gagné ces élections locales largement avec 57 %, alors que le deuxième a eu 17 %. Malgré la division, malgré les tentatives de désinformation et d'intoxication, on s'en est sorti grâce à la population. Je peux dire que c'est une reconnaissance pour les efforts qu'on a fournis depuis des années. Mais également, ils sont conscients qu'aujourd'hui, le Benno Bokk Yaakaar peut, avec l'équipe actuelle, faire beaucoup de choses pour la localité. Je pense qu'ils l'ont compris. D'ailleurs, on avait un programme de campagne qu'on leur a soumis et ils l’ont accepté. Aujourd'hui, on va le dérouler.
Docteur Tening Sène, première femme à la tête de cette commune de Ndiaganiao qui a marqué l’histoire politique du Sénégal. Quel effet cela vous fait ?
Pour moi, il n’y a rien d'étrange hein (sourire) ! Docteur Tening Sène est un citoyen comme les autres. Je ne me considère pas comme femme entre les hommes. Je me considère comme un citoyen comme les hommes. Comme quelqu’un qui a le droit de briguer le mandat comme tout le monde et quelqu'un qui a quand même la volonté de bien faire comme tout le monde. C’est vrai que c'est un argument qui a été utilisé par nos adversaires, en disant que ‘’Ndiaganiao djiguène dou fi djité’’ (une femme ne dirigera pas Ndiaganiao), mais la population a compris qu’on n’a pas besoin d'être un homme ou une femme pour pouvoir répondre aux aspirations de la population, pour pouvoir assister la population. Pour moi, ce n'est pas spécial. Je me dis que c'est un mérite en partie, c'est un destin aussi. Donc, il y a Dieu dans tout ça, qui a voulu que je sois maire.
On peut dire qu’une nouvelle génération de dirigeants à Ndiaganiao a vu le jour ?
Oui ! Moi, j'ai souvent dit, lors de mes tournées, qu'il faudrait qu'on change la façon de choisir les maires. On ne choisit pas un maire parce que l’on connaît des gens qui le soutiennent. On choisit un maire qui sait faire bouger les choses, assister la population et régler les problèmes. On ne sait pas tout faire, mais il faut de la volonté. Un maire doit avoir également un minimum de connaissances, de compétences et du relationnel. Le développement l’exige. Et si l'on ne veille pas à tout cela, on peut choisir quelqu’un au hasard et se plaindre après.
Donc, le choix d'un maire doit être vraiment minutieux. Désormais, je pense qu'on doit mettre des gens dont le profil est bien étudié.
Idrissa Aminata Niang